Pour se faire une idée de la puissance de la parole à Rome, qu’on lise ce que disent Aper et Maternus dans cet excellent Dialogue des orateurs, chef-d’œuvre de raison et de style, qu’il soit de Tacite, de Quintilien, ou de tout autre, préface naturelle de tout ouvrage où il est question d’éloquence, et dont plusieurs pages semblent écrites d’hier, tant il y a de rapprochements entre notre état social et politique actuel et celui de Rome aux derniers temps de la République et aux premiers de l’Empire. […] Il suit de ce que je viens de dire, que la rhétorique embrasse aujourd’hui un plus vaste objet qu’autrefois ; on ne lui demande plus seulement les règles nécessaires pour discuter les questions politiques, administratives et judiciaires, mais les préceptes de l’art d’écrire appliqués à tous les sujets.
Qu’on voie dans l’histoire de Rome tant de guerres entreprises, tant de sang répandu, tant de peuples détruits, tant de grandes actions, tant de triomphes, tant de politique, de sagesse, de prudence, de constance, de courage, ce projet d’envahir tout, si bien formé, si bien soutien, si bien fini, à quoi aboutit-il ? […] Cabinet : ce mot, qui signifie, au propre, buffet à tiroirs, puis lieu de retraite pour travailler, a par extension le sens de secrets de cour, mystères politiques.
Sa seule passion fut sa haine contre Richelieu, qui ne voulait voir en lui qu’un habile rhéteur, sans accorder aucun emploi à son ambition politique ; mais ce ressentiment ne fit explosion qu’après la mort du ministre. […] Mais c’est trop moraliser pour un villageois, et trop s’enfoncer dans la politique pour un infirme qui se laisse conduire dans le vaisseau où il se trouve embarqué, sans entreprendre d’aider les matelots ni de corriger le pilote2.
Ici, comme dans l’ordre politique, nous voyons agir cet esprit d’inquiétude et d’indépendance qui provoque les réformes ou les aventures. […] L’honneur en revient surtout à Henri Estienne, qui soutint le fort du combat dans son Dialogue du français-italianisé, pamphlet où l’épigramme littéraire est aiguisée par la haine politique. […] En grammaire comme en politique, les partis extrêmes sont vaincus d’avance. […] C’est alors aussi que, pour la première fois, furent inaugurés parmi nous les vœux de tolérance et les instincts de réforme politique ou civile qui devaient tôt ou tard triompher de toutes les résistances.