Quel champ couvert de morts me condamne au silence ? figure alors ; car toute cette tristesse d’Agamemnon n’est dans la pensée de Clytemnestre qu’une odieuse hypocrisie ; elle sait fort bien qu’il n’y a eu ni combats, ni flots de sang, ni débris, ni champs couverts de morts, et qu’il n’y a point de réponse possible à ses questions.
En entrant dans le vaste champ des productions littéraires, j’ai présenté un tableau raccourci des quatre siècles, appelés par excellence les siècles des Arts.
Mais ces débordements de parricides ; ces champs empestés ; ces montagnes de morts privés d’honneurs suprêmes, et que la nature force à se venger ; ces troncs pourris, qui font la guerre au reste des vivants, ont été regardés comme une véritable enflure. […] Tels sont les mots faut-il vous rappeler, dans ces beaux vers de la Tragédie d’Athalie, par Racine : Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours Des prodiges fameux accomplis en nos jours ; Des tyrans d’Israëla les célèbres disgrâces, Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces ; L’impie Achabb détruit, et de son sang trempé Le champ que par le meurtre il avait usurpé ; Près de ce champ fatal, Jezabelc immolée, Sous les pieds des chevaux cette Reine foulée ; Dans son sang inhumain les chiens désaltérés, Et de son corps hideux les membres déchirés ; Des Prophètes menteurs la troupe confondue, Et la flamme du ciel sur l’autel descendue ; Elled aux éléments parlant en souverain ; Les cieux par lui fermés et devenus d’airain ; Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée ; Les morts se ranimant à la voix d’Éliséee ? […] Virgile emploie cette figure, lorsqu’en parlant de l’Amazone Camille a, il dit pour exprimer sa légèreté à la course : « Plus rapide que le vent, elle aurait pu voler sur un champ couvert d’herbes hautes ou d’épis, sans les faire plier sous ses pas, ou se frayer une route au milieu de la mer, et courir sur les flots, sans mouiller ses pieds légers. » Malherbe, dans son Ode à Louis XIII, dit aussi par hyperbole, pour peindre les temps heureux qu’il lui promet : La terre en tous endroits produira toutes choses ; Tous métaux seront or, toutes fleurs seront roses ; Tous arbres oliviers.
N’avez-vous jamais remarqué que, sur le champ de mort, l’homme ne désobéit jamais ? […] Les puissants écrivains, les nobles poëtes, les maîtres éminents qui sont parmi vous, regardent avec douceur et avec joie de belles renommées surgir de toutes parts dans le champ éternel de la pensée.
L’élite des esprits sera moins brillante ; mille et mille esprits sortiront de leur indigence intellectuelle, et dans ce genre aussi la petite propriété, héritant de la grande, deviendra le plus ferme rempart de la société, qui n’est mise en péril que par ceux qui ne possèdent rien dans le champ des connaissances et des idées. […] Quelles charmantes matinées que celles qu’on passerait, par un beau soleil, dans une allée bien sombre, au milieu de ce bruit des champs, immense, confus, et pourtant si harmonieux et si doux, à relire tantôt une tragédie de Racine, tantôt l’histoire des origines du monde, racontées par Bossuet avec une grâce si majestueuse !
Ainsi l’idée de guerre nous rappelle tout ce qui l’accompagne : la mêlée sanglante, les champs dévastés, les villes ruinées, la douleur des familles ; ou bien encore la patrie sauvée, la gloire des vainqueurs.