Nature au front serein, comme vous oubliez !
Lucrèce, écoutez-moi ; car vous n’oubliez pas Que je vous ai longtemps portée entre mes bras1 : Votre mère mourut quand vous veniez de naître ; Je vous donnai mon lait, sur l’ordre de mon maître2 ; Je ne vous quittai plus ; je bénis le destin, Lorsqu’il vous fit entrer au lit de Collatin ; C’est pourquoi laissez-moi parler. — Que vos esclaves Filent pour votre époux les robes laticlaves3 ; Je les ferai veiller jusqu’au chant de l’oiseau De qui la voix sacrée annonce un jour nouveau.
Réduite à aller glaner pour vivre, Ruth se dévoue courageusement à ce genre nouveau de fatigue ; il s’agit de sa mère, tout est oublié : Le jour à peine luit, Qu’au champ du vieux Booz le hasard la conduit.
Toutes les fois, au contraire, que la rime peut se perdre entre deux repos, il en résulte une variété charmante qui fait oublier le poète, et fixe l’attention sur sa pensée. […] Mais souvenez-vous qu’on doit D’une licence heureuse user avec prudence, Et n’oublier jamais que c’est une licence.
Quoiqu’en effet tous les grands hommes qui passent sous nos yeux, dans cette immense revue de tant de siècles, n’aient pas tenu peut-être le langage que leur prête l’historien, il est clair cependant qu’il a adapté leurs discours à leur caractère connu, et que, s’il a quelquefois substitué sa pensée à la leur, il en a si bien pris l’esprit et le style en général, que nous retrouvons facilement l’un et l’autre ; et que nous oublions sans effort l’auteur qui écrit, pour n’entendre que le héros qui parle ; et ce qui le prouve d’une manière qui nous paraît sans réplique, c’est qu’à chacune de ces grandes époques qui divisent les temps, moins encore par le nombre des années, que par les progrès de la civilisation et le développement des connaissances, nous trouvons dans ces mêmes harangues un tableau fidèle et des mœurs du siècle et du caractère particulier du pays.