(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Du second service de Langues. Chapitre XV. »
/ 87
(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — Du second service de Langues. Chapitre XV. »

Du second service de Langues.
Chapitre XV.

Le lendemain, les Disciples de Xanthus l’ayant blâmé derechef de ce qui s’estoit passé, il leur dit pour response, que cela n’avoit pas esté fait de son consentement, mais par la malice de son Valet. « Toutesfois », adjousta-il, « je m’asseure qu’il nous traictera d’autres mets à soupper, et vous verrez ce que je luy en diray en vôtre presence ». En effect, il l’appella en mesme temps, luy commandant d’achepter ce qu’il trouveroit de pire et de moindre valeur pour le donner à ses escoliers, qui devoient soupper avecque luy. Esope s’en alla donc au marché, et sans rien changer de mets precedents, il achepta derechef des langues, les fit cuire, et les servit sur la table. Les Conviez ne les virent pas plustost, qu’ils en murmurerent, se disans les uns aux autres : « Quoy ? voicy donc encore des langues qu’on nous presente ? » Mais sans s’arrester à leurs discours, Esope en apporta d’autres, et d’autres encore, jusqu’à la troisiesme fois. Voila cependant que Xanthus bien irrité contre son Valet : « Qu’est-cecy, meschant », luy dit il ? « ne sçais-tu pas bien que je t’ay commandé d’apprester ce que tu trouverois de pire, et de plus vil prix ? à quel propos donc nous veux-tu servir ce que tu crois estre meilleur, et plus excellent que toute autre chose ! » « Et quoy, mon Maistre », respondit Esope, « y a-t’il rien de plus mauvais que la langue ? n’est-ce point elle qui démolit les citez ? elle qui est souvent cause de la mort des hommes ? elle qui est la source des mensonges, des maledictions, et des faux sermens ? elle qui ruïne les alliances, les Estats, et les Royaumes : Et pour le dire en un mot, elle-mesme d’où procedent la pluspart des fautes et des malheurs qui nous arrivent en cette vie ? » Esope n’eust pas plustost achevé ces mots qu’un des Assistants se tournant vers Xanthus ; « Asseurément », luy dit-il, « si tu ne prends garde à toy, j’ay belle peur que ce poinctilleux ne te fasse devenir fol, Car tel qu’est son corps, tel est son esprit » ; Mais Esope le renvoya bien viste, et sans s’émouvoir autrement : « Va », luy dit-il, « tu me sembles étre un tres mauvais homme de te mesler des affaires d’autruy, et d’irriter sans raison le Maistre contre le serviteur ».