(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope instruit Ennus, et luy donne des preceptes pour vivre en homme de bien. Chapitre XXVII. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope instruit Ennus, et luy donne des preceptes pour vivre en homme de bien. Chapitre XXVII. »

Esope instruit Ennus, et luy donne des preceptes pour vivre en homme de bien.
Chapitre XXVII.

Ennus estant remis en grace, Esope l’accueillit si genereusement, qu’il ne le voulut fascher en rien ; au contraire il le traicta mieux que jamais, et comme son propre fils, luy donnant plusieurs belles instructions, dont les principales furent celle-cy. « Mon fils, ayme Dieu sur toutes choses, et rends à ton Roy l’honneur que tu és obligé de luy rendre. Montre toy redoutable à tes ennemis, de peur qu’ils ne te mesprisent : mais traicte courtoisement tes amis, leur estant doux et affable, pour les obliger à t’en aymer davantage. Souhaite encore que tes ennemis deviennent malades, et qu’ils soient pauvres, pour empescher qu’ils ne te puissent nuire ; mais sur tout souvienne toy de prier pour tes amis. Ne te separe jamais d’avecque ta femme, de peur qu’elle ne vueille faire essay d’un autre homme que de toy : Car les femmes tiennent cela de leur sexe d’estre naturellement volages, et moins portées au mal quand on les sçait avoir par la flatterie : Ne preste point l’oreille à des paroles legeres, et ne parle que fort peu. Au lieu d’envier ceux qui te font du bien, resjouy toy de leur prosperité, autrement plus tu seras envieux, et plus tu en recevras de dommage. Soy soigneux de tes domestiques, afin qu’ils ne te craignent pas seulement, comme leur maistre, mais qu’ils te reverent aussi, comme leur bien-facteur. N’aye point de honte de vieillir en apprenant tousjours de meilleures choses. Ne descouvre point ton secret à ta femme, et sçache qu’elle espiera sans fin l’occasion de te pouvoir maistriser. Amasse tous les jours quelque chose pour le lendemain ; car il vaut beaucoup mieux mourir, et laisser du bien à ses ennemis, que vivre, et avoir besoin de ses amis. Saluë volontiers ceux que tu rencontres, et te represente que la queüe du chien donne du pain à son Maistre. Ne te repens jamais d’estre homme de bien. Chasse de ta maison le Médisant, et tiens pour certain, qu’il ne manquera point de rapporter et tes paroles, et tes actions. Ne fay rien qui te puisse attrister et garde toy de t’affliger des accidents qui t’adviendront. Rejette un mauvais conseil, et n’ensuy point la façon de vivre des méchants ». Voila quelles furent les instructions d’Esope à Ennus son fils adoptif, qui le toucherent si avant dans l’ame, qu’étant frappé comme d’une flesche, tant par la remonstrance d’Esope, que par le remors de sa conscience, il en mourut quelques jours apres.