(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Partement d’Esope, et son arrivée en Lydie. Chapitre XXIV. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Partement d’Esope, et son arrivée en Lydie. Chapitre XXIV. »

Partement d’Esope, et son arrivée en Lydie.
Chapitre XXIV.

Comme ils furent arrivez en Lydie, Esope se presenta devant le Roy, qui s’estant mis en colere ; « Voyez », dit il, « si ce n’est pas une chose estrange, qu’un si petit homme m’ait empesché de subjuguer une si grande Isle ? ». Esope s’estant mis alors à parler, il le fist ainsi. « Puissant Monarque, je ne suis venu vers toy, ny par force, ny par contraincte, ny par necessité non plus ; mais de mon bon gré seulement. Mais avant que passer outre, permets, je te prie, que je te fasse un conte. Il y eust jadis un homme, qui s’amusant à prendre des sauterelles, qu’il tuoit à l’instant, il prit aussi une Cigale, qu’il voulut tuer de mesme ; ce que voyant la Cigale, “ô homme”, luy dit-elle, “ne me donne point la mort : Je ne fais aucun dommage aux blez, et ne t’offence en chose quelconque ; au contraire je resjoüis les passans par l’agreable son qui se forme du mouvement de mes aisles : Tu ne trouveras donc rien en moy, que le chant”. Ce qu’elle n’eust pas plustost dit, que celuy qui l’avoit prise, la laissa aller sans luy faire mal. Je t’en dis de mesme, ô grand Roy, et soubmis à tes pieds, je te prie de ne me point faire mourir sans cause, car je ne suis pas homme qui veüille nuire à personne, et si l’on peut blasmer quelque chose en moy, c’est qu’en un corps chetif et difforme, je loge une ame qui ne sçauroit rien flatter ». Ces paroles d’Esope donnerent ensemble de l’admiration et de la pitié au Roy, qui luy respondit ; « ô Esope ce n’est pas moy qui te donne la vie, mais bien le destin. Demande moy donc ce que tu voudras, et je te l’accorderay ». « Seigneur », adjousta Esope, « toute la priere que j’ay à te faire, c’est qu’il te plaise laisser en paix les Samiens ». « Je le veux », dit le Roy et alors Esope prosterné à ses pieds, l’en remercia tres-humblement.