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26. (1876) Traité de versification latine, à l'usage des classes supérieures (3e éd.) « PREMIÈRE PARTIE. DE L'ÉLÉGANCE LATINE. — CHAPITRE I. De la propriété des mots. » pp. 2-8

Il importe avant tout, pour bien entendre la langue latine, pour parler et écrire d’une manière pure et élégante, de connaître à fond la propriété des mots, leur sens propre et figuré, leurs synonymes. […] Les mots simples ou primitifs sont, si l’on peut dire ainsi, les premiers nés d’une langue ; ce sont des mots formés de racines primitives2, appartenant à une langue plus ancienne, et servant à former d’autres mots par l’addition de nouvelles lettres ou de nouvelles syllabes. […] Ce sont elles aussi qui répandent le plus d’intérêt dans l’étude des langues, en nous faisant remonter à l’origine des mots, et en établissant entre chacun d’eux les rapports les plus intimes. […] Les racines primitives sont des mots d’une seule syllabe appartenant à une langue primitive et servant de base à tous les mots de formation plus recente. […] Les terminaisons sont des lettres ou des syllabes ajoutées, dans chaque langue, à la fin des mots radicaux, pour en exprimer les différentes modifications.

27. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section cinquième. La Tribune académique. — Chapitre premier. »

Quoique le terme académie se soit génériquement étendu à toutes les associations savantes, nous n’entendons parler ici que de celles qui s’occupent spécialement des progrès et du perfectionnement de la langue, et qui ont pour objet toutes les matières de grammaire, de poésie et d’éloquence. Fidèles aux vœux de leur institution, les premiers académiciens se firent un devoir de le respecter, et rendirent à la langue française des services aussi réels que mal appréciés depuis. Renfermés uniquement dans le cercle de leurs fonctions grammaticales, ces modestes et laborieux écrivains bornaient leur gloire à épurer, à fixer la langue par de sages observations, ou par des ouvrages utiles ; et lorsqu’ils proposaient des prix à l’éloquence ou à la poésie, c’était toujours quelque trait de morale, ou l’éloge de Louis XIV. De tels sujets pouvaient ne pas ouvrir une carrière très vaste au génie du poète ou de l’orateur ; mais ils n’offraient pas du moins à leur imagination les écarts dangereux qui devaient bientôt outrager l’éloquence, la langue et la raison.

28. (1811) Cours complet de rhétorique « Notes. »

Ce n’est point assez, pour se placer au rang des modèles, d’ouvrir une route nouvelle ; il faut voir où cette route peut conduire les imitateurs tentés de la suivre : il ne suffit pas de créer un nouveau genre, il faut examiner si ce genre nouveau est une richesse littéraire de plus : c’est peu enfin d’introduire dans le style, des formes qu’il ne connaissait pas, et dont Fénelon, Voltaire, Buffon et Rousseau n’ont pas eu besoin pour assurer à notre langue l’empire qu’elle exercera à jamais sur toutes les langues modernes ; sans quoi l’on appauvrit la langue, au lieu de l’enrichir. […] La langue poétique y perdit, il est vrai, quelque chose de la correction difficile et de la sévère élégance où elle était parvenue ; mais elle étendit le cercle de ses attributions ; elle tenta d’exprimer, et elle exprima avec succès des choses rebelles jusqu’alors à la poésie. […] Les physiciens entendirent avec surprise la poésie leur parler leur langue, publier leurs découvertes ; et peut-être les systèmes mêmes du grand Newton, jusqu’alors peu connus en France, durent-ils aux beaux vers de Voltaire une partie de leur célébrité. […] On sait trop quel jargon scientifique, quelle morale sèche et guindée remplacèrent le langage de la raison et de la science ; et quelle langue barbare, quel néologisme ridicule succédèrent au langage harmonieux que la poésie avait prêté un moment aux sciences naturelles. […] On peut dire de lui ce que Johnson disait de Spencer, qu’il n’avait point écrit une langue, mais employé ce que Buttler appelait un dialecte babylonien (par allusion à la tour de Babel).

29. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre XVII. les qualités essentielles du style. — propriété, précision, naturel  » pp. 230-239

Sous ce rapport, il manque encore à notre langue un bon dictionnaire, où chaque mot soit ainsi analysé, c’est-à-dire, saisi d’abord à son origine, et décrit dans toutes ses variations matérielles et morales, jusqu’à sa mort, s’il disparaît ; jusqu’à nous, s’il survit ; le tout appuyé d’exemples significatifs tirés des meilleurs auteurs. […] « S’il y avait des synonymes parfaits, dit Dumarsais, il y aurait deux langues dans une même langue. […] Toute langue est une philosophie, et une langue parfaite serait la vérité même. » Enfin, pour parvenir à la clarté, il faut, avons-nous dit, réunir à la pureté et à la propriété la précision, et le naturel ou la vérité du style. […] Les efforts tentés au xvie pour rapprocher le français de la majesté des langues anciennes avaient été infructueux.

30. (1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Première partie - Préceptes généraux ou De la composition littéraire. — Chapitre troisième. De l’élocution. »

Il n’y a pas de synonymes parfaits dans les langues, a dit Lamotte. […] La langue ne lui fournissait pas un mot propre aux émanations de la gloire divine. […] Mais, il n’y a pas d’expressions meilleures dans la langue et il faut bien s’en servir. […] La langue française se prête à l’harmonie imitative. […] Il faut toutefois excepter le cas où le naturel s’accorde avec la langue pour égayer le lecteur.

31. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — De Maistre, 1753-1821 » pp. 377-387

De Maistre 1753-1821 [Notice] Né à Chambéry, dans une province où notre langue fut souvent parlée avec distinction, patricien de vieille roche, ancien sénateur du Piémont, représentant d’un souverain à demi-dépouillé, ministre plénipotentiaire de Sardaigne à la cour de Russie, Joseph de Maistre voua une haine mortelle à toutes les idées de la révolution, et s’instituant le défenseur du droit divin sous toutes ses formes, recula jusqu’aux siècles des Grégoire VII et des Innocent III. […] Toujours affamés de succès et d’influence, on dirait que vous ne vivez que pour contenter ce besoin ; et comme une nation ne peut avoir reçu une destination séparée du moyen de l’accomplir, vous avez reçu ce moyen dans votre langue, par laquelle vous régnez bien plus que par vos armes, quoiqu’elles aient ébranlé l’univers. L’empire de cette langue ne tient point à ses formes actuelles : il est aussi ancien que la langue même ; et déjà, dans le treizième siècle, un Italien écrivait en français l’histoire de sa patrie, « parce que la langue française courait parmi le monde, et était plus dilettable à lire et à oïr que nulle autre1 ». […] On peut comparer à ce morceau la dissertation de Rivarol sur les mérites de la langue française. […] Outre ses frontières visibles, la grande nation a des frontières invisibles qui ne s’arrêtent que là où le genre humain cesse de parler sa langue, c’est-à dire aux bornes mêmes du monde civilisé.

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