Je fus hier au Buron1, j’en revins le soir ; je pensai pleurer en voyant la dégradation de cette terre : il y avait les plus vieux bois du monde ; mon fils, dans son dernier voyage, y a fait donner les derniers coups de cognée. […] Toutes ces dryades affligées que je vis hier, tous ces vieux sylvains qui ne savent plus où se retirer, tous ces anciens corbeaux établis depuis deux cents ans dans l’horreur de ces bois, ces chouettes qui, dans cette obscurité, annonçaient, par leurs funestes cris, les malheurs de tous les hommes : tout cela me fit hier des plaintes qui me touchèrent sensiblement le cœur ; et que sait-on même si plusieurs de ces vieux chênes n’ont point parlé, comme celui où était Clorinde3 ? […] Je suis ravie de m’en aller dans mes bois ; j’espère au moins en trouver aux Rochers qui ne sont point abattus2. […] On lit ailleurs : « Je serais fort heureuse dans ces bois, si j’avais une feuille qui chantât. […] et la triste demeure qu’un bois où les feuilles ne disent mot, et où les hibous prennent la parole.
« Dieu dont l’arc est d’argent, dieu de Claros, écoute2, O Sminthée Apollon, je périrai sans doute, Si tu ne sers de guide à cet aveugle errant. » C’est ainsi qu’achevait l’aveugle en soupirant, Et près des bois marchait, faible, et sur une pierre S’asseyait3. […] Ses traits sont grands et fiers ; de sa ceinture agreste Pend une lyre informe, et les sons de sa voix Emeuvent l’air et l’onde et le ciel et les bois. » Mais il entend leurs pas, prête l’oreille, espère, Se trouble, et tend déjà les mains à la prière1. […] ô belle contrée, ô terre généreuse, Que les dieux complaisants formaient pour être heureuse, Tu ne sens point du nord les glaçantes horreurs ; Le midi de ses feux t’épargne les fureurs ; Tes arbres innocents n’ont point d’ombres mortelles ; Ni des poisons épars dans tes herbes nouvelles Ne trompent une main crédule2 ; ni tes bois Des tigres frémissants ne redoutent la voix ; Ni les vastes serpents ne traînent sur tes plantes. […] Ajoutez cet amas de fleuves tortueux : L’indomptable Garonne aux vagues insensées, Le Rhône impétueux, fils des Alpes glacées, La Seine au flot royal, la Loire dans son sein Incertaine2, et la Saône, et mille autres enfin Qui nourrissent partout, sur tes nobles rivages, Fleurs, moissons et vergers, et bois, et pâturages, Rampent au pied des murs d’opulentes cités, Sous les arches de pierre à grand bruit emportés3.
Le jour, tombant d’en haut à travers un voile de feuillage, répand dans la profondeur des bois une demi-lumière changeante et mobile, qui donne aux objets une grandeur fantastique. […] La rivière qui coulait à mes pieds, tour à tour se perdait dans le bois, tour à tour reparaissait brillante des constellations de la nuit, qu’elle répétait dans son sein. […] De l’extrémité des avenues on aperçoit des ours3 enivrés de raisins, qui chancellent sur les branches des ormeaux ; des troupes de cariboux se baignent dans un lac ; des écureuils noirs se jouent dans l’épaisseur des feuillages ; des oiseaux moqueurs, des colombes virginiennes de la grosseur d’un passereau, descendent sur les gazons rougis par les fraises ; des perroquets verts, à tête jaune4, des piverts empourprés, des cardinaux de feu grimpent en circulant au haut des cyprès ; des colibris étincellent sur le jasmin des Florides, et des serpents oiseleurs sifflent suspendus aux dômes des bois, en s’y balançant comme des lianes. […] Comparez ces vers de Saint-Victor sur le Meschacebé : On entend dans les bois de confuses clameurs. […] Le colibri doré sur les fleurs étincelle ; La colombe gémit ; tout s’unit, tout s’appelle, Dans les bois, dans les prés, dans les airs, sur les eaux.
Je fus hier au Buron2, j’en revins le soir ; je pensai pleurer en voyant la dégradation de cette terre : il y avait les plus vieux bois du monde ; mon fils, dans son dernier voyage, y a fait donner les derniers coups de cognée. […] Toutes ces dryades affligées que je vis hier, tous ces vieux sylvains qui ne savent plus où se retirer, tous ces anciens corbeaux établis depuis deux cents ans dans l’horreur de ces bois, ces chouettes qui, dans cette obscurité, annonçaient, par leurs funestes cris, les malheurs de tous les hommes : tout cela me fit hier des plaintes qui me touchèrent sensiblement le cœur ; et que sait-on même si plusieurs de ces vieux chênes n’ont point parlé, comme celui où était Clorinde1 ? Ce lieu était un luogo d’incanto 2 s’il en fut jamais… Je suis ravie de m’en aller dans mes bois ; j’espère au moins en trouver aux Rochers qui ne sont point abattus3. […] On lit ailleurs : « Je serais fort heureuse dans ces bois, si j’avais une feuille qui chantât. […] et la triste demeure qu’un bois où les feuilles ne disent mot, et où les hibous prennent la parole.