Elles expliquent au contraire, de la manière la plus simple, les variations que l’on a pu reprocher aux jugements de M. de La Harpe, qui, sans fléchir jamais sur la sévérité de ses principes en matière de goût, sans jamais s’écarter de la route tracée par les grands maîtres, a voulu concilier quelquefois deux choses naturellement inconciliables, son respect pour les anciens, et sa complaisante admiration pour quelques modernes, qui connaissaient peu ou jugeaient mal ces mêmes anciens. Mais, rendu tout entier, sur la fin de sa vie, aux excellents principes que sa jeunesse avait reçus, il n’a pas craint de revenir sur ses pas, de juger ses propres jugements, et de réparer avec éclat le petit scandale de ses injustices littéraires. […] Mais où le professeur du lycée est vraiment un homme supérieur, c’est dans l’analyse et l’application des règles du goût et d’une critique toujours juste, toujours capable de diriger utilement le jugement des autres, quand il explique et commente les anciens, et quand il parle de ceux des modernes sur lesquels son opinion n’a jamais varié. […] Mais qu’est-il résulté d’une opposition aussi marquée dans les jugements ? […] De tous les jugements portés sur cette belle production, celui qui la caractérise le mieux, est celui du grand Frédéric ; il appelait la traduction des Géorgiques un ouvrage original ; il avait raison.
. — Quant à nous, qui sommes d’un ordre inférieur, si nous n’avons que nos propres forces, et si nous n’empruntons rien d’autrui, quel moyen qu’avec un seul jugement et un seul esprit, qui n’ont rien que d’ordinaire et de médiocre, nous contentions tant de différents esprits, tant de jugements divers, à qui nous exposons nos ouvrages ?
Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait presque l’entretien de toutes les maisons de Paris, et jamais on n’a rien vu de si plaisant que la diversité des jugements qui se font là-dessus ; car enfin j’ai ouï condamner cette comédie3 à certaines gens, par les mêmes choses que j’ai vu d’autres estimer le plus. […] Et moi, mon cher marquis, je trouve le jugement détestable. […] Apprends, marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n’a point de place déterminée ; que la différence du demi-louis d’or2 et de la pièce de quinze sous ne fait rien du tout au bon goût ; que debout ou assis on peut donner un mauvais jugement, et qu’enfin, à le prendre en général, je me fierais assez à l’approbation du parterre, par la raison qu’entre ceux qui le composent il y en a plusieurs qui sont capables de juger d’une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d’en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n’avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule3. […] Il veut être le premier de son opinion, et qu’on attende par respect son jugement.
Agrippine, disait-il, était fière sans sujet ; Burrhus vertueux sans dessein ; Britannicus amoureux sans jugement… ; Néron cruel sans malice. […] Tacite a une langue à lui, et c’est ce qui a déchaîné contre lui certains critiques un peu étroits dans leurs jugements. […] Parcourons les tragédies que Corneille a tirées de l’histoire de Rome, et nous verrons se justifier le jugement de La Bruyère. […] Celui qui ouvre ses fables au hasard et en lit quelques-unes, porte sur l’auteur le jugement que nous venons de citer. […] Vous terminez cette longue et capricieuse excursion à travers la littérature ancienne et moderne par un jugement magistral sur la question, si controversée, qui divise encore notre compagnie en deux camps, la querelle des Anciens et des Modernes ; votre autorité, dans ce jugement, n’a d’égale que votre modération.
L’esprit s’éclaire et s’enrichit ; le jugement se forme et se rectifie ; l’imagination s’embellit et s’enflamme ; le génie s’étend, s’élève, et prend déjà son essor, pour déployer bientôt toute sa grandeur et toutes ses forces. Mais plus on se livre à cette étude, plus on sent la nécessité d’asservir toujours l’esprit, le jugement, l’imagination, le génie, aux règles du bon sens, et aux lois de la saine raison.
le jugement est affirmatif. […] le jugement est négatif. […] Du rapprochement des jugements va résulter, à son tour, le raisonnement. […] On le fait en prenant pour point de départ un jugement qui offre toute certitude et auquel on compare le jugement qu’on veut vérifier ; puis on tire la conclusion, qui n’est autre qu’un troisième jugement. […] Le jugement commence par le premier-né.
La pensée (de pensata, fait de pensare, peser, examiner) est l’acte de l’esprit, l’opération de l’intelligence qui observe les choses, les embrasse, les compare, afin de porter un jugement sur leurs rapports. On voit que la pensée ne diffère guère de ce qu’on nomme en logique jugement, judicium ou sententia. […] En littérature, la pensée peut donc se définir : l’expression convenable du jugement porté par l’intelligence. […] Il serait en effet impossible de porter un jugement sur des choses dont on n’aurait pas la notion dans l’esprit. […] On dit suspendre, précipiter son jugement, balancer les opinions, les recueillir, etc.
Mais on ne peut nier que les préceptes ne soient aussi d’une utilité indispensable pour diriger les premiers essais de la jeunesse, pour éclairer son goût et former son jugement ; autrement, il faudrait supposer que l’art d’écrire peut être livré à l’arbitraire, et que le caprice, le hasard doit être le seul maître en fait d’éducation. […] Enfin, après avoir posé les règles de la description, de la narration et de la dissertation, nous avons parlé de l’analyse critique, en en donnant un modèle qui puisse guider dans ce genre de travail : nous recommandons cet exercice comme un excellent moyen de former le goût et le jugement.
[Notice] On peut appliquer à Bossuet le jugement porté par Quintilien sur Démosthène : c’est qu’il fut la règle de l’éloquence elle-même1. […] Qu’elle nous parut alors au-dessus de ces lâches chrétiens qui s’imaginent avancer leur mort quand ils préparent leur confession, qui ne reçoivent les saints sacrements que par force, dignes certes de recevoir pour leur jugement ce mystère de piété qu’ils ne reçoivent qu’avec répugnance. […] Par vos travaux et par votre exemple, les véritables beautés du style se découvrent de plus en plus dans les ouvrages français, puisqu’on y voit la hardiesse, qui convient à la liberté, mêlée à la retenue, qui est l’effet du jugement et du choix. […] Madame de Sévigné, dans une lettre au comte de Bussy (1687), a fait l’analyse de cette seconde oraison funèbre, qu’elle semble presque préférer à celle de Bossuet : jugement que la postérité ne saurait confirmer.