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2. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Jean-Jacques Rousseau, 1712-1778 » pp. 313-335

L’homme qui a plus vécu n’est pas celui qui a compté le plus d’années, mais celui qui a le plus senti la vie. […] L’ignorant qui ne prévoit rien sent peu le prix de la vie, et craint peu de la perdre ; l’homme éclairé voit des biens d’un plus grand prix qu’il préfère à celui-là. […] C’est à Paris que je l’étais, c’est à Paris qu’une bile noire rongeait mon cœur ; et cette bile ne se fait que trop sentir dans tous les écrits que j’ai publiés jusqu’à ce jour. […] Ils ont eu un songe confus, uniforme, et sans aucune suite ; ils sentent néanmoins, comme ceux qui s’éveillent, qu’ils ont dormi longtemps. […] « Cette lenteur de penser, jointe à cette vivacité de sentir, je ne l’ai pas seulement dans la conversation, je l’ai seul quand je travaille.

3. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Saint-Marc Girardin. Né en 1801. » pp. 534-541

Cette loyauté d’enseignement, si je puis ainsi parler, qui fait honneur au professeur, n’honore pas moins un auditoire capable d’en sentir le prix. […] Combien de choses senties et qui ne sont pas nommées ! J’avoue que je n’ai jamais su dire ce que j’ai senti dans l’Andrienne de Térence et la Vénus de Médicis. […] On ne retient presque rien sans le secours des mots, et les mots ne suffisent presque jamais pour rendre pleinement ce que l’on sent. […] Cet éclair n’est pas la chose qu’il sent, mais on l’aperçoit à la lueur.

4. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section première. La Tribune politique. — Chapitre premier. »

Nous sentons bien, et l’on sentira comme nous, que cette dernière qualité exige et suppose plus que de l’éloquence ; qu’elle demande tout le courage de la vertu, toute l’énergie du vrai talent. […] Au reste, la grande et peut-être l’unique règle de l’éloquence populaire, est de s’accommoder au naturel, au génie, au goût du peuple à qui l’on parle : c’est ce que Démosthène et Cicéron avaient parfaitement senti, et ce qu’ils ont scrupuleusement observé. […] On sent tout ce qu’il y aurait d’absurdité à s’exprimer avec véhémence sur un sujet peu important, ou qui demande par sa nature une discussion paisible. […] Lors même que la véhémence est justifiée par le sujet, et secondée par le génie de l’orateur ; lorsqu’elle est sentie et non pas feinte, il faut prendre garde encore qu’elle ne nous emporte trop loin, et ne nous fasse franchir les bornes de la prudence et la limite délicate des bienséances. […] Que le plaisir de nous entendre parler ne nous fasse jamais oublier que les auditeurs sont faciles à lasser ; que l’inconstance et la légèreté du plus grand nombre ne leur permettent pas de donner, à rien de sérieux, une attention longtemps suivie ; et lorsqu’une fois cette lassitude commence à se faire sentir, tout l’effet de notre éloquence devient absolument nul.

5. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Chapitre II. Moyens de se préparer à la composition. »

Plus l’âme est cultivée, plus elle sent sa noblesse, mieux elle comprend Dieu, mieux elle sait goûter ce qui est beau et bon. […] La jeunesse doit aussi s’exercer à sentir, à apprécier, à juger les beaux-arts, quand même elle ne serait pas appelée à les cultiver. […] Enfin, descendons au fond de notre âme, pour y sentir palpiter et vivre cette partie immortelle de nous-mêmes, qui nous rapproche de Dieu. […] Celui qui sent vivement, exprime sa pensée avec énergie, avec chaleur ; il s’inspire en composant ; son sujet lui apparaît avec des couleurs variées, sa pensée se produit par de vives et brillantes images. […] Une personne d’un goût sûr et délicat saisit vivement les beautés et les imperfections d’un ouvrage ; un instinct de l’âme les lui fait sentir ; la réflexion s’y mêle, et le jugement suit aussitôt.

6. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Fénelon, 1651-1715 » pp. 178-204

Les hommes de tous les pays et de tous les temps, quelque éducation qu’ils aient reçue, se sentent invinciblement assujettis à penser et à parler de même. […] Ne vous laissez point obséder par des esprits flatteurs et insinuants ; faites sentir que vous n’aimez ni les louanges, ni les bassesses. […] Faites voir que vous pensez et que vous sentez tout ce que vous devez penser et sentir. […] Il pense, il sent. […] Dans tous les membres de ce corps on sent couler une vie énergique.

7. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section quatrième. Genre Démonstratif. Les Panéryriques. — Chapitre VIII. De l’Oraison funèbre. »

Bossuet l’a senti : voyez aussi avec quelle énergie il relève les destinées et les espérances de l’homme, que la première partie de ce bel exorde venait d’accabler de l’idée de son néant. […] Il s’agit de la princesse qui est l’objet de l’oraison funèbre que nous analysons : « Affable à tous avec dignité, elle savait estimer les uns sans fâcher les autres ; et quoique le mérite fût distingué, la faiblesse ne se sentait point dédaignée. […] On ne s’apercevait presque pas qu’on parlât à une personne si élevée : on sentait seulement au fond de son cœur qu’on eût voulu lui rendre au centuple la grandeur dont elle se dépouillait si obligeamment. […] Très reconnaissante des services, elle aimait à prévenir les injures par sa bonté ; vive à les sentir, facile à les pardonner. […] le charme de sentir est-il si fort que nous ne jouissions rien prévoir ?

8. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Madame de Staël, 1766-1817 » pp. 399-408

Ils appellent exagéré tout ce qu’ils ne sentent pas, et disent qu’on est monté sur des échasses, alors qu’on est plus grand qu’eux2. […] Ne faut-il pas, pour admirer l’Apollon, sentir en soi-même un genre de fierté qui foule aux pieds tous les serpents de la terre ? […] Ont-ils alors senti le mystère de l’existence, dans cet attendrissement qui réunit nos deux natures, et confond dans une même jouissance les sensations et l’âme ? […] Mais pensent-ils avoir senti tout ce qu’inspire une tragédie vraiment belle, ces hommes pour qui la peinture des affections les plus profondes n’est qu’une distraction amusante ? […] J’ai quelquefois une lassitude de souffrir, que je prends pour du soulagement ; cela va deux ou trois jours, et puis la douleur revient plus vive, parce que j’ai repris des forces pour la sentir.

9. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section troisième. La Tribune sacrée. — Chapitre VI. Massillon. »

S’il est de ces écrivains privilégiés qu’on ne lit point sans être plus content de soi, et sans se trouver meilleur, Massillon est du nombre, plus rare encore, de ceux qu’on n’a jamais quittés sans se sentir plus heureux. […] il faut le connaître et le goûter à loisir, pour sentir tout ce qu’il a d’aimable. Plus vous le connaissez, plus vous l’aimez ; plus vous vous unissez à lui, plus vous sentez qu’il n’y a de véritable bonheur sur la terre, que celui de le connaître et de l’aimer ». […] Il y a cependant quelque différence à observer : Massillon va nous la faire sentir, et les philosophes la jugeront. […] Rapprochons un moment de Masillon un homme dont les philosophes récuseront peut-être l’autorité, par cela seul qu’il a raison ici, et qu’il a eu raison surtout de mépriser certains philosophes, qu’il connaissait bien, et qu’il a peints, comme il peignait tout ce qu’il sentait fortement.

10. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Nisard Né en 1806 » pp. 296-300

Il ajoute de nouveaux modèles à ceux dont il nous fait si bien comprendre et sentir les mérites. […] Tout cela sent le travail prospère et la paix. […] En voyant peint si au vif ce qu’ils ont senti, ils s’exercent à sentir vivement. […] Si par l’étude patiente de ce que leurs paroles expriment ou cachent de sens, vous n’arrivez pas à leurs pensées, si vous ne sentez pas leur cœur dans leurs écrits, c’en est fait, vous êtes à jamais privés des douceurs de leur commerce.

11. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Jean-Jacques Rousseau, 1712-1778 » pp. 185-195

Il eut surtout le mérite de sentir vivement les beautés de la nature. […] Leur gazouillement, faible encore, est plus lent et plus doux que dans le reste de la journée3 : Il se sent 4 de la langueur d’un paisible réveil. […] Cependant, qui ne vous voit pas, n’a rien vu ; qui ne vous goûte pas, n’a jamais rien senti. […] Comme ou sent ici une nature passionnée ! […] Commes tous les traits sont naturels et sentis.

12. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Nisard. Né en 1806. » pp. 585-597

Il ajoute de nouveaux modèles à ceux dont il nous fait si bien comprendre et sentir les mérites. […] Ils sentent déjà la difficulté, et ils craignent la fatigue, que ne paye pas toujours le succès. […] Quant à la liaison, à cette suite et à cette jointure des idées, dont Horace a admiré la puissance en homme qui en avait senti la difficulté, que d’efforts d’attention n’y faut-il pas ! […] En voyant peint si au vif ce qu’ils ont senti, ils s’exercent à sentir vivement. […] On eut peine à savoir la cause de ses pleurs ; on la sut enfin : la pauvre enfant s’ennuyait d’être à la chaîne ; elle se sentait le cou pelé ; elle pleurait de n’être pas loup.

13. (1811) Cours complet de rhétorique « Notes. »

Rousseau, entre autres, et du grand Corneille, du ton sage, mesuré, respectueux même, qu’il adopta depuis dans le Cours de littérature, et l’on sentira tout ce que peut l’empire de la raison dans un esprit bien fait, sur la force des préjugés, et sur les illusions même de l’amour-propre. […] Et cela était rigoureusement vrai : mais il ne l’était pas moins qu’il n’avait rien fait non plus pour étendre son domaine ; et que, sagement renfermé dans les bornes de son talent, il n’a jamais tenté de s’élever à ces beautés neuves et hardies, qui supposent un génie, et exigent des forces qu’il ne se sentait pas. […] Ils avaient senti vivement le charme constamment répandu dans la Jérusalem, et ils se sont crus capables de le faire sentir aux autres : le Tasse a été pour eux un véritable enchanteur ; ils se sont oubliés et méconnus dans son poème, comme Renaud dans les jardins d’Armide. […] Delille se sentait irrésistiblement entraîné ; et l’essai brillant qu’il venait d’en faire dans les Géorgiques, lui réussit également dans le poème des Jardins, ouvrage qu’il n’a jamais surpassé quant aux ornements de détail et à la poésie du style. […] Jamais poète ne s’était élevé si haut pour retomber si bas l’instant d’après ; et peu de lecteurs français s’étaient senti le courage de chercher quelques beautés dans cet amas de folies dégoûtantes ou d’horreurs absurdes.

14. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Saint-Simon, 1675-1755 » pp. 223-233

Souvent réveillée par les cris de son époux, prompte à le secourir, à le soutenir, à l’embrasser, à lui présenter quelque chose à sentir, on voyait un soin vif pour lui, mais tôt après une chute profonde en elle-même, puis un torrent de larmes qui lui aidaient à suffoquer ses cris. […] Au fort de la conversation de ces dames, madame de Castries, qui touchait au lit, le sentit remuer et en fut fort effrayée, car elle l’était de tout quoique avec beaucoup d’esprit. […] On ne peut rendre l’état où il fut quand il le sentit enfin dans toute son étendue. […] Elle avait de la gravité et de la galanterie, du sérieux et de la gaieté ; elle sentait également le docteur, l’évêque et le grand seigneur ; ce qui y surnageait, ainsi que dans toute sa personne, c’était la finesse, l’esprit, les grâces, la décence, et surtout la noblesse. […] C’est-à-dire, qui sentaient leur cabale (leur parti) frappée dans son chef.

15. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Cousin, 1792-1867 » pp. 492-503

On la croirait parvenue à la perfection, si on ne sentait que la force et la grandeur l’abandonnent. […] Sous ces grâces efféminées, sous cette molle élégance on sent la langueur et le dépérissement. […] Quoi qu’il fasse, quoi qu’il sente, quoi qu’il pense, il pense à l’infini, il aime l’infini, il tend à l’infini. […] Sur la route il peut éprouver de vives jouissances ; mais l’amertume secrète qui s’y mêle lui en fait bientôt sentir l’insuffisance et le vide. […] Il le conçoit, il le sent, il le porte pour ainsi dire en lui-même : comment sa fin serait-elle ailleurs ?

16. (1879) L’art d’écrire enseigné par les grands maîtres

On est assez heureux de l’entendre, de sentir ce qu’il dit, et comme il le dit. […] C’est qu’on sent qu’il lui manque une des choses qui devraient animer son discours. […] Mais j’aurais beau vouloir vous parler de ces choses ; il faut les lire pour les sentir. […] Les solécismes, les barbarismes, les sentiments les plus faux, l’ampoulé le plus ridicule ne sont pas sentis pendant un temps, parce que la cabale et le sot enthousiasme du vulgaire causent une ivresse qui ne sent rien. […] Ils en disent du mal, parce qu’ils sentent que si M.

17. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Villemain. Né en 1790. » pp. 479-491

Il sentira vivement leurs fautes ; il en souffrira. […] Le bon goût sentira vivement les beautés naïves et sublimes dont Shakespeare étincelle ; il n’est pas exclusif. […] Comme le sentiment de nos propres forces influe toujours sur nos opinions, le critique sans chaleur et sans imagination sentira faiblement des qualités qui lui sont trop étrangères. […] ………………… Vous avez senti et dignement loué le mérite de votre prédécesseur, vous, Monsieur, dont la carrière, toujours heureuse et facile, a été si différente de la sienne. […] Pourquoi au lieu de leur reprocher aigrement des fautes, n’en choisissons-nous pas de pareilles dans les anciens, dont nous fassions sentir le défaut, et, si l’on veut, tout le ridicule, qui ne les intéresse plus ?

18. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Sainte-Beuve. Né en 1804. » pp. 566-577

Sur la même colline que Virgile, et un peu plus bas, on verrait Xénophon, d’un air simple qui ne sent en rien le capitaine, et qui le fait plutôt ressembler à un prêtre des Muses, réunir autour de lui les attiques de toute langue et de tout pays : les Addison, les Pellisson, les Vauvenargues, tous ceux qui sentent le prix d’une persuasion aisée, d’une simplicité exquise, et d’une douce négligence mêlée d’ornement. […] Contentons-nous de les sentir, de les pénétrer, de les admirer, et nous, venus si tard, tâchons du moins d’être nous-mêmes. […] Il vient une saison dans la vie où, tous les voyages étant faits, toutes les expériences achevées, on n’a pas de plus vive jouissance que d’étudier et d’approfondir les choses qu’on sait, de savourer ce qu’on sent, comme de voir et de revoir les gens qu’on aime : pures délices du cœur et du goût dans la maturité. […] que de conditions pour arriver à goûter de nouveau ce qu’on a senti une fois ! […] O vous qu’un noble orgueil anime, qui avez pris à votre tour possession de la vie et des splendeurs du soleil, qui vous sentez hautement de la race et de l’étoffe de ceux qui ont le droit de se dire : « Et nous aussi, soyons les premiers et excellons ! 

19. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Chapitre premier. De l’art de la composition en général. »

Si l’écrivain a bien médité son sujet, s’il s’est fait un plan, « il s’apercevra aisément, dit Buffon, de l’instant auquel il doit prendre la plume ; il sentira le point de maturité de la production de l’esprit ; il sera pressé de la faire éclore ; il n’aura même que du plaisir à écrire ; la chaleur naîtra de ce plaisir, se répandra partout, et donnera de la vie à chaque expression ; tout s’animera de plus en plus ; le sentiment se joignant à la lumière, l’augmentera, la fera passer de ce qu’on a dit à ce qu’on va dire, et le style deviendra intéressant et lumineux. » Il est donc important de profiter de ce premier mouvement de verve qui suit la méditation ; il est ordinairement fécond en sentiments vifs, en pensées nobles et élevées ; c’est une flamme qui est d’autant plus précieuse qu’elle dure moins longtemps. […] Mais quand même on ne sentirait pas cet entraînement qui porte à écrire, ce n’est pas une raison pour abandonner la composition : bien des personnes attendraient en vain l’inspiration du ciel ; elle n’est accordée qu’à un petit nombre d’élus. […] Les discours de Démosthène sentaient l’huile, disaient ses adversaires : aussi ont-ils conquis l’admiration des siècles. […] Il est plus facile à chacun de sentir les convenances que de les expliquer dans un livre théorique, car elles peuvent varier à l’infini, selon les circonstances.

20. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre premier. Division générale. »

L’homme qui sent et comprend vivement la nature, est doué de facultés poétiques ; et si du sentiment profond qu’il éprouve il passe à l’action, s’il réalise ses émotions et ses conceptions en créant des œuvres d’art, il est réellement poète. […] Quand l’inspiration s’empare du génie, dans son délire fécond et sublime, l’homme sent le besoin de manifester sa pensée par des œuvres : il crée, il devient réellement poète. […] Mais, au moyen de l’imagination, le poète peut aussi créer et inventer d’une manière absolue : c’est ainsi qu’il peut exprimer les passions sans les sentir ; que pour décrire un combat, une tempête, un paysage, il n’est pas toujours nécessaire qu’il en ait vu le tableau. […] Le beau, selon nous, se sent mieux qu’il ne s’explique : c’est une lumière qui brille, une flamme qui échauffe, une puissance qui touche et remue toutes les fibres du sentiment. […] À l’origine des sociétés, l’homme est encore enfant ; il sent plus qu’il ne réfléchit.

21. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Section I. Des Ouvrages en Prose. — Chapitre I. Du Discours oratoire. »

On sent qu’elles doivent donner un grand poids et une grande force aux preuves. Un orateur qui voudra, par exemple, faire sentir toute l’énormité d’un crime, en viendra aisément à bout, s’il en rapporte toutes les circonstances. […] Mon sexe m’en faisait assez sentir toute l’horreur. […] La possession des richesses les touche peu, parce qu’ils n’ont jamais senti l’indigence. […] Ces trois préceptes sont trop clairs par eux-mêmes ; il est trop aisé d’en sentir toute l’étendue, pour qu’il soit besoin de les développer.

22. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Louis XIV, 1638-1715 » pp. 146-149

Pendant qu’il parle avec tant de force, une douceur suprême lui ouvre les cœurs, et donne je ne sais comment un nouvel éclat à la majesté qu’elle tempère. » Dans ses mémoires, on sent la présence d’un maître. […] Tant que tout prospère dans un État, on peut oublier les biens infinis que produit la royauté et envier seulement ceux qu’elle possède : l’homme, naturellement ambitieux et orgueilleux, ne trouve jamais en lui-même pourquoi un autre lui doit commander, jusqu’à ce que son besoin propre le lui fasse sentir. […] Le métier de roi est grand, noble, flatteur, quand on se sent digne de bien s’acquitter de toutes les choses auxquelles il engage ; mais il n’est pas exempt de peines, de fatigues, d’inquiétude. […] Le monde a été ébloui de l’éclat qui l’environnait ; ses ennemis ont envié sa puissance ; les étrangers sont venus des îles les plus éloignées baisser les yeux devant la gloire de sa majesté ; ses sujets lui ont presque dressé des autels ; et le prestige qui se formait autour de lui n’a pu le séduire lui-même. » Glissons ici ce fragment d’une Lettre que Louis XIV écrivait à Philippe V, son petit-fils, roi d’Espagne : « Il y a deux ans que vous régnez, vous n’avez pas encore parlé en maître par trop de défiance de vous-même ; vous n’avez pu vous défaire de votre timidité ; à peine cependant vous arrivez à Madrid, qu’on réussit à vous persuader que vous êtes capable de gouverner seul une monarchie, dont vous n’avez senti jusqu’à présent que le poids excessif.

23. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Montesquieu, 1689-1755 » pp. 235-252

On y sent une méditation intense qui rappelle Tacite. […] Lorsque quelqu’un a voulu se réconcilier avec moi, j’ai senti ma vanité flattée, et j’ai cessé de regarder comme ennemi un homme qui me rendait le service de me donner bonne opinion de moi. […] Mettez dans mon esprit ce charme et cette douceur que je sentais autrefois, et qui fuit loin de moi. […] Car il est clair que dans une monarchie, où celui qui fait exécuter les lois se juge au-dessus des lois, on a besoin de moins de vertu que dans un gouvernement populaire, où celui qui fait exécuter les lois sent qu’il y est soumis lui-même et qu’il en portera le poids. […] Je ne m’étonne pas que vous aimiez cette ville ; mais comme Rome est tout extérieure, on sent de continuelles privations lorsqu’on n’a pas des yeux1.

24. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre quatrième. De la disposition oratoire, ou de l’Ordre mécanique du discours. — Chapitre premier. »

On sent tout ce qu’un pareil sujet présentait. d’obstacles à l’orateur, et tout ce qu’il fallait d’art pour les surmonter avec le succès qui couronna le discours de Cicéron. Le grand point était d’en venir à l’objet même de la question : que de passions à faire taire, avant de mettre les esprits en état de voir et de sentir la vérité ! […] On sent bien que le discours est fait, après un pareil exorde, et que, quels que soient la nature, le nombre, et la force des preuves, l’orateur est sûr de diriger à son gré un auditoire si heureusement disposé. […] Qu’il n’y ait cependant, dit Quintilien, rien de trop hardi dans l’expression, rien de trop figuré, rien qui sente trop l’art. […] Quintilien conseille encore, avec sa sagesse ordinaire, de mesurer ses forces avant d’essayer le pathétique, et de ne point manier ce ressort puissant, mais délicat, si l’on ne se sent pas tout le talent nécessaire pour l’employer avec succès.

25. (1867) Rhétorique nouvelle « Première partie. L’éloquence politique » pp. 34-145

Un manœuvre attaché à la terre, une machine à produire, un homme qui ne compte pas, qui ne se sent pas, comme disent les Italiens, un contribuable en un mot. […] Sentez-vous tout ce que cet orgueil natif devait donner à ces hommes de confiance et de dignité ? Mais sentez-vous aussi combien il devait les rendre exigeants pour leurs chefs ? […] Tel est le charme irrésistible de la conviction, que du jour où le peuple le sentit, il fut vaincu et apprivoisé. […] Ce premier coup porté, il sent le besoin de reculer un instant avant de revenir à la charge.

26. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Lacordaire 1802-1861 » pp. 279-285

Le jeune Drouot s’était senti poussé vers l’étude des lettres par un très-précoce instinct. […] Il pousse l’examen au delà de ses limites naturelles : les réponses sont toujours claires, précises, marquées au coin d’une intelligence qui sait et qui sent. […] Il n’y a que les peuples en voie de finir qui n’en connaissent plus le prix, parce que, plaçant la matière au-dessus des idées, ils ne voient plus ce qui éclaire, et ne sentent plus ce qui émeut. […] Vous êtes juges du pré, du champ, non de la vie, non des mœurs, non de la religion ; si vous ne vous sentez pas assez forts et justes pour commander vos passions et aimer vos ennemis, selon que Dieu commande, abstenez-vous de l’office de juges. » 1.

27. (1813) Principes généraux des belles-lettres. Tome III (3e éd.) « Lettre. A un ancien Elève de l’Ecole Militaire de Paris. » pp. 375-399

Mépris et malheur à l’âme de boue, qui ne sent point le prix de ces vertus, le charme de cette jouissance ! […] Par-tout il pense et s’exprime avec force ; par-tout il sent et s’exprime avec chaleur. […] Il est essentiel de le lire, non-seulement, pour sentir tout le frivole des sophismes des prétendus athées, mais encore pour se rendre raison à soi-même de l’intime persuasion où sont tous les hommes de l’existence de Dieu. […] L’auteur présente toujours la vérité avec les traits les plus capables de la faire sentir et de la faire aimer. […] Vous savez trop d’ailleurs (et j’ose bien assurer que vous ne l’oublierez jamais) que le vrai chrétien s’attire toujours l’estime générale ; que les hommes sages l’aiment, et que les libertins se sentent forcés de le respecter.

28. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre premier. Éléments généraux du Goût et du Style. — Chapitre VIII. Des Figures en général. »

Le trait le plus frappant de ce passage appartient, comme on voit, exclusivement à Racine ; et c’est imiter Homère en homme digne de le sentir, et capable de l’égaler. […] On sent la force et le mérite de l’allusion. […] L’un des plus grands plaisirs que nous procure la poésie, est de nous placer au milieu de nos semblables ; de voir tout ce qui nous environne, penser, sentir et agir comme nous. […] Et avec quel intérêt nous partageons, à notre tour, un bonheur si bien senti et peint sous des images si enchanteresses ! […] Il s’est déjà placé bien au-dessus de Rochefort ; mais il lui reste du chemin à faire encore pour arriver auprès d’Homère ; il le sent ; et l’on s’en apercevra sans doute.

29. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Voltaire, 1694-1778 » pp. 253-281

Il ne suffit pas de voir, de connaître la beauté d’un ouvrage ; il faut la sentir, en être touché ; il ne suffit pas de sentir, d’être touché d’une manière confuse : il faut démêler les différentes nuances. […] Ce n’est qu’avec de l’habitude et des réflexions qu’il parvient à sentir tout d’un coup avec plaisir ce qu’il ne démêlait pas auparavant. […] Vous avez senti votre talent, comme il a senti le sien. […] Vous sentez combien, en vous parlant ainsi, je m’intéresse à votre gloire et à celle des arts. […] Ils en disent du mal, parce qu’ils sentent que si M.

30. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Massillon, 1663-1742 » pp. 205-215

Il est un des modèles de notre langue pour l’élégance, la richesse, l’harmonie de la diction, la modération ornée du discours, l’ampleur ingénieuse d’un talent qui excelle dans ces développements souples et continus où les pensées naissent les unes des autres ; mais en lui l’art se fait trop sentir. […] Il semble que le temps soit un ennemi commun contre lequel tous les hommes sont convenus à conjurer : toute leur vie n’est qu’une attention déplorable à s’en défaire ; les plus heureux sont ceux qui réussissent le mieux à ne pas sentir le poids de sa durée ; et ce qu’on trouve de plus doux, ou dans les plaisirs frivoles1, ou dans les occupations sérieuses, c’est qu’elles abrégent la longueur des jours et des moments, et nous en débarrassent sans que nous nous apercevions presque qu’ils ont passé. […] Aussi, à peine le premier homme fut-il sorti de ses mains, qu’il l’appliqua à la culture de ce lieu de délices qui devait être sa demeure ; et il semble qu’en lui déterminant cette occupation, il voulut faire sentir à tous ses descendants que c’était à lui seul à nous marquer un emploi et une occupation dans cet univers où il nous a placés. […] La puissance de Dieu se fait sentir, en un instant, de l’extrémité du monde à l’autre ; la puissance royale agit, en même temps, dans tout le royaume ; elle tient tout le royaume en état, comme Dieu y tient tout le monde. […] Comme donc elle se sent piquée d’un certain appétit qui la rend affamée de quelque bien hors de soi, elle se jette avec avidité sur l’objet des choses créées qui se présentent à elle, espérant s’en rassasier ; mais ce sont viandes creuses, qui ne sont pas assez fortes et n’ont pas assez de corps pour la sustenter ; au contraire, la retirant de Dieu, qui est sa véritable et solide nourriture, ils la jettent insensiblement dans une extrême nécessité et dans une famine désespérée. »

31. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre second. Définition et devoir de la Rhétorique. — Histoire abrégée de l’Éloquence chez les anciens et chez les modernes. — Chapitre premier. Idée générale de l’Éloquence. »

Sans doute, c’est la nature qui fait les orateurs, comme l’on a dit qu’elle faisait les poètes, nascuntur poetæ  ; c’est-à-dire que c’est elle qui donne aux uns et aux autres ce génie actif qui s’élance hors de la sphère commune ; cette âme de feu qui sent et qui s’exprime avec une vigueur qui étonne, et une chaleur qui entraîne l’auditeur. […] On sent bien qu’un tel homme n’aurait persuadé personne à Athènes ou à Rome, et qu’on n’y eût été convaincu que de son ineptie ou de sa perversité. […] C’est là son triomphe, et c’en est assez pour faire sentir aux jeunes gens que le caractère distinctif de l’éloquence est une action pleine de chaleur, plus ou moins véhémente, selon la nature et la force des obstacles que son sujet lui donne à renverser.

32. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section quatrième. Genre Démonstratif. Les Panéryriques. — Chapitre III. Éloges de Pompée et de César, par Cicéron. »

On sent, à chaque ligne de ce discours, que l’âme de Cicéron y était à son aise, et au niveau de son sujet : il était tout simple qu’il trouvât du plaisir à louer Pompée. […] Cæsar, uni, quæ jacere sentis, belli ipsius impetu, quod necesse fuit, perculsa, atque prostrata : constituenda judicia, revocanda fides ; comprimendæ libidines, propaganda soboles ; omnia, quæ dilapsa jam defluxerunt, severis legibus vincienda sunt. […] Il n’y a, pour louer de pareils morceaux, que le transport de l’admiration : nous ne le répéterons plus ; car il est clair que ceux que leur âme n’a point avertis avant nous du mérite d’une semblable composition, ne le sentiront pas davantage, quand nous nous récrierions sur la beauté de chaque phrase. De pareils chefs-d’œuvre sont rares, il en faut convenir ; et ceux qui, après les jours de la décadence et le triomphe du faux goût, ont le mérite du moins de sentir celui des autres, et de s’apercevoir que ce sont là les modèles qu’il faut se proposer, forment une nouvelle classe, une espèce de second ordre en littérature, qu’on n’étudie pas sans fruit, après avoir admiré le premier. […] Mais que l’on nous raconte, ou que nous lisions nous-mêmes un trait de clémence, d’humanité, de justice ou de modération ; si ces vertus se sont signalées surtout dans la colère, ennemie de la raison, ou après la victoire, naturellement insolente et superbe, de quel transport nous nous sentons enflammés, et comme nous chérissons, sans même les avoir vus jamais, ceux qui ont donné ces grands exemples à la terre » !

33. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre XII. du corps de l’ouvrage. — portrait, dialogue, amplification  » pp. 161-174

Bourdaloue l’avait senti, il excella dans ce genre ; mais ses portraits ne sont point des hors-d’œuvre, ils servent toujours de preuve ou de conséquence à quelque vérité préalablement établie. […] Tantôt elle ira jusqu’à la déclamation, sans exagérer ; tantôt elle se contentera de discourir, sans sécheresse. » En général l’amplification est admissible, même en excédant la vérité, lorsque c’est l’enthousiasme ou la passion qui exagère, et que l’orateur ou l’écrivain s’expriment comme ils sentent. […] La gradation est pleinement observée, les nuances se font sentir l’une après l’autre. […] On croit sentir dans ses lettres la circonspection d’une position équivoque, et la dignité d’une haute destinée. » 52. […] Gonniot en a fait sentir les défauts.

34. (1881) Cours complet de littérature. Style (3e éd.) « Cours complet de littérature — Notions préliminaires » pp. 2-15

Nous avons tous les facultés nécessaires pour avoir l’idée et le sentiment du beau ; mais, pour le sentir et pour l’exprimer de manière à le rendre intéressant pour les autres, il faut posséder, à un degré supérieur, les principales facultés ou puissances de l’âme. […] Partout où il s’agit des affections, des caractères, des actions des hommes, c’est-à-dire dans les sujets les plus nobles où s’exerce le génie, on ne peut ni bien sentir, ni bien décrire, si l’on est étranger aux affections vertueuses. Celui dont le cœur est dur ou manque de délicatesse, qui ne sait point admirer ce qui est grand et généreux, qui ne partage point les sentiments doux et tendres, sentira toujours faiblement les beautés les plus sublimes de l’éloquence et de la poésie. […] Si nous voulons maintenant comparer le goût au génie, nous dirons que le génie est la faculté de créer, d’inventer, tandis que le goût est le don de sentir et de juger.

35. (1825) Rhétorique française, extraite des meilleurs auteurs anciens et modernes pp. -433

Il est aisé de sentir combien sont utiles des connaissances pour ainsi dire universelles. […] Il est aisé de sentir que raisonner n’est autre chose que comparer nos idées les unes aux autres. […] Mais comment sentir vivement des choses qui n’ont qu’un rapport indirect avec nous, ou même qui nous sont purement étrangères ? […] Aussitôt, par un retour sur lui-même, concevant l’idée de ce qu’il éprouverait dans une semblable situation, il se sent pris d’amour ou de haine pour ce qui l’a causée. […] Il ne manquera pas de les prévenir sur tout ce qu’il sent que l’adversaire pourrait ou dire, ou faire.

36. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Principes de rhétorique. — Chapitre VII. Des différents exercices de composition. »

Sa pensée jaillit, claire et rapide, comme d’une source intarissable : c’est un courant qui entraîne le lecteur sur des rives toujours riantes, sans lui faire jamais sentir la fatigue. […] D’ailleurs, il n’y a pas de règles positives à donner à ce sujet ; écrire comme on sent, tel est le meilleur de tous les préceptes. […] À la vue de cette clarté si vive et si pure, il sentit tout son corps frissonner, et, s’élançant vers la fenêtre par un mouvement involontaire, il s’écria avec l’accent de l’enthousiasme : Oh ! […] À son aspect, les fronts les plus tristes se dérident, ils sentent leur âme rassérénée. […] Jeune comme elle, et menacé du même destin, qui pouvait sentir et peindre mieux que lui ce débat intérieur de la vie contre la mort ?

37. (1882) Morceaux choisis de prosateurs et de poètes des xviii e et xix e siècles à l’usage de la classe de rhétorique

Nous savons, nous sentons le mal que nous a légué cette époque mémorable. […] Ils ne savent pas ce qui les choque, mais ils sentent que leurs oreilles sont blessées. […] et mérite-t-on le nom de grand, quand on ne sait pas même sentir ce que valent les hommes ? […] Sentir en plein cet état et y succomber en plein, quel spectacle ! […] Il ne tient qu’à eux de s’aller chauffer : ils n’en font rien ; si on les y forçait, ils sentiraient cent fois plus les rigueurs de la contrainte, qu’ils ne sentent celle du froid.

38. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Principes de rhétorique. — Chapitre VI. De l’élocution et du style. »

L’écrivain qui sent le nombre règle la longueur de sa phrase sur l’objet dont il parle, sur l’harmonie de la cadence et le besoin de la respiration. […] Du reste, il est impossible de poser des règles absolues pour l’application du style périodique et du style coupé ; on peut employer l’un et l’autre dans un même ouvrage, selon que le besoin s’en fait sentir. […] Un écrivain ne combine pas à l’avance le genre de style qu’il adoptera dans chaque circonstance ; il s’abandonne simplement à son goût, à ses impressions ; le bon sens lui fait sentir instinctivement les règles ; en un mot, il observe naturellement les convenances de l’art d’écrire. […] Ce vers de La Fontaine : Et c’est être innocent que d’être malheureux, est juste au point de vue du sentiment ; car nous sentons que le malheur doit expier le crime ; mais pour l’esprit, ce n’est pas d’une justesse absolue. […] La prosopopée (personnification) fait agir, sentir ou parler les morts, les absents, les objets insensibles ou imaginaires.

39. (1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Poétique — Deuxième partie. De la poésie en particulier ou des différents genres de poésie — Seconde section. Des grands genres de poésie — Chapitre premier. Du genre lyrique » pp. 114-160

Quand il ouvrit les yeux sur l’univers, quand il sentit sa propre existence et les impressions agréables qu’il recevait par tous ses sens, il ne put s’empêcher d’élever la voix, et de faire entendre un cri de joie, d’admiration, d’étonnement et de gratitude. […] On sent que le poète est sous la main de Dieu qui règle ses inspirations et dirige ses chants. […] Dans les chants consacrés à la gloire du vrai Dieu, on sent au fond même du sujet la vraie grandeur puisée dans sa source : ce sont de vraies beautés, de vraies vertus qu’on admire, et des sentiments solides qu’on exprime. Dans les poètes, c’est toujours l’homme qui écrit, qui travaille : on sent son effort, et par conséquent, sa faiblesse ; on sent ses vices, ses préjugés, son ignorance, sa corruption. […] Par conséquent, pour bien réussir dans ce genre, il faut bien sentir et bien peindre le sentiment avec des couleurs vraies et naturelles.

40. (1853) Petit traité de rhétorique et de littérature « Chapitre XII. Poésie dramatique. »

L’auteur dramatique évitera donc tout ce qui peut sentir l’art ou la déclamation, savoir : 1º. […] Un homme tranquille se contente de penser, de réfléchir ; il ne dit pas ce qu’il pense au public : ce n’est que quand il sent un grand trouble au-dedans de lui-même qu’il éclate, qu’il marche à grands pas, qu’il fait des gestes et prononce des mots. […] Elles sentent toutes le déclamateur et l’écrivain possédé de la fureur du bel-esprit162. […] Il consiste à peindre d’une manière très ressemblante et très vive les mœurs des citoyens, et à y joindre en même temps un certain grotesque qu’il est plus aisé de sentir que de définir. […] Plus on a le goût fin et exercé sur les bons modèles, plus on le sent ; mais ce sont de ces choses qu’on ne peut que sentir165.

41. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome I (3e éd.) « Première partie. De l’Art de bien écrire. — Section II. De l’Art d’écrire agréablement. — Chapitre II. Des différentes Espèces de Style, et des Figures de Pensées. » pp. 238-278

Tous les hommes ont une façon particulière de concevoir et de sentir. […] Mais il évite tout ce qui est recherché, tout ce qui sent le travail et l’apprêt, en un mot, tout ce qui peut jeter dans le discours une lumière trop vive et trop éclatante. […] Ils en sont rassasiés, au point de ne plus les sentir. […] Je ne sais quoi de divin coule sans cesse au travers de leur cœur, comme un torrent de la Divinité même qui s’unit à eux : ils voient, ils goûtent qu’ils sont heureux, et sentent qu’ils le seront toujours. […] heureux de pouvoir à leur gré contempler tous les jours ce que la nature a de plus admirable, et ce qui peut le plus faire sentir à l’homme sa noblesse et sa dignité » !

42. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Buffon, 1707-1788 » pp. 282-302

Par la force du génie, on se représentera toutes les idées générales et particulières sous leur véritable point de vue ; par une grande finesse de discernement, on distinguera les pensées stériles des idées fécondes ; par la sagacité que donne la grande habitude d’écrire, on sentira d’avance quel sera le produit de toutes ces opérations de l’esprit. […] Quelque brillantes que soient les couleurs qu’il emploie, quelques beautés qu’il sème dans les détails4, comme l’ensemble choquera ou ne se fera pas assez sentir, l’ouvrage ne sera point construit ; et, en admirant l’esprit de l’auteur, on pourra soupçonner qu’il manque de génie. […] Je suis enchanté de vous sentir allégé du fardeau qui vous opprimait1 ! Avec un peu de temps et quelques grains d’indifférence philosophique, vous reprendrez votre tranquillité et vous sentirez renaître tous vos goûts ; je l’éprouve moi-même. […] Il faut sentir la passion pour la bien peindre ; l’art, quelque grand qu’il soit, ne parle point comme la passion véritable.

43. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Bossuet 1627-1704 » pp. 65-83

Ils se sentent eux mêmes quelquefois pressés, et se plaignent de cette contrainte ; mais, chrétiens, ne les croyez pas : ils se moquent, ils ne savent ce qu’ils veulent. […] On commence à sentir l’approche du gouffre fatal ; mais il faut aller sur le bord. […] 2 le présent ne nous touche plus guère ; mais la jeunesse qui ne songe pas que rien lui soit encore échappé, qui sent sa vigueur entière et présente, ne songe aussi qu’au présent, et y attache toutes ses pensées. […] Comme elle se sent forte et vigoureuse, elle bannit la crainte et tend les voiles de toutes parts à l’espérance qui l’enfle et qui la conduit6. […] On sent ici l’émotion sincère et touchante d’un orateur qui a conscience de sa responsabilité morale.

44. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Lacordaire, 1802-1861 » pp. 542-557

L’âme sent sa dignité, et en jouit. Elle la sent inaltérable, et pourtant dépendante de la vertu, qui en est le principe, et qui elle-même dépend de la liberté venue de Dieu et assistée de lui. […] Ce qu’il nous faut, pour nous sentir utiles et nous attacher à notre vie, c’est la certitude de travailler à quelque chose d’éternel ; et nous l’avons. […] Il n’y a que les peuples en voie de finir qui n’en connaissent plus le prix, parce que, plaçant la matière au-dessus des idées, ils ne voient plus ce qui éclaire et ne sentent plus ce qui émeut. […] Ses yeux s’ouvriront sans qu’on y lise une pensée, et son cœur battra sans qu’on y sente une vertu.

45. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome I (3e éd.) « Première partie. De l’Art de bien écrire. — Section III. De l’Art d’écrire pathétiquement. — Observations générales sur l’Art d’écrire les Lettres » pp. 339-364

Si l’on sent bien qui l’on est, et à qui l’on parle, on ne dira dans une lettre que ce que l’on doit dire, et on le dira de la manière dont on doit le dire. […] Un inférieur concevra aisément qu’il doit parler en termes respectueux, sans trop s’abaisser ; un égal, qu’il ne doit point prendre un ton de hauteur ; un supérieur, qu’il ne doit pas trop faire sentir ce qu’il est. […] En vérité, mon cher frère, je considère avec joie tant d’avantages : mais je ne saurais m’empêcher de murmurer un peu contre mon sexe, qui en me laissant sentir toutes ces choses comme vous, met entre votre bonheur et le mien une si grande différence. […] Je meurs d’envie d’avoir quelque jour ce talent ; et vous sentez par-là ce que mon ambition vous demande. […] Il y a en général trop d’esprit dans les lettres de Bussi-Rabutin ; trop d’apprêt dans le style de celles de Madame Lambert ; et le travail se fait trop sentir dans celles de Fléchier.

46. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section troisième. La Tribune sacrée. — Chapitre V. Des sermons de Bossuet. »

En effet, dit-il, le jeune orateur qui saura se pénétrer du génie de Bossuet, sentir, penser, s’élever avec lui, n’aura pas besoin de se dessécher sur les préceptes des rhéteurs, pour se former à l’éloquence. […] Vous allez le sentir, et il vous paraîtra si simple et si naturel, que vous penserez qu’il a dû s’offrir de lui-même. […] Maury, celui qui aurait même composé toutes les poétiques, serait beaucoup moins avancé dans la carrière de l’éloquence, que l’orateur qui aurait profondément senti une seule page de ces discours.

47. (1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Deuxième partie. Rhétorique. — Chapitre I. — Rhétorique »

Ces hommes sentent vivement, s’affectent de même, le marquent fortement au dehors, et par une impression purement mécanique, ils transmettent aux autres leur enthousiasme et leurs affections ; c’est le corps qui parle au corps ; tous ses mouvements, tous ses signes concourent et servent généralement. […] Donc, pour s’exprimer avec éloquence, il faut mettre en action ce précepte de Boileau : « Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez. » c’est-à-dire, qu’il faut sentir vivement [mots manquants] suite. […] On a dit, et ce n’est pas sans raison, « que l’éloquence n’était jamais que momentanée ; qu’elle ne se faisait sentir que par élan ».

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