FABLE XVIII.
De l’Arondelle, et des autres Oyseaux.
Au temps que l’on commençoit à semer le lin, l’Arondelle voulut conseiller aux autres Oyseaux d’empescher la semaille, disant qu’on leur avoit dressé des embusches ; mais ils se mocquerent d’elle, et luy dirent qu’elle estoit une sotte Devineresse. Depuis, quand le lin fust sur le point de sortir de terre, et de reverdir, elle les advisa derechef d’en arracher la semence ; mais ils ne firent encore que s’en mocquer. A la fin comme elle vid qu’il commençoit à meurir, elle leur donna▶ conseil de s’en aller piller les bleds ; ce qu’ils ne voulurent faire, non plus que le reste. Alors l’Arondelle quittant la compagnie de tous les autres Oyseaux, rechercha celle de l’homme, avec qui elle fit amitié, d’où vient qu’elle demeure maintenant avecque luy, et le resjouït de son chant, au lieu que luy-mesme chasse les autres, et se sert du lin, pour faire des rets et des lacets à les prendre.
Discours sur la dix-huictiesme Fable.
Icy la prevoyante Arondelle figure les fideles Conseillers, qui ne rencontrent point de foy parmy ceux qu’ils entretiennent encore qu’ils leur ◀donnent▶ de vrays et salutaires advertissements. Telle fût la Prophetesse Cassandre, qui ayant predit aux Troyens l’entiere destruction de leur Ville, s’ils ne faisoient rendre Heleine à Menelas, eust le malheur de n’estre point creuë en tout ce qu’elle leur dist, et de voir arriver l’effect de sa Prophetie, à faute de les avoir sçeu persuader. La mesme chose se void presque tous les jours dans les concurrences humaines, où la jeunesse emportée des tourbillons de son ardeur, mesprise les sages enseignements des Vieillards, et se precipite inconsiderément en mille sortes de perils, causez par son incredulité. Les Histoires de cela ne se doivent point chercher ailleurs que parmy nous. Quant à la cause, elle provient de divers endroicts : car quelquesfois elle procede de nostre arrogance, qui nous fait imaginer toute autre sens moindre que le nostre ; quelques-fois aussi c’est un effect de nostre impetuosité, qui ne nous permet pas d’avoir l’oreille à ce qu’on nous dit, et entreine quant et soy nos appetits, et nostre raison, sans qu’elle ait la force de s’en deffendre. Il y a certaines personnes aussi, qui par je ne sçay quelle stupidité, ne reçoivent pas un bon conseil ; D’autres, par une fausse impression qu’ils ont conçeuë contre leurs amis, les tenans suspects d’envie, ou de malignité, et par consequent jugeant tous leurs advis reprochables. Mais de quelque source que naisse ceste imprudence, soit de l’une de ces causes soit de toutes ensemble, c’est tousjours un dangereux effect parmy les hommes, et qui ne leur laisse pour tout remede que ces paroles, ô que si je l’eusse pensé ! Or outre le mal qui nous vient de ne croire un bon amy, qui nous conseille fidellement, il en arrive souvent un autre plus considerable que celuy-là, à sçavoir, que nous perdons presque tousjours l’amitié de celuy qui entreprend de nous exhorter, à cause que se voyant si peu digne de creance envers nous, il se rebutte aisément de nostre praticque, et ne peut souffrir la plus part du temps que nous le tenions pour suspect en sa veritable affection. Ce qu’Esope a fort judicieusement remarqué en la personne de l’Arondelle, qui voyant que les autres Oyseaux mesprisoient les profitables enseignements qu’elle leur avoit ◀donnez, changea de party contre leur esperance ; Et se tournant du costé de l’homme, elle y trouva plus de satisfaction qu’avec ses premiers compagnons. Cela nous apprend que ceux dont nous mesprisons les sages advis, s’alliennent ordinairement de nous, et se jettent la pluspart du temps en des lieux plus advantageux pour leur estime.