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179. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Fléchier, 1632-1710 » pp. 124-132

Mais enfin, vous l’ordonnez ; je me mettrai donc à l’œuvre. […] On ne peut rien ajouter à ce qu’il écrit sans y mettre du superflu, et l’on ne peut rien en ôter sans y retrancher quelque chose de nécessaire. […] Cet homme qui défendait les villes de Juda, qui domptait l’orgueil des enfants d’Ammon et d’Esaü, qui revenait chargé des dépouilles de Samarie, après avoir brûlé sur leurs propres autels les dieux des nations étrangères ; cet homme que Dieu avait mis autour d’Israël comme un mur d’airain où se brisèrent tant de fois toutes les forces de l’Asie, et qui, après avoir défait de nombreuses armées, déconcerté les plus fiers et les plus habiles généraux des rois de Syrie, venait tous les ans, comme le moindre des Israélites, réparer avec ses mains triomphantes les ruines du sanctuaire, et ne voulait d’autre récompense des services qu’il rendait à sa patrie que l’honneur de l’avoir servie  : ce vaillant homme poussant enfin, avec un courage invincible, les ennemis qu’il avait réduits à une fuite honteuse, reçut le coup mortel, et demeura comme enseveli dans son triomphe1. […] et ne mettez-vous pas dans votre esprit, à la place du héros dont parle l’Écriture, celui dont je viens vous parler ?

180. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Thiers. Né en 1797. » pp. 513-521

En effet, avec ce que je nomme l’intelligence, on démêle bien le vrai du faux ; on ne se laisse pas tromper par les vaines traditions ou les faux bruits de l’histoire ; on a de la critique, on saisit bien le caractère des hommes et des temps ; on n’exagère rien, on ne fait rien trop grand ou trop petit, on donne à chaque personnage ses traits véritables ; on écarte le fard, de tous les ornements le plus malséant en histoire, on peint juste ; on entre dans les secrets ressorts des choses, on comprend et on fait comprendre comment elles se sont accomplies ; diplomatie, administration, guerre, marine, on met ces objets si divers à la portée de la plupart des esprits, parce qu’on a su les saisir dans leur généralité intelligible à tous ; et quand on est arrivé ainsi à s’emparer des nombreux éléments dont un vaste récit doit se composer, l’ordre dans lequel il faut les présenter, on le trouve dans l’enchaînement même des événements ; car celui qui a su saisir le lien mystérieux qui les unit, la manière dont ils se sont engendrés les uns les autres, a découvert l’ordre de narration le plus beau, parce que c’est le plus naturel ; et si, de plus, il n’est pas de glace devant les grandes scènes de la vie des nations, il mêle fortement le tout ensemble, le fait succéder avec aisance et vivacité ; il laisse au fleuve du temps sa fluidité, sa puissance, sa grâce même, en ne forçant aucun de ses mouvements, en n’altérant aucun de ses heureux contours ; enfin, dernière et suprême condition, il est équitable, parce que rien ne calme, n’abat les passions comme la connaissance profonde des hommes. […] Les triomphes de Rivoli mirent le comble à la joie des patriotes ; on parlait de tous côtés de ces vingt-deux mille prisonniers, et l’on citait le témoignage des autorités de Milan, qui les avaient passés en revue, et qui en avaient certifié le nombre, pour répondre à tous les doutes de la malveillance. La reddition de Mantoue vint mettre le comble à la satisfaction. […] En un an, il mit en pleine déroute, ou détruisit cinq armées, dont chacune était plus forte que la sienne : à savoir les Piémontais à Mondovi, et quatre armées autrichiennes, celle de Beaulieu à Cairo, Montenotte, Millesimo, Dego, et au pont de Lodi ; celle de Wurmser à Castiglione, Roveredo, Bassano ; celle d’Alvinzi à Arcole, à Rivoli et sous Mantoue qui fit sa reddition ; enfin celle du prince Charles, qu’il poursuivit en Allemagne et sur la route de Vienne, jusqu’à Léoben.

181. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — [Notice] Maurice de Guérin, 1810-1839. » pp. 598-606

Hier au soir, c’était la lune, les étoiles, un azur, une limpidité, une clarté à vous mettre aux anges. […] Je prévoyais bien, quand je mis le pied sur le premier degré de mes tentatives et de mes essais, que je m’estimerais heureux de rencontrer, après avoir tout parcouru, non pas un emplacement de médiocre étendue pour asseoir ma vie et respirer à mon aise, mais un petit trou pour m’y blottir et m’y tenir coi jusqu’à la fin. […] La résignation, c’est le terrier creusé sous les racines d’un vieux chêne ou dans le défaut de quelque roche, qui met à l’abri la proie fuyante et longtemps poursuivie. […] « Tous les bruits de la nature : les vents, ces haleines formidables qui mettent en jeu les innombrables instruments disposés dans les plaines, sur les montagnes, dans le creux des vallées, ou réunis en masse dans les forêts ; les eaux, qui possèdent une échelle de voix d’une étendue si démesurée, à partir du bruissement d’une fontaine dans la mousse jusqu’aux immenses harmonies de l’Océan ; le tonnerre, voix de cette mer qui flotte sur nos têtes ; le frôlement des feuilles sèches, s’il vient à passer un homme ou un vent follet ; enfin, car il faut bien s’arrêter dans cette énumération qui serait infinie, cette émission continuelle de bruits, cette rumeur des éléments toujours flottante, dilatent ma pensée en d’étranges rêveries et me jettent en des étonnements dont je ne puis revenir.

182. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section deuxième. La Tribune du Barreau. — Chapitre premier. Objet du genre judiciaire. »

Nous ne saurions donc recommander trop scrupuleusement aux jeunes gens qui se destinent à la carrière du barreau, de se mettre de bonne heure en garde contre un défaut que rien ne rachète auprès d’un auditeur fatigué par un torrent de paroles inutiles, qui ne lui apprennent rien, qui lassent sa patience, lui font perdre de vue l’objet intéressant de la cause, et détruisent nécessairement tout l’effet que l’on se proposerait de produire. […] Que serait-ce donc, si nous mettions ici sous les yeux de la jeunesse les suites fâcheuses que peut entraîner une seule indiscrétion, et le prix dont il a fallu payer quelquefois un discours trop légèrement hasardé ? […] En élaguant toutes les superfluités, on fortifie les faits principaux, on les met dans un jour plus avantageux, et ils font une impression plus durable.

183. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Prosper Mérimée Né en 1803 » pp. 286-290

Les protestants y mirent le feu, qui, en un instant, enveloppa la tour, et monta jusqu’au sommet. […] S’éloignant à grands pas du village, elle prit un chemin creux qui serpentait dans les vignes, après avoir envoyé devant elle le chien, à qui elle fit un signe qu’il semblait bien connaître ; car aussitôt il se mit à courir en zigzag, passant dans les vignes, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, toujours à cinquante pas de sa maîtresse, et quelquefois s’arrêtant au milieu du chemin pour la regarder en remuant la queue. […] » Et elle se mit à genoux.

184. (1827) Résumé de rhétorique et d’art oratoire

Quintilien est sans contredit le meilleur ouvrage que l’on puisse mettre entre les mains d’un jeune homme. […] Si le tout est mis pour la partie, ou la partie pour le tout, si le genre est pris pour l’espèce, et réciproquement le singulier pour le pluriel, et vice versa, et en général lorsque l’on met à la place de l’objet quelque chose de plus ou de moins, la figure est alors appelée synecdoque. […] La figure est heureuse ; il personnifie les lois qui lui présentent un glaive pour mettre à mort un individu. […] Cette manière de décrire suppose une sorte d’enthousiasme, qui met en quelque façon hors d’elle-même la personne qui décrit. […] On exige que le jugement, en mûrissant, mette un frein à l’imagination, et rejette comme puérils les ornements superflus, inconvenants, et inutiles à la clarté.

185. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre cinquième. De l’Éloquence des Livres saints. — Chapitre II. De l’emploi des figures dans les écrivains sacrés. »

Mais son objet principal, celui que l’écrivain doit avoir surtout en vue, est de mettre sa pensée dans tout son jour ; et peu importe alors de quels objets la comparaison est tirée : elle est heureuse, toutes les fois qu’elle est juste, et la propriété est surtout ce que l’on a droit d’exiger ici. […] Lorsqu’il s’agit au contraire de relever un objet petit par lui-même, on ne saurait mettre trop de noblesse dans la comparaison, trop de grandeur dans les images que l’on emploie. […] Nous allons la mettre sous les yeux du lecteur, en nous servant de la belle traduction de Lefranc de Pompignan, dont le nom ne rappelle à bien des gens qu’une des nombreuses victimes immolées aux sarcasmes de Voltaire, mais dont les vers retracent souvent l’harmonie et l’enthousiasme vraiment lyriques de J. […] 147Ses ennemis humiliés Mettront leur orgueil à ses pieds ; Et des plus éloignés rivages, Les rois frappés de sa grandeur, Viendront par de riches hommages Briguer sa puissante faveur. […] On va voir si Eschyle lui-même, le sombre, le tragique Eschyle a des conceptions plus fortes ; et si jamais le génie de la terreur a rien inspiré aux poètes d’aucun temps, qui puisse approcher, même de loin, du tableau que nous allons mettre sous les yeux du lecteur.

186. (1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Première partie - Préceptes généraux ou De la composition littéraire. — Chapitre premier. De l’invention. »

Mais lorsqu’il se sera fait un plan, lorsqu’une fois il aura rassemblé toutes les pensées essentielles de son sujet, il n’aura pas de peine à les mettre en ordre et à les rendre en style naturel, facile, intéressant et lumineux. Pour bien écrire, il faut donc posséder d’abord pleinement son sujet ; il faut y réfléchir assez pour voir clairement quel est l’ordre qu’on doit mettre dans ses pensées et en faire une chaîne continue, ce qui est le propre de la disposition, comme nous le verrons bientôt. […] Je suis bien surpris qu’aucun des traités de Rhétorique que l’on met entre les mains de la jeunesse, ne dise un mot de cette éminente qualité de l’invention, de la moralité du sujet. […] Ou peut mettre la main sur un sujet fécond et dramatique, réunissant les trois conditions dont nous venons de parler ; mais il est très rare de bien choisir les pensées accessoires, d’imaginer de bons faits et d’heureux incidents, et de tracer en maître les caractères des personnages. […] Plus rarement on devra employer les trois moyens à la fois : si je suis père de famille et dans une position gênée, si ma partie est puissante, si mes preuves sont faibles, si mes titres moraux ne suffisent pas, je tâcherai de toucher le cœur des juges par le spectacle de la pauvreté qui m’attend, de mes enfants réduits à la misère, je mettrai en regard l’opulence de mon adversaire, et si je parviens par mes larmes à attendrir mes auditeurs, le succès de ma cause n’est pas douteux.

187. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Victor Hugo Né à Besançon en 1802 » pp. 540-556

Ainsi que l’oiseau met sa tête sous son aile, L’enfant dans la prière endort son jeune esprit ! […] — D’abord, surtout pour celle Qui berça tant de nuits ta couche qui chancelle, Pour celle qui te prit jeune âme dans le ciel, Et qui te mit au monde, et depuis tendre mère, Faisant pour toi deux parts dans cette vie amère, Toujours a bu l’absinthe et t’a laissé le miel ! […] Sur lui-même Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées, Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées2 ; S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur Dans le coin d’un roman ironique et railleur3 ; Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie ; Si j’entre-choque aux yeux d’une foule choisie D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois De mon souffle, et parlant au peuple avec ma voix ; Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume, Jette le vers d’airain qui bouillonne et qui fume Dans le rhythme profond, moule mystérieux D’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; C’est que l’amour, la tombe, et la gloire et la vie, L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie, Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, Fait reluire et vibrer mon âme de cristal1, Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore Mit au centre de tout comme un écho sonore2 ! […] Avons-nous à acheter quelque chose de lui, mettons là notre argent ; c’est le meilleur emploi que nous puissions faire de nos biens que de les mettre à la banque de Dieu.

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