(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope ne laisse entrer qu’un seul de tous ceux que son Maistre avoit conviez. Chapitre XXI. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Esope ne laisse entrer qu’un seul de tous ceux que son Maistre avoit conviez. Chapitre XXI. »

Esope ne laisse entrer qu’un seul de tous ceux que son Maistre avoit conviez.
Chapitre XXI.

Quelques jours apres, Xanthus ayant derechef invité à disner des Orateurs, et des Philosophes, commanda à Esope de se tenir à la porte, et de ne laisser entrer que les Doctes. L’heure du disner estant donc venuë, et Esope se tenant à l’entrée du logis, qu’il avoit fermé sur luy, un des conviez s’en vint heurter à la porte, et soudain Esope luy fist cette question, « Que remuë le chien ? » Il n’en fallût pas dire davantage à celui-cy, pour l’en faire aller, sur la creance qu’il eust, qu’on l’appelloit chien. Ceux qui vindrent en suitte, eurent la mesme advanture que luy, et s’en retournerent tous, pensant qu’on les accueillist à belles injures. Mais il y en eust un entre les autres qui heurta comme eux. Apres donc qu’Esope luy eût fait la mesme question, et qu’à ces paroles, « Que remuë le chien ? » il eust respondu, « La queuë et les oreilles », l’ingenieux Portier approuva fort sa response, et le menant à son Maistre : « Seigneur », dit-il, « voicy le seul Philosophe qui est venu à ton festin ». Ceste nouvelle mit grandement en peine Xanthus, pour-ce qu’il s’imagina d’abord, que ceux qu’il avoit invitez, se mocquoient de luy. Le lendemain ses disciples estans venus aux Escoles, se mirent à le blasmer de ce qui s’estoit passé. « Quoy ? nostre Maistre (luy dirent-ils) t’avons nous donné sujet de nous mespriser jusques à ce poinct, qu’il ait fallu, que pour nous empescher d’aller chez toy, tu ayes mis à la porte ce puant Esope, pour nous injurier, et nous appeller chiens ? » « Ce que vous me contez là », reprit Xanthus, « est-ce quelque songe, ou bien une chose vraye ? » « C’est en effect une verité », dirent-ils « du moins nous la croyons telle, si nous ne resvons ». A ces mots Xanthus tout enflammé de colere, envoya chercher Esope, et luy demanda, pour quelle raison il avoit ainsi honteusement chassé ses amis. « Mon Maistre », luy dit Esope, « ne m’as-tu point commandé exprés, de ne laisser venir à ton Festin des gents du commun, et des ignorants mais seulement des hommes doctes ? » « Et quoy ? » continua Xanthus, « ceux-cy ne sont-ils donc pas sçavants ? » « Non pas que je pense », repartit Esope, « du moins ils ne m’en ont donné aucune preuve : Car lors qu’ils ont heurté à la porte, et que je leur ay demandé, Que remuë le chien ? pas un d’eux n’a sçeu comprendre ma question. Les ayant donc pris pour des Ignorants, je leur ay deffendu la porte, et n’ay laissé entrer que celuy-cy, qui a fort bien respondu ». A ces paroles, toute la compagnie ne sçeut respondre autre chose, sinon qu’Esope avoit parlé doctement.