Mais, au lieu d’une narration suivie, il choisit la méthode plus libre des récits détachés.
Sous l’illusion légère du costume espagnol, aucun livre n’est plus français que Gil Blas : français par la vie sociale dont il est le tableau, par la marche rapide de la narration, par l’ironie légère qui y circule, par la grâce aisée d’un style naturel et aimable. […] Modèle de narration simple, rapide, élégante, l’ouvrage de Voltaire (1731) marque en outre l’avènement de l’esprit moderne dans l’histoire.
Mais, quoiqu’on puisse donner pour modèle un discours dans lequel ces parties, distribuées selon l’usage, tendent au but commun de la persuasion : l’exorde, par sa modestie et sa douceur insinuante ; l’exposition, par la clarté d’une division régulière et complète ; la narration, par son adresse et son air d’ingénuité ; la preuve, par sa solidité, sa vigueur, et sa rapidité pressante ; la réfutation, par la dextérité des tours, la force des répliques et la chaleur des mouvements ; la confirmation, par un accroissement de force et d’énergie ; la conclusion, par cet éclat qui part des moyens rassemblés ; la péroraison, par des mouvements d’indignation et de douleur, quand la cause en est susceptible, ou par la séduction d’un pathétique doux et pénétrant sans violence, quand la cause ne donne lieu qu’à la commisération ; le rhéteur ne laissera pas d’avertir son disciple que c’est au sujet à prescrire l’économie du discours, à décider du nombre, de la distribution, du caractère de ses parties, et que non-seulement sous différentes formes un discours peut être éloquent, mais que, pour l’être autant qu’il est possible il ne doit jamais affecter que la forme qui lui convient. […] Alors il sentira si son exorde doit être véhément ou timide ; si son exposition ou sa narration exige la simplicité, la modestie, ou la magnificence ; si dans la preuve il lui faut insister sur le principe ou sur les conséquences ; si dans la réfutation il doit agir de viré force, ou ruiner insensiblement les moyens de son adversaire, employer l’artifice de l’insinuation, ou le tranchant du syllogisme, ou les entraves du dilemme, ou le piège de l’induction ; si le caractère de sa péroraison doit être la véhémence et l’énergie, ou la douceur de la séduction, un pathétique violent et brûlant, ou cette sensibilité modérée qui fait couler de douces larmes, ou cette douleur déchirante qui pénètre dans tous les cœurs. […] Après cela, l’Ecriture ne vous surprendra plus ; ce sont presque les mêmes coutumes, les mêmes narrations, les mêmes images des grandes choses, les mêmes mouvements.
Tout contrefacteur ou débitant de contrefaçons de cet Ouvrage sera poursuivi conformément aux lois. Toutes mes Editions sont revêtues de ma griffe. Avant-propos. Le succès toujours croissant de la nouvelle Méthode, à laquelle ce Cours est adapté, nous dispense d’en faire l’éloge, et d’ajouter un tardif et obscur hommage aux suffrages éminents qui l’ont accueillie dès son apparition. En offrant au public ce recueil, nous n’avons point la prétention chimérique de suivre pas à pas la théorie de l’auteur, de présenter chacun des exercices qui composent notre ouvrage, comme le développement spécial d’une règle de la Méthode.
Voilà l’histoire en peu de mots : pour moi, j’aime les relations où l’on ne dit que ce qui est nécessaire ; où l’on ne s’écarte point ni à droite ni à gauche ; où l’on ne reprend point les choses de si loin ; enfin je crois que c’est ici, sans vanité, le modèle des narrations agréables.
Ces narrations importunent d’ordinaire, parce qu’elles ne sont pas attendues ; mais celles qui se font des choses qui arrivent et se passent derrière le théâtre depuis l’action commencée font toujours un meilleur effet, parce qu’elles sont attendues avec quelque curiosité et font partie de cette action qui se représente. Une des raisons qui donnent tant d’illustres suffrages à Cinna pour le mettre au-dessus de ce que j’ai fait, c’est qu’il n’y a aucune narration du passé, celle qu’il fait de sa conspiration à Émilie étant plutôt un ornement qui chatouille l’esprit des spectateurs qu’une instruction nécessaire de particularités qu’ils doivent savoir et imprimer dans leur mémoire pour l’intelligence de la suite. […] Mais, avant que d’entrer dans la narration de ces troubles, il est à propos de dire comme les choses se gouvernaient dans le cabinet.
Pour moi, j’aime les narrations où l’on ne dit que ce qui est nécessaire, où l’on ne s’écarte point ni à droite ni à gauche, où l’on ne reprend point les choses de si loin : enfin je crois que c’est ici, sans vanité, le modèle des narrations agréables. […] Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l’interrupteur : « Je n’avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d’original819 : je l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai fort interrogé, et qui ne m’a caché aucune circonstance. » Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée, lorsque l’un des conviés lui dit : « C’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade. » (Les Caractères : De la société et de la conversation.) […] Mais le style de ce petit ouvrage est un modèle d’élégance aisée et naturelle, et l’on ne trouverait guère de narrations tout ensemble plus gaies, plus fines et qui semblent avoir coûté moins de peine à l’auteur, que celles qui remplissent les meilleures pages des Mémoires : c’est à ce titre qu’il faut garder à ce livre un souvenir.