Du thresor trouvé par Esope, et de l’ingratitude de
Xanthus.
Chapitre XXII.
Une autrefois Xanthus ayant Esope à sa suite, s’en alla dans un certain Cimetiere, où il se mit à lire sur les tombeaux quelques Epigrammes, à quoy il prit un plaisir extrême. Sur ces entrefaictes, Esope ayant fortuitement apperçeu les lettres suivantes R. P. Q. F. I. T. A. gravées sur un tombeau se mit à les monstrer à Xanthus ; et luy demanda s’il en sçavoit l’explication ? Mais quelque meditation que fit là dessus ce Philosophe, il n’y pût jamais rien comprendre et confessa franchement qu’il n’entendoit pas cela. Alors Esope le regardant, « Seigneur », luy dit-il, « si par le moyen de ce petit pilier que voila, je te descouvre un thresor, quelle recompense me feras tu ? » « Foy de Philosophe », respondit Xanthus, « si tu le fais, je te donneray la liberté, et la moitié du thresor ». Esope se mit alors à foüiller prés d’une motte de terre, esloignée de luy d’environ quatre pas, et y trouva le thresor, dont il estoit question : S’estant mis en mesme temps en devoir de le donner à Xanthus : « Tiens », luy dit-il, « voila dequoy : il ne reste plus, sinon que tu me tiennes promesse ». « Je ne suis pas si fol de le faire », respondit Xanthus, « si premierement tu ne m’expliques ces lettres, car ce me sera une chose plus precieuse de les entendre, que de posseder tout l’or, que tu sçaurois jamais trouver ». « A cela ne tienne », reprit Esope ; « Sçache donc, que celuy qui cacha ce thresor dans la terre, comme sçavant qu’il estoit, s’avisa d’y faire graver ces lettres, qui joinctes ensemble, forment un sens qui est tel. Recedens passus quatuor, fodiens innenies thesaurum aureum. C’est à dire, Si tu recules quatre pas, en foüillant icy tu y trouveras quantité d’or ». Xanthus estonné du grand esprit d’Esope ; « Je suis d’advis », luy dit-il, « de ne te point affranchir, puis que tu és si plein de subtilité ». « Si tu ne le fais », repliqua Esope, « je m’en sçauray bien revencher ; Car je m’en iray plaindre au Roy de Bizance, pour qui l’on a icy caché ce thresor ». « A quoy cognois-tu cela », continüa Xanthus ; « A ces lettres », adjousta Esope, « R. R. D. Q. I. T. qui signifient, Redde Regi Dionisio, quem inuenisti thesaurum. C’est à dire, Rend au Roy Denis le thresor que tu as trouvé ». Comme Xanthus eust recognu tout de bon que ce thresor appartenoit à un Roy, voulant adoucir Esope : « Sois secret », luy dit-il, « et prends la moitié du thresor. Ce n’est point toy qui me le donnes, respondit Esope, mais celuy qui l’a icy caché. Que cela ne soit, escoute le contenu des lettres suivantes A. E. D. Q. I. T. A. d’où sont formées ces parolles. Acceptum euntes diuidite, quem inuenistis thesaurum aureum. Ce qui signifie, Partagez entre vous le thresor, que vous avez trouvé en vous en allant ». « Puis que cela est », conclud Xanthus, « retournons doncques à la maison, afin que chacun de nous prenne part à cette bonne fortune, et que tu sois mis en liberté ». Cela dit, ils prirent le chemin du logis, où ils furent à peine arrivez, que Xanthus voulut faire mettre Esope en prison, de peur qu’il eust, que son babil ne luy fit violer le secret. Cependant qu’on l’y menoit, « quelle pitié », disoit-il parlant à Xanthus ? « est-ce donc l’effect de la promesse d’un Philosophe tel que tu és, de me desnier non seulement la liberté, mais aussi de m’en priver, jusques à m’emprisonner ? » Ces reproches toucherent Xanthus, qui à l’heure mesme commanda qu’on le relachât. Mais comme on l’eust delivré, « Certainement », adjousta-il, « je treuve que tu ne fais pas trop mal de te comporter ainsi envers moy, afin qu’étant une fois affranchy, tu m’accuses de meilleur courage ». « Si est-ce pourtant », respondit Esope, « qu’apres m’avoir fait du pire que tu pourras, il faudra malgré toy, que tu me remettes en liberté ».