Je vous félicite, Monsieur l’Abbé, d’avoir publié ce travail consciencieux qui mérite une place distinguée parmi les livres, classiques édités de nos jours, et je ne puis que vous souhaiter de nombreux lecteurs dans les maisons d’enseignement ainsi que parmi les gens du monde amateurs de bonne littérature.
4° Il faut éviter les métaphores recherchées, prises de loin, dont le rapport n’est pas assez naturel, ni la comparaison assez sensible pour le commun des lecteurs, parce que ces figures embrouillent et obscurcissent la pensée au lieu de l’éclaircir. […] Pour satisfaire l’oreille et soutenir l’attention du lecteur ou de l’auditeur, pour qu’une composition conserve sa chaleur et sa force, il faut avoir soin d’en varier la coupe et le nombre : et ceci n’est pas seulement relatif à la cadence finale de la période, mais encore à la distribution de ses membres. […] L’écrivain, pour embellir la vérité et captiver le lecteur, a d’autres ressources à sa disposition. […] Les transitions adroites et délicates consistent dans une pensée ou une réflexion qui, paraissant sortir comme d’elle-même du fond du sujet, a une liaison également sensible avec ce qui a été dit et avec ce que l’on va dire, ou qui, jetée d’avance et comme sans préméditation, prépare le lecteur et le fait passer doucement d’un objet à un autre.
La Suspension est une figure, par laquelle, pour piquer la curiosité du Lecteur, on tient quelque temps son esprit en suspens, et dans l’incertitude de ce qu’on va dire. […] Il épouse Mademoiselle ; ma foi, par ma foi, ma foi jurée, Mademoiselle, la grande Mademoiselle, Mademoiselle, fille de feu Monsieur, Mademoiselle, petite-fille de Henry IV, mademoiselle d’Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d’Orléans, Mademoiselle, cousine germaine du Roi ; Mademoiselle, destinée au trône ; Mademoiselle, le seul parti de France, qui fût digne de Monsieur. » Il y a une espèce de suspension qui badine et qui se joue de l’attention du Lecteur.
Les interruptions, les repos, les sections, ne devraient être d’usage que quand on traite des sujets différents, ou lorsque, ayant à parler de choses grandes, épineuses et disparates, la marche du génie se trouve interrompue par la multiplicité des obstacles, et contrainte par la nécessité des circonstances : autrement, le grand nombre de divisions, loin de rendre un ouvrage plus solide, en détruit l’assemblage ; le livre paraît plus clair aux yeux, mais le dessein de l’auteur demeure obscur ; il ne peut faire impression sur l’esprit du lecteur, il ne peut même se faire sentir que par la continuité du fil, par la dépendance harmonique des idées, par un développement successif, une gradation soutenue, un mouvement uniforme que toute interruption détruit ou fait languir3. […] En le lisant, rappelons-nous cette pensée de Joubert : « C’est par les mots familiers que le style mord et pénètre dans le lecteur.
On peut, dans une lettre, glisser sur un sujet, et laisser à son lecteur le plaisir de deviner quelque chose ; on peut, sans enchaîner rigoureusement ses idées, passer rapidement d’un objet à un autre : mais encore faut-il savoir ce que l’on veut dire ; et, quand même, avant de prendre la plume, on n’aurait pas encore arrêté tout son plan, on doit au moins disposer ses idées à mesure qu’elles se présentent, et, en écrivant une phrase, prévoir celles qui vont suivre. […] Pour lier ainsi toutes les parties d’un ouvrage sans que le lecteur aperçoive la couture, il faut avoir soin de placera côté les unes des autres les parties qui ont ensemble le plus d’analogie. […] Les autres ont la manie d’exprimer toujours un objet, soit par deux, soit par trois mots ; ils s’imaginent, par ces accumulations de prétendus synonymes et par des chutes de phrases parasites, ajouter quelque chose à la force de leur style, tandis qu’ils ne font qu’obscurcir leurs pensées et fatiguer leur lecteur. […] Le style fin et spirituel montre la pensée à travers un voile, ou n’en présente qu’un côté, pour laisser au lecteur ou à l’auditeur le plaisir de deviner ce qu’on lui cache ; il emploie surtout l’allusion, la comparaison, l’antithèse, la suspension, etc. […] Un écrivain concis ne rejette pas les ornements, il ne dédaigne même pas les figures ; mais il s’en sert moins pour donner de la grâce à sa composition, que pour la rendre plus énergique ; jamais il ne reproduit deux fois la même pensée, et ses phrases, fortes et serrées, semblent faites pour suggérer à l’esprit du lecteur plus d’idées qu’elles n’en expriment.
Le sujet y est sans doute pour quelque chose ; et c’est par la même raison que les éloges d’Hélène et de Busiris, du même auteur, ne sont que de misérables jeux d’esprit où il n’y a rien, absolument rien à recueillir, que cette grande leçon, que toute la pompe du style le plus harmonieux, les périodes les plus heureusement enchaînées, les chutes les plus laborieusement étudiées, le choix même des expressions et des tournures, ne rachèteront jamais, auprès du lecteur judicieux, la sécheresse du sujet et la stérilité des idées.
Ils croyaient avoir atteint le but, lorsque la complication de l’intrigue, la nouveauté, l’étrangeté même des incidents tenaient le lecteur en haleine jusqu’à la lin.
On peut dire que ses lettres ne charment pas seulement l’esprit du lecteur, mais qu’elles le purifient et l’élèvent1.
À notre époque, c’est aux jeunes gens des deux sexes qu’il appartient d’être l’ornement de la société ; qu’il nous soit permis de leur demander si, après avoir interprété la veille avec succès les œuvres musicales des plus habiles compositeurs, ils écrivaient le lendemain un simple billet, ou une lettre d’un style banal ou équivoque sans élégance aucune, qu’il nous soit permis fie leur demander, dis-je, quel effet ils penseraient produire sur leurs lecteurs ?