Ce fut une méprise plutôt qu’une faveur de la Providence, de vous avoir fait double part d’un bien dont elle est si avare, et prodigue ce qu’elle ménage au petit nombre de ses favoris… Vous ne désireriez rien si vous n’eussiez jamais eu d’autre enfant qu’Édouard, et vous trouveriez en lui tout ce qu’une mère peut demander au ciel… Faut-il donc qu’un bonheur si rare, si réel, dont il ne tient qu’à vous de jouir, soit empoisonné par le rêve d’un bonheur encore plus grand ; que, pour un trésor perdu, vous négligiez ceux qui vous restent ; qu’un enfant qui n’est plus vous fasse oublier celui qui vous tend les bras ; que la mémoire seule de Sophie ait plus de pouvoir sur vous que la présence d’Édouard, et que les larmes dont vous arrosez une cendre inanimée vous rendent insensible à celles que votre fils répand sur vous... ? […] La ville de Thessalonique a vu ce qui, de mémoire d’homme, n’était arrivé jamais : ce qu’il n’a pas été en mon pouvoir d’empêcher ce que je vous avais à l’avance représenté tant de fois comme un crime énorme, et ce que vous même devez vous reprocher comme une cruauté sans excuse. […] Un grand écrivain ne se fait pas aimer seulement par son style et son génie ; il nous devient plus cher s’il possède la vertu, s’il est homme de bien, mémoire de Fénélon est en vénération parmi nous autant par ses grandes qualités que par ses immortels ouvrages. […] … Oui, chère ombre, tant que la mémoire aura un asile dans ma tête éperdue. […] il faut laisser les morts en paix et ne flétrir point leur mémoire.
Mais l’abus ne pouvant sitôt se corriger, Qu’on me laisse à mon gré, n’aspirant qu’à la gloire, Des titres du Parnasse ennoblir(a) ma mémoire, Et primer dans un art plus au-dessus du droit, Plus grave, plus sensé, plus noble qu’on ne croit. […] C’est bien assez pour moi de l’opprobre éternel D’avoir pu mettre au jour un fils si criminel, Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire, De mes nobles travaux vienne souiller la gloire. […] Si d’un heureux hymen la mémoire t’est chère ; Montre au fils à quel point tu chérissois le père. » Et je puis voir répandre un sang si précieux ? […] Je puis choisir, dit-on, ou beaucoup dans sans gloire, On peu de jours suivis d’une longue mémoire. […] Tu t’en souviens, Cinna, tant d’heur et tant de gloire Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire.
Mânes de Drusus, mon père, dont tout rappelle ici la mémoire, n’employez, pour laver cet affront, que ces mêmes soldats, déjà pénétrés de repentir, et enflammés de l’amour de la gloire.
Citons cette belle période de Fléchier, chef-d’œuvre d’harmonie et d’éloquence ; elle est tirée de l’exorde de l’Oraison funèbre de Turenne : Cet homme, qui portait la gloire de sa nation jusqu’aux extrémités de la terre, | qui couvrait son camp du bouclier et forçait celui des ennemis avec l’épée ; || qui donnait à des rois ligués contre lui des déplaisirs mortels, | et réjouissait Jacob par ses vertus et par ses exploits, dont la mémoire doit être éternelle ; || cet homme qui défendait les villes de Juda, qui domptait l’orgueil des enfants d’Ammon et d’Ésaü, qui revenait chargé des dépouilles de Samarie, après avoir brûlé sur leurs propres autels les dieux des nations étrangères ; || cet homme que Dieu avait mis autour d’Israël, comme un mur d’airain où se brisèrent tant de fois toutes les forces de l’Asie, | et qui, après avoir défait de nombreuses armées, déconcerté les plus fiers et les plus habiles généraux des rois de Syrie, venait tous les ans, comme le moindre des Israélites, réparer avec ses mains triomphantes les ruines du sanctuaire, et ne voulait d’autre récompense des services qu’il rendait à sa patrie, que l’honneur de l’avoir servie ; || ce vaillant homme poussant enfin, avec un courage invincible, les ennemis qu’il avait réduits à une fuite honteuse, recul le coup mortel et demeura comme enseveli dans son triomphe.
C’est ainsi que des arts la renaissante gloire De tes illustres soins ornera la mémoire ; Et que ton nom, porté dans cent travaux pompeux, Passera triomphant à nos derniers neveux.