(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — D’un seul grain de lentille qu’Esope fit cuire en un Pot, et de quelques autres choses facetieuses. Chapitre X. »
/ 112
(1660) Les Fables d’Esope Phrygien « LA VIE. D’ESOPE. PHRYGIEN. Tirée du Grec de Planudes, surnommé le Grand. — D’un seul grain de lentille qu’Esope fit cuire en un Pot, et de quelques autres choses facetieuses. Chapitre X. »

D’un seul grain de lentille qu’Esope fit cuire en un Pot,
et de quelques autres choses facetieuses.

Chapitre X.

Quelque temps apres, Xanthus s’en estant allé aux estuves, y trouva quelques-uns de ses amis, qu’il voulut traicter, et commanda pour cét effect à Esope, de courir viste au logis, et d’y faire cuire un grain de lentille. Esope partit incontinent, et ne fût pas plustost arrivé en la maison, que faisant le commandement de son Maistre, il ne mit cuire qu’une lentille. Apres donc que Xanthus se fust bien baigné avecque ses amis, ils les pria de prendre un mauvais disner, avecque protestation, qu’il n’y auroit point d’excés au festin qu’il leur feroit, et qu’il ne leur donneroit que des lentilles, adjoûtant pour compliment, qu’il ne falloit pas juger d’un amy par la diversité des viandes ; mais loüer plustost sa bonne volonté Comme ils fûrent donc sortis des estuves, et entrez en la maison de Xanthus ; « Esope », luy dit-il, « apporte-nous du bain ». Esope courut aussi tost prendre de l’eau du bain, et leur en donna : Mais Xanthus en eust à peine gousté, que n’en pouvant supporter la puanteur. « Qu’est-cecy, dit-il ? » « C’est de l’eau du bain », respondit Esope, « que tu as voulu que je te donnasse ». Bien que ceste action irritast d’abord le Philosophe, si n’osa-t’il pourtant en faire semblant, à cause de ses amis, qui estoient là presens : mais il luy commanda derechef d’aller querir le bassin, que son Valet luy apporta tout aussitost, se tenant debout devant la compagnie. Ce que voyant Xanthus, « quoy ? » luy dit-il, « ne donnes-tu point à laver ? » « Nenny », respondit Esope, « pource qu’il me seroit mal-seant de faire autre chose que ton commandement, Tu ne m’as point dit, mets de l’eau dans le bassin, lave mes pieds, apporte mes pantoufles, et ainsi du reste, si bien que je ne suis point à blâmer, ce me semble ». Xanthus se tournant alors vers ses amis : « à ce que je vois », leur dit-il, « je n’ay pas achepté un esclave, mais bien un Maistre ». En suitte de tout cecy, apres qu’ils se furent assis à table, et que Xanthus eust demandé si la lentille estoit cuite, Esope prit la Cueiller, et tira du pot un seul grain, qu’il leur servit, Xanthus la prit à mesme temps, et sur la creance qu’il eust d’abord, qu’Esope ne luy avoit presenté ce grain tout seul, que pour voir s’il estoit cuict, l’ayant froissé du bout des doigts ; « Apporte », dit-il, « la lentille, elle est assez cuite ». Mais Esope n’ayant vuidé dans les escuelles que l’eau toute pure, se mit à la distribuer à un chacun ; Dequoy Xanthus bien estonné, « Où est la lentille, luy demanda-t’il ? » « Tu l’as euë », luy respondit Esope : « Quoy ? » reprit Xanthus, « n’y en a-t’il qu’un seul grain de cuict ? » « Nenny sans mentir », respondit Esope, « car tu m’as dit au singulier, que je fisse cuire une lentille, et non des lentilles au plurier ». Ceste fourbe despleut grandement à Xanthus, qui pour s’en excuser à ses amis : « Jugez, Messieurs », leur dit-il, « si cét homme n’est pas capable de me faire enrager ». Apres ces choses, se tournant vers Esope, « Viens çà », luy dit-il, « meschant que tu és, va-t’en tout maintenant m’achepter quatre pieds de Pourceau, et nous les apporte, apres qu’ils seront promptement cuits ». Esope s’y en alla tout aussi-tost, et fit ce qui luy estoit commandé. Mais cependant que les pieds cuisoient, Xanthus qui ne cherchoit qu’un pretexte pour le battre, le voyant empesché à quelque chose du mesnage, luy déroba secrettement un des pieds, et le cacha.