Mais en cet instant, peut-être serait-il dangereux de tenter l’entreprise, puisque nous ne pouvons amener les troupes directement à travers le fleuve qui est profond et plein de tourbillons : les bords, comme vous le voyez, sont très élevés et escarpés. […] Aussi, la pensée de mes enfants m’inspire une haine profonde pour le nom Athénien, puisque vous voyez que je me présente devant vous, guidé et soutenu par les bras de mes esclaves, et non par ceux de mes fils. […] Si donc tout sentiment est éteint, si la mort ressemble à un profond sommeil que ne trouble aucun songe, quels précieux avantages ne procure-t-elle pas ? […] Nos citoyens, plongés dans l’humiliation la plus profonde, songent à l’affreux attentat qu’ils ont commis ; ils croient voir toute la terre s’élever contre leur crime avec plus de violence que le souverain même qu’ils ont outragé.
Représentez-vous un de ces salons du dix-huitième siècle, où une réflexion profonde de Montesquieu, un paradoxe de Rousseau, une boutade de l’abbé Galiani venaient interrompre une improvisation de Diderot et attiser le feu de sa verve brûlante. […] Il est naturel qu’un jeune homme, épuisé par les fatigues que demande l’arrangement d’un si grand jour, tombe dans un sommeil plein : il l’est aussi qu’un génie fait pour la guerre, agissant sans inquiétude, laisse au corps assez de calme pour dormir. » Bossuet. — « A la veille d’un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel, et l’on sait que le lendemain il fallut réveiller d’un profond sommeil cet autre Alexandre. » Voltaire. — « Le prince gagna la bataille par lui-même, par un coup d’œil qui voyait à la fois le danger et la ressource, par son activité exempte de trouble, qui le portait à propos à tous les endroits. » Bossuet. — « Le voyez-vous comme il vole ou à la victoire ou à la mort ?
Voltaire se jugeait peut-être lui-même en disant : « Je suis comme les petits ruisseaux : ils sont transparents, parce qu’ils sont peu profonds. » L’esprit 1 Ce qu’on appelle esprit est tantôt une comparaison nouvelle, tantôt une allusion fine : ici, l’abus d’un mot qu’on présente dans un sens et qu’on laisse entendre dans un autre ; là, un rapport délicat entre deux idées peu communes : c’est une métaphore singulière ; c’est une recherche de ce qu’un objet ne présente pas d’abord, mais de ce qui est en effet dans lui ; c’est l’art, ou de réunir deux choses éloignées, ou de diviser deux choses qui paraissent se joindre, ou de les opposer l’une à l’autre ; c’est celui de ne dire qu’à moitié sa pensée, pour la laisser deviner ; enfin, je vous parlerais de toutes les différentes façons de montrer de l’esprit, si j’en avais davantage.