Du modeste apologue a fait un vrai poème : Il a son action, son nœud, son dénoument. […] Forme, — Aux traits caractéristiques de ce portrait, il serait facile de reconnaître Lafontaine, lors même qu’il n’eut point été nommé, les traits sont dessinés de main de maître ; voici ceux qui me paraissent le plus fidèles et énergiques : Du modeste apologue a fait un vrai poème, peint fort bien l’intérêt, l’unité et la régularité de plan des fables de Lafontaine.
« Une longue uniformité, dit Montesquieu, rend tout insupportable : le même ordre de périodes longtemps continué accable dans une harangue, les mêmes nombres et les mêmes chutes mettent de l’ennui dans un long poème.
Le Cid enfin est l’un des plus beaux poèmes que l’on puisse faire ; et l’une des meilleures critiques qui aient été faites sur aucun sujet est celle du Cid 199. Quand une lecture vous élève l’esprit, et qu’elle vous inspire des sentiments nobles et courageux200, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l’ouvrage : il est bon, et fait de main d’ouvrier201… Le poème tragique vous serre le cœur dès son202 commencement, vous laisse à peine dans tout son progrès la liberté de respirer et le temps de vous remettre ; ou, s’il vous donne quelque relâche, c’est pour vous replonger dans de nouveaux abîmes et de nouvelles alarmes. […] Ce qu’il y a eu en lui de plus éminent, c’est l’esprit, qu’il avait sublime, auquel il a été redevable de certains vers les plus heureux qu’on ait jamais lus ailleurs, de la conduite de son théâtre, qu’il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens, et enfin de ses dénouements ; car il ne s’est pas toujours assujetti au goût des Grecs et à leur grande simplicité : il a aimé, au contraire, à charger la scène d’événements dont il est presque toujours sorti avec succès : admirable surtout par l’extrême variété et le peu de rapport qui se trouve pour le dessein entre un si grand nombre de poèmes qu’il a composés. […] Un poème ne peut faire d’effet s’il n’est élégant : c’est un des principaux mérites de Virgile.
La liaison des scènes, qui unit toutes les actions particulières de chaque acte l’une avec l’autre, est un grand ornement dans un poème, et qui sert beaucoup à former une continuité d’action par la continuité de la représentation ; mais enfin ce n’est qu’un ornement, et non pas une règle. […] Après ce qu’elle a fait pour Jason à Colchos, après qu’elle a rajeuni son père Éson depuis son retour, après qu’elle a attaché des feux invisibles au présent qu’elle a fait à Créuse, ce char volant n’est point hors de la vraisemblance ; et ce poème n’a pas besoin d’autre préparation pour cet effet extraordinaire. […] Le poème dramatique est une imitation, ou, pour en mieux parler, un portrait des actions des hommes ; et il est hors de doute que les portraits sont d’autant plus excellents qu’ils ressemblent mieux à l’original. […] Ainsi ne nous arrêtons point ni aux douze ni aux vingt-quatre heures, mais resserrons l’action du poème dans la moindre durée qu’il nous sera possible, afin que sa représentation ressemble mieux et soit plus parfaite. […] Il est facile aux spéculatifs d’être sévères ; mais s’ils voulaient donner dix ou douze poèmes de cette nature au public, ils élargiraient peut-être les règles encore plus que je ne fais, sitôt qu’ils auraient reconnu par l’expérience quelle contrainte apporte leur exactitude, et combien de belles choses elle bannit de notre théâtre.