Le premier point à remarquer dans tous ces morceaux, c’est que la véhémence était dans le fond avant d’être dans la forme : rien de plus ridicule que de s’échauffer à froid ; le second, c’est la forme elle-même, les brusques mouvements de phrase, les constructions brisées, les accumulations, les suspensions, les interruptions fréquentes, fidèle image du désordre de l’orateur ou du personnage mis en scène. […] Victor Hugo, dans Ruy Blas, un des ouvrages qui prouvent le mieux à quel excès de ridicule le dédain systématique pour la noblesse du ton peut entraîner un homme de génie.
J’indique ce que veut la langue française de quiconque prend la plume ; et ces réflexions sur les lois du discours regardent, non ceux qui ont le don du discours, mais les esprits, en grand nombre, qui peuvent se perfectionner par la culture, et tirer du travail des ressources qui les sauvent du ridicule de mal écrire. Le ridicule, est-ce assez dire ?
Censurer les ridicules et les vices ; montrer le triste effet des passions désordonnées ; s’attacher toujours à inspirer l’amour de la vertu, et faire sentir qu’elle seule est digne de nos hommages, qu’elle seule est la source de notre bonheur ; tel est le principal devoir du romancier.
2, méchant même par principes ; un esprit léger et frivole, qui n’a point de goût décidé ; qui n’éclaire les choses et ne les recherche jamais pour elles-mêmes, mais uniquement selon la considération qu’il y croit attachée, et fait tout par ostentation ; un homme souverainement confiant en lui et dédaigneux, qui méprise les affaires3 et ceux qui les traitent, le gouvernement et les ministres, les ouvrages et les auteurs ; qui se persuade que toutes ces choses ne méritent pas qu’il s’y applique, et n’estime rien de solide que le don de dire des riens ; qui prétend néan-moins à tout, et parle de tout sans pudeur ; en un mot, un fat sans vertus, sans talents, sans goût de la gloire, qui ne prend jamais dans les choses que ce qu’elles ont de plaisant, et met son principal mérite à tourner continuellement en ridicule tout ce qu’il connaît sur la terre de sérieux et de respectable.
Mais ignorant à la fois et le principe de la construction et le génie de la langue, ils sont tombés dans tous les excès du ridicule. […] Car j’ai l’impertinence, je l’avoue, de trouver asses ridicules les exemples d’hypallage donnés par l’Académie, jusque dans la dernière édition de son Dictionnaire.
Un mélange de ces deux éléments, le terrible et le ridicule, s’est formé, surtout chez les modernes, un troisième genre dramatique, appelé du nom un peu vague de drame. […] Et puisque c’est le personnage ridicule de la pièce, fallait-il lui faire faire l’action d’un honnête homme ? » Rousseau, pour prouver que Molière, dans le Misanthrope, s’est proposé de rendre la vertu ridicule, emploie le même sophisme. « Vous ne sauriez me nier deux choses : l’une, qu’Alceste est dans cette pièce un homme droit, sincère, estimable, un véritable homme de bien ; l’autre, que l’auteur lui donne un personnage ridicule. […] Nous rencontrons à chaque pas mille copies des immortels originaux de Molière, leurs faux raisonnements comme leurs ridicules.
Dante est aussi un exemple notable d’un beau génie égaré par le mauvais goût du siècle où il a vécu, ou trop complaisant pour ses ridicules préjugés. […] L’esprit, l’agréable humeur, le ridicule ouvrent également un nouveau champ aux plaisirs du goût. […] L’excès est poussé jusqu’au ridicule ; là l’hyperbole dégénère en enflure. […] Autrement elle a le résultat de toutes tentatives insuffisantes pour exprimer une figure de passion, de jeter du ridicule sur l’auteur en laissant le lecteur froid et entièrement étranger à l’émotion qu’il veut produire. […] Les passions n’entrent plus si facilement en jeu : l’avocat est écouté plus froidement ; il est surveillé par un œil sévère, et s’exposerait au ridicule s’il essayait ce ton véhément qui ne convient qu’aux assemblées nombreuses.