L’ingratitude de Xanthus.
Chapitre XIX.
Comme ils furent de retour au logis, Esope▶ s’addressant à son Maistre ; « Seigneur », luy dit-il, « n’ay-je pas bien merité d’estre affranchy, pour les fidelles services que je t’ay rendu toute ma vie ». « Quoy ? » respondit Xanthus, en le tançant aigrement, « ne veux-je pas t’affranchir aussi ? Va-t’en à la porte, et prends bien garde si tu ne verras point deux Corneilles : Que si tu en vois deux, ce sera bon signe ; Comme au contraire, s’il n’y en a qu’une l’Augure en sera mauvais ». ◀Esope▶ sortit doncques du logis, et apperçeut fortuitement deux Corneilles, qui s’estoient branchées sur un arbre ; ce qu’il fist sçavoir incontinent à son Maistre. Xanthus sortit aussi pour les voir ; mais pendant qu’il s’y en alloit, l’une s’envola ; ce qui fit que s’estant mis à tancer ◀Esope▶ ; « Malheureux homme », luy dit-il, « ne m’as-tu pas asseuré qu’il y en avoit deux ? » « Ouy », respondit ◀Esope▶, « mais l’une s’en est volée ». « Et quoy », reprit Xanthus, « chetif Banny que tu és, n’as tu rien à faire qu’à te mocquer ainsi de moy ? » En suitte de ces paroles, il commanda qu’on eust à le battre tout de bon. Mais comme on estoit apres, le Prevost ayant invité Xanthus à soupper, tandis que ce Miserable recevoit les coups, « Malheureux que je suis », s’écrioit-il contre son Maistre, « j’ay veu deux Corneilles, et toutesfois je suis battu ; toy au contraire, n’en as veu qu’une, et cependant tu t’en vas faire bonne chere ; l’espreuve donc bien à mon dommage, que cét Augure n’est que trop faux ». Ces langages surprirent Xanthus, qui plus estonné qu’auparavant, de la merveilleuse vivacité de l’esprit d’◀Esope, ne voulut point qu’on le battist d’avantage.