Le public a fixé pour toujours le rang que tiendra sur notre Parnasse l’auteur de Warvick et de Mélanie, comme poète dramatique ; et s’il nous était permis d’ajouter une opinion à la décision générale, ce serait celle de M. de La Harpe lui-même, qui se rendait franchement la justice de n’avoir pas contribué, du moins, à la décadence du bel art de la tragédie, parmi nous185. […] Il n’y a pas une de ses tragédies qui n’offre des traits vigoureusement prononcés, des conceptions heureuses, des scènes, des actes même d’un bel effet : toutes se distinguent par une diction pure, mais froidement correcte, qui ne tombe jamais, il est vrai, dans la bouffissure gigantesque de Dubelloy, ni dans la dureté tudesque de Lemierre, mais qui n’étincelle pas, comme celle de ces deux poètes (si loin d’ailleurs de M. de La Harpe), de cette foule de beaux vers, de grandes idées, de traits imprévus, et d’autant plus précieux, qu’il faut les payer plus cher, et les attendre plus longtemps. […] On a vu avec peine quelques pages seulement renfermer l’analyse de tout Molière, et un demi-volume consacré à Beaumarchais ; deux volumes à l’analyse de quelques tragédies de Voltaire ; un gros volume, à l’examen de quelques opéras-comiques que personne n’a jamais songé à lire, etc. […] Mais l’emploi même de cette figure supposait un travail réfléchi, qui ne pouvait s’accorder avec l’infatigable mobilité de l’imagination de Voltaire, avec cette avidité de succès qui embrassait et traitait à la fois la tragédie, la comédie, la physique, l’histoire, les contes, les romans, etc.
Tel est ce discours de Burrhus à Agrippine, dans la tragédie de Britannicus, par Racine. […] Crébillon en fournit un exemple dans cet endroit de sa tragédie d’Atrée, où Thieste, après avoir reconnu le sang de son fils dans la coupe qui lui a été présentée par Atrée, son frère, lui parle ainsi : Monstre, que les enfers ont vomi sur la terre, Assouvis la fureur dont ton cœur est épris : Joins un malheureux père à son malheureux fils, À ses mânes sanglants donne cette victime, Et ne t’arrête point au milieu de ton crime. […] On en voit un exemple dans cet endroit de la tragédie de la mort de César par Voltaire. […] Parmi tous les portraits de cette espèce, je n’en connais pas de mieux frappé que celui de Rhadamisthe, dans la Tragédie de ce nom, par Crébillon.
La tragédie est un bien long ouvrage ; L’ode1 au sujet, comme à moi, convient mieux ; Riche d’encens, elle en fait le partage Aux rois d’abord, et, s’il en reste2, aux dieux. […] Tomber de l’épopée à la tragédie, c’est déjà déchoir.
Le goût de la tragédie ayant été réveillé par le talent de mademoiselle Rachel, le poëte profita des applaudissements donnés à l’artiste, et toutes ces causes concoururent à un légitime succès qui prit les proportions d’un événement. […] Il donne aux passions une expression familière, sans mêler à la tragédie le ton de la comédie. […] Dans le théâtre antique, les confidentes n’étaient pas, comme dans notre tragédie, de froides et pâles ombres.
Ainsi Boileau, parlant dans un même chant du poème épique, de la comédie et de la tragédie, au lieu de mettre ensemble ces deux derniers poèmes qui sont évidemment de la même nature, place le poème épique entre les deux. […] Ailleurs, à propos de la satire, il caractérise les principaux poètes satiriques ; à propos des règles de la tragédie, il raconte les progrès de l’art tragique. […] Or, le récit est ce qui la distingue de la tragédie et ce qu’elle a de commun avec l’histoire. […] Une comédie intitulée Adam ou le Péché originel, qu’il vit représenter à Milan, lui fit concevoir le dessein de tirer de cette farce le sujet d’une tragédie.
Par lui l’épopée a conquis ses droits, et de ces deux chefs-d’œuvre, comme d’une source féconde, vont dériver en leur temps et le drame de la tragédie et celui de la comédie, La poésie elle-même n’aura plus de secrets : ils se sont tous révélés dans le vers d’Homère. […] Ainsi procède la tragédie dans son dénouement. […] La tragédie répudiait l’emploi du mot propre. […] En voici un exemple tiré de la tragédie de la Mort de César par Voltaire. […] De quel effet n’est-elle pas dans ce passage de la tragédie de Zaïre par Voltaire !
Racine 1639-1699 [Notice] On peut diviser ses tragédies en trois groupes. […] Dans la seconde classe, on rapprochera ses tragédies historiques : Britannicus (1669), énergique tableau qui nous peint Rome impériale, au moment où Néron devient un monstre ; Bérénice (1670), suave élégie qui fit couler des larmes ; Bajazet (1672), nouveauté hardie qui transporte sur la scène un épisode d’histoire contemporaine ; Mithridate (1673), où Corneille est égalé par son rival. […] Commis veut dire confié. — On peut comparer aux héros de cette scène le personnage d’Ion, dans une tragédie d’Euripide.
Après des études incomplètes et rapides dans le même collège, après quelque séjour dans une garnison, emporté par l’ardeur de la célébrité, il se jette dans cette carrière de la tragédie, si haute et pourtant si fréquentée, qui semblait alors, par la multitude des concurrents et la facilité des succès, une continuation immédiate de la rhétorique166. Il fait sa tragédie d’Azémire, jouée et même applaudie, je crois, à Fontainebleau. […] Il préparait sa tragédie de Charles IX pour cette époque nouvelle, que son frère ne salua pas d’abord avec moins d’ardeur. […] Les premières tragédies célèbres de Marie-Joseph Chénier sont des tragédies partiales, comme il le dit lui-même, tout empreintes de la véhémence des passions nouvelles : c’est Charles IX, Henri III ; ce sont des pièces qui, flétrissant d’un légitime opprobre les vieux forfaits de la souveraineté absolue, étaient, surtout à l’époque où elles parurent, de menaçantes allusions pour une souveraineté affaiblie et tombante. […] Telle fut la fin de ce long drame qui s’ouvre par un meurtre232 et qui se dénoue par un meurtre ; véritable tragédie où rien ne manque, ni les passions, ni les caractères, ni cette sombre fatalité qui était l’âme de la tragédie antique, et qui donne aux accidents de la vie réelle tout le grandiose de la poésie.
Henry, on passe à ceux du dix-huitième, on serait tenté de croire que le génie même de Racine a porté malheur à la tragédie. […] Lamotte, si froid et si timide dans ses tragédies, fut à quelque degré novateur dans ses Préfaces. […] Le Siège de Calais de De Belloy était un premier essai de tragédie nationale. […] La tragédie d’Œdipe, en 1718, fut le début de sa renommée. […] La philosophie ne put, il est vrai, effacer la rouille scolastique ; mais Corneille commença, en 1636, par la tragédie du Cid, le siècle qu’on appelle celui de Louis XIV.