Esope ne laisse entrer qu’un seul de tous ceux que son
Maistre avoit conviez.
Chapitre XXI.
Quelques jours apres, Xanthus ayant derechef invité à disner des Orateurs, et des Philosophes, commanda à Esope de se tenir à la porte, et de ne laisser entrer que les Doctes. L’heure du disner estant donc venuë, et Esope se tenant à l’entrée du logis, qu’il avoit fermé sur luy, un des conviez s’en vint heurter à la porte, et soudain Esope luy fist cette question, « Que remuë le chien▶ ? » Il n’en fallût pas dire davantage à celui-cy, pour l’en faire aller, sur la creance qu’il eust, qu’on l’appelloit ◀chien▶. Ceux qui vindrent en suitte, eurent la mesme advanture que luy, et s’en retournerent tous, pensant qu’on les accueillist à belles injures. Mais il y en eust un entre les autres qui heurta comme eux. Apres donc qu’Esope luy eût fait la mesme question, et qu’à ces paroles, « Que remuë le ◀chien▶ ? » il eust respondu, « La queuë et les oreilles », l’ingenieux Portier approuva fort sa response, et le menant à son Maistre : « Seigneur », dit-il, « voicy le seul Philosophe qui est venu à ton festin ». Ceste nouvelle mit grandement en peine Xanthus, pour-ce qu’il s’imagina d’abord, que ceux qu’il avoit invitez, se mocquoient de luy. Le lendemain ses disciples estans venus aux Escoles, se mirent à le blasmer de ce qui s’estoit passé. « Quoy ? nostre Maistre (luy dirent-ils) t’avons nous donné sujet de nous mespriser jusques à ce poinct, qu’il ait fallu, que pour nous empescher d’aller chez toy, tu ayes mis à la porte ce puant Esope, pour nous injurier, et nous appeller ◀chiens▶ ? » « Ce que vous me contez là », reprit Xanthus, « est-ce quelque songe, ou bien une chose vraye ? » « C’est en effect une verité », dirent-ils « du moins nous la croyons telle, si nous ne resvons ». A ces mots Xanthus tout enflammé de colere, envoya chercher Esope, et luy demanda, pour quelle raison il avoit ainsi honteusement chassé ses amis. « Mon Maistre », luy dit Esope, « ne m’as-tu point commandé exprés, de ne laisser venir à ton Festin des gents du commun, et des ignorants mais seulement des hommes doctes ? » « Et quoy ? » continua Xanthus, « ceux-cy ne sont-ils donc pas sçavants ? » « Non pas que je pense », repartit Esope, « du moins ils ne m’en ont donné aucune preuve : Car lors qu’ils ont heurté à la porte, et que je leur ay demandé, Que remuë le ◀chien ? pas un d’eux n’a sçeu comprendre ma question. Les ayant donc pris pour des Ignorants, je leur ay deffendu la porte, et n’ay laissé entrer que celuy-cy, qui a fort bien respondu ». A ces paroles, toute la compagnie ne sçeut respondre autre chose, sinon qu’Esope avoit parlé doctement.