(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — L’ingratitude de Xanthus. Chapitre XIX. »
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(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — L’ingratitude de Xanthus. Chapitre XIX. »

L’ingratitude de Xanthus.
Chapitre XIX.

Comme ils furent de retour au logis, Esope s’addressant à son Maistre ; « Seigneur », luy dit-il, « n’ay-je pas bien merité d’estre affranchy, pour les fidelles services que je t’ay rendu toute ma vie ». « Quoy ? » respondit Xanthus, en le tançant aigrement, « ne veux-je pas t’affranchir aussi ? Va-t’en à la porte, et prends bien garde si tu ne verras point deux Corneilles : Que si tu en vois deux, ce sera bon signe ; Comme au contraire, s’il n’y en a qu’une l’Augure en sera mauvais ». Esope sortit doncques du logis, et apperçeut fortuitement deux Corneilles, qui s’estoient branchées sur un arbre ; ce qu’il fist sçavoir incontinent à son Maistre. Xanthus sortit aussi pour les voir ; mais pendant qu’il s’y en alloit, l’une s’envola ; ce qui fit que s’estant mis à tancer Esope ; « Malheureux homme », luy dit-il, « ne m’as-tu pas asseuré qu’il y en avoit deux ? » « Ouy », respondit Esope, « mais l’une s’en est volée ». « Et quoy », reprit Xanthus, « chetif Banny que tu és, n’as tu rien à faire qu’à te mocquer ainsi de moy ? » En suitte de ces paroles, il commanda qu’on eust à le battre tout de bon. Mais comme on estoit apres, le Prevost ayant invité Xanthus à soupper, tandis que ce Miserable recevoit les coups, « Malheureux que je suis », s’écrioit-il contre son Maistre, « j’ay veu deux Corneilles, et toutesfois je suis battu ; toy au contraire, n’en as veu qu’une, et cependant tu t’en vas faire bonne chere ; l’espreuve donc bien à mon dommage, que cét Augure n’est que trop faux ». Ces langages surprirent Xanthus, qui plus estonné qu’auparavant, de la merveilleuse vivacité de l’esprit d’Esope, ne voulut point qu’on le battist d’avantage.