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114. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — La Bruyère, 1646-1696 » pp. 155-177

Se faire valoir par des choses qui ne dépendent point des autres ; mais de soi seul, ou renoncer à se faire valoir : maxime inestimable et d’une ressource infinie dans la pratique, utile aux faibles, aux vertueux, à ceux qui ont de l’esprit, qu’elle rend maîtres de leur fortune ou de leur repos ; pernicieuse pour les grands et qui diminuerait leur cour, ou plutôt le nombre de leurs esclaves ; qui ferait tomber leur morgue avec une partie de leur autorité, et les réduirait presque à leurs entremets et à leurs équipages ; qui les priverait du plaisir qu’ils sentent à se faire prier, presser, solliciter, à faire attendre ou à refuser, à promettre et à ne pas donner ; qui les traverserait dans le goût qu’ils ont quelquefois à mettre les sots en vue, et à anéantir le mérite quand il leur arrive de le discerner ; qui bannirait des cours les brigues, les cabales, les mauvais offices, la bassesse, la flatterie, la fourberie ; qui ferait d’une cour orageuse, pleine de mouvements et d’intrigues, comme une pièce comique ou même tragique, dont les sages ne seraient que les spectateurs ; qui remettrait de la dignité dans les différentes conditions des hommes, de la sérénité sur leurs visages ; qui étendrait leur liberté ; qui réveillerait en eux, avec les talents naturels, l’habitude du travail et de l’exercice ; qui les exciterait à l’émulation, au désir de la gloire, à l’amour de la vertu ; qui, au lieu de courtisans vils, inquiets, inutiles, souvent onéreux à la république, en ferait ou de sages économes ou d’excellents pères de famille, ou des juges intègres, ou de bons officiers, ou de grands capitaines, ou des orateurs, ou des philosophes ; et qui ne leur attirerait à tous nul autre inconvénient que celui peut-être de laisser à leurs héritiers moins de trésors que de bons exemples1. […] Une naissance auguste, un air d’empire et d’autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressés de voir le prince6, et qui conserve le respect dans le courtisan ; une parfaite égalité d’humeur ; un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la permettre point1 : ne faire jamais ni menaces ni repròches ; ne point céder à la colère, et être toujours obéi ; l’esprit facile, insinuant ; le cœur ouvert, sincère, et dont on croit voir le fond, et ainsi très-propre à se faire des amis, des créatures et des alliés ; être secret toutefois, profond et impénétrable dans ses motifs et dans ses projets ; du sérieux et de la gravité dans le public ; de la brièveté, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux ambassadeurs des princes, soit dans les conseils ; une manière de faire des grâces2 qui est comme un second bienfait ; le choix des personnes que l’on gratifie ; le discernement des esprits, des talents et des complexions3, pour la distribution des postes et des emplois ; le choix des généraux et des ministres ; un jugement ferme, solide, décisif dans les affaires, qui fait que l’on connaît le meilleur parti et le plus juste ; un esprit de droiture et d’équité qui fait qu’on le suit jusqu’à prononcer quelquefois contre soi-même en faveur du peuple, des alliés, des ennemis ; une mémoire heureuse et très-présente qui rappelle les besoins des sujets, leurs visages, leurs noms, leurs requêtes ; une vaste capacité qui s’étende non-seulement aux affaires de dehors, au commerce, aux maximes d’État, aux vues de la politique, au reculement des frontières par la conquête de nouvelles provinces, et à leur sûreté par un grand nombre de forteresses inaccessibles ; mais qui sache aussi se renfermer au dedans, et comme dans les détails4 de tout un royaume ; qui en bannisse un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté, s’il s’y rencontre ; qui abolisse des usages cruels et impies5, s’ils y règnent ; qui réforme les lois et les coutumes6, si elles étaient remplies d’abus ; qui donne aux villes plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement d’une exacte police, plus d’éclat et plus de majesté par des édifices somptueux ; punir sévèrement les vices scandaleux ; donner, par son autorité et par son exemple, du crédit à la piété et à la vertu ; protéger l’Église, ses ministres, ses droits, ses libertés1 ; ménager ses peuples comme ses enfants2 ; être toujours occupé de la pensée de les soulager, de rendre les subsides légers, et tels qu’ils se lèvent sur les provinces sans les appauvrir ; de grands talents pour la guerre ; être vigilant, appliqué, laborieux ; avoir des armées nombreuses, les commander en personne ; être froid dans le péril3, ne ménager sa vie que pour le bien de son État, aimer le bien de son État et sa gloire plus que sa vie ; une puissance très-absolue, qui ne laisse point d’occasion aux brigues, à l’intrigue et à la cabale ; qui ôte cette distance infinie4 qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui les rapproche, et sous laquelle tous plient également ; une étendue de connaissances qui fait que le prince voit tout par ses yeux, qu’il agit immédiatement par lui-même, que ses généraux ne sont, quoique éloignés de lui, que ses lieutenants, et les ministres que ses ministres ; une profonde sagesse qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincre et user de la victoire, qui sait faire la paix, qui sait la rompre, qui sait quelquefois, et selon les divers intérêts, contraindre les ennemis à la recevoir ; qui donne des règles à une vaste ambition, et sait jusqu’où l’on doit conquérir ; au milieu d’ennemis couverts ou déclarés, se procurer le loisir des jeux, des fêtes, des spectacles ; cultiver les arts et les sciences, former et exécuter des projets d’édifices surprenants ; un génie enfin supérieur et puissant qui se fait aimer et révérer des siens, craindre des étrangers ; qui fait d’une cour, et même de tout un royaume, comme une seule famille unie parfaitement sous un même chef, dont l’union et la bonne intelligence est redoutable au reste du monde.

115. (1876) Traité de versification latine, à l'usage des classes supérieures (3e éd.) « SECONDE PARTIE. DE LA VERSIFICATION LATINE. — CHAPITRE IV. De la composition des vers. » pp. 295-331

Ce n’est pas assez de changer et d’ajouter des mots, il faut aussi étendre la matière en y ajoutant des idées nouvelles qui intéressent le lecteur, qui lui plaisent et excitent son admiration. […] Horace a su l’étendre au moyen d’une périphrase : Pallida Mors æquo pulsat pepe pauperum tabernas Regumque turres.

116. (1866) Cours élémentaire de rhétorique et d’éloquence (5e éd.)

Ce sujet est extrêmement vaste et s’étend pour ainsi dire à toutes les parties de la rhétorique. […] Le magistrat ne s’exprime pas comme le simple citoyen, et celui dont la réputation s’étend au loin peut se permettre bien des choses qui seraient ridicules dans la bouche d’un homme obscur. […] Dans ce cas, la narration constitue le fond perpétuel de tout l’ouvrage, et l’orateur sera véhément, sublime, simple, concis ou étendu, suivant les actions qu’il décrit et l’effet qu’il veut produire. […] C’est aussi un défaut de s’étendre outre mesure sur une partie et de passer légèrement sur les autres. […] 4º Pour appeler ou attirer, le bras s’étend vers celui à qui l’on parle, et ensuite la main tournée tout à fait en dedans rame vers l’orateur.

117. (1881) Morceaux choisis des classiques français des xvie , xviie , xviiie et xixe siècles, à l’usage des classes de troisième, seconde et rhétorique. Prosateurs

Il est certain, d’autre part, qu’il fallait leur donner, par quelques exemples, un avant-goût de la correspondance de Voltaire sans les laisser attendre le choix étendu que leur réserve spécialement la classe de rhétorique. […] Il voit qu’il n’y a pas tant de sujets de louange à étendre de cent lieues les bornes d’un royaume qu’à diminuer un sou de taille, et qu’il y a moins de grandeur et de véritable gloire à défaire cent mille hommes qu’à en mettre vingt millions à leur aise et en sûreté. […] Jamais mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées, et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. […] Si nous ne pouvons la renfermer dans ces deux heures, prenons-en quatre, six, dix : mais ne passons pas de beaucoup les vingt-quatre heures, de peur de tomber dans le dérèglement et de réduire tellement le portrait en petit, qu’il n’ait plus ses dimensions proportionnées et ne soit qu’imperfection… Quant à l’unité de lieu, je n’en trouve aucun précepte dans Aristote ni dans Horace : c’est ce qui porte quelques-uns à croire que la règle ne s’en est établie qu’en conséquence de l’unité de jour, et à se persuader ensuite qu’on le peut étendre jusques où un homme peut aller et revenir en vingt-quatre heures.

118. (1866) Morceaux choisis des classiques français, à l’usage des classes supérieures : chefs d’œuvre des prosateurs et des poètes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouvelle édition). Classe de seconde

Il voit qu’il n’y a pas tant de sujets de louange à étendre de cent lieues les bornes d’un royaume qu’à diminuer un sou de taille, et qu’il y a moins de grandeur et de véritable gloire à défaire cent mille hommes qu’à en mettre vingt millions à leur aise et en sûreté. […] Il connaît la sagesse humaine, toujours courte101 par quelque endroit : il l’éclairé, il étend ses vues, et puis il l’abandonne à ses ignorances ; il l’aveugle, il la précipite, il la confond par elle-même : elle s’enveloppe, elle s’embarrasse dans ses propres subtilités, et ses précautions lui sont un piège. […] Le mauvais riche nous fait bien connaître qu’outre cette ardeur furieuse qui étend les mains aux violences, elle139 a encore sa dureté qui ferme les oreilles aux plaintes, les entrailles à la compassion et les mains aux secours. […] Quand j’avance que vous êtes chargés du soin de conserver ce bon goût dans les ouvrages d’esprit, je ne prétends point, par une témérité inconsidérée, étendre nos fonctions au-delà de leurs justes bornes, ni soutenir qu’au sortir de nos écoles ceux qui s’y sont formés soient parvenus à tout ce qu’il y a presque de plus difficile au monde, c’est-à-dire soient des orateurs, des poètes, des philosophes parfaits. […] Quand le lac agité ne me permettait pas la navigation, je passais mon après-midi à parcourir l’île en herborisant à droite et à gauche, m’asseyant tantôt dans les réduits les plus riants et les plus solitaires pour rêver à mon aise, tantôt sur les terrasses et les tertres, pour parcourir des yeux le superbe et ravissant coup d’œil du lac et de ses rivages, couronnés d’un côté par des montagnes prochaines, et, de l’autre, élargis en riches et fertiles plaines, dans lesquelles la vue s’étendait jusqu’aux montagnes bleuâtres plus éloignées qui la bornaient.

119. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Principes de rhétorique. — Chapitre IV. »

Un écrivain, quand il raisonne, a soin de déguiser l’argument, de l’embellir, de l’étendre ; il change l’ordre des propositions à son gré.

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