Mais quand je considère cette infinie multitude de peuples qui attend de leur protection son salut et sa liberté ; quand je vois que, dans un état policé, si la terre est bien cultivée, si les mers sont libres, si le commerce est riche et fidèle, si chacun vit dans sa maison doucement et avec assurance2, c’est un effet des conseils3 et de la vigilance du prince ; quand je vois que, comme un soleil, sa munificence porte sa vertu jusque dans les provinces les plus reculées, que ses sujets lui doivent, les uns leur honneur et leurs charges, les autres leur fortune et leur vie, tous la sûreté publique et la paix, de sorte qu’il n’y en a pas un seul qui ne doive le chérir comme un père : c’est ce qui me ravit, chrétiens ; c’est en quoi la majesté des rois me semble entièrement admirable ; c’est en cela que je les reconnais pour les vivantes images de Dieu, qui se plaît de remplir le ciel et la terre des marques de sa bonté, ne laissant aucun endroit de ce monde vide de ses bienfaits et de ses largesses4. […] Aussi à voir comme il marche, vous diriez que la nature ne le contient plus ; et sa fortune enfermant en soi tant de fortunes particulières, il ne peut plus se compter pour un seul homme. […] c’est la maladie qui se joue, comme il lui plaît, de nos corps, que le péché a donnés en proie à ses cruelles bizarreries ; et la fortune, pour être également ombrageuse, ne se rend pas moins féconde en événements fâcheux. […] Le bien de la fortune est un bien périssable, Quant on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable.
La Bruyère 1646-1696 [Notice] Né à Dourdan, Jean de La Bruyère avait acheté une charge de trésorier à Caen, lorsqu’après des revers de fortune, à 36 ans, sur la recommandation de Bossuet, il fut appelé à Paris pour enseigner l’histoire à M. le duc, petit-fils du grand Condé. […] Commence-t-il à chanceler dans le poste où on l’avait mis, tout le monde passe facilement à un autre avis ; en est-il entièrement déchu, les machines qui l’avaient guindé si haut, par l’applaudissement et les éloges, sont encore toutes dressées pour le faire tomber dans le dernier mépris ; je veux dire qu’il n’y en a point qui le dédaignent mieux, qui le blâment plus aigrement, et qui en disent plus de mal, que ceux qui s’étaient comme dévoués à la fureur1 d’en dire du bien2 Pamphile ou le vaniteux Un Pamphile est plein de lui-même, ne se perd pas de vue, ne sort point de l’idée de sa grandeur, de ses alliances, de sa charge, de sa dignité : il ramasse, pour ainsi dire, toutes ses pièces, s’en enveloppe3 pour se faire valoir ; il dit : Mon ordre, mon cordon bleu 4 ; il l’étale ou il le cache par ostentation : un Pamphile, en un mot, veut être grand ; il croit l’être, il ne l’est pas, il est d’après un grand1 Si quelquefois il sourit à un homme du dernier ordre, à un homme d’esprit, il choisit son temps si juste qu’il n’est jamais pris sur le fait ; aussi la rougeur lui monterait-elle au visage s’il était malheureusement surpris dans la moindre familiarité avec quelqu’un qui n’est ni opulent, ni puissant, ni ami d’un ministre, ni son allié, ni son domestique2 Il est sévère et inexorable à qui n’a point encore fait sa fortune : il vous aperçoit un jour dans une galerie, et il vous fuit ; et le lendemain, s’il vous trouve en un endroit moins public, ou, s’il est public, en la compagnie d’un grand, il vient à vous, et il vous dit : Vous ne faisiez pas hier semblant de nous voir. […] Il est ruiné, et, comme le trafiquant de la fable, il attribue ses malheurs à la fortune et à la société. » (La Fontaine et les fabulistes, Michel Lévy.) […] On suppose que les principaux traits de ce caractère s’appliquent au maréchal de Villeroi, dont Saint-Simon dit : « Incapable de toute affaire, même d’en rien comprendre par delà l’écorce… il se piquait néanmoins d’être fort honnête homme ; mais comme il n’avait point de sens, il montrait la corde fort aisément… On n’y trouvait qu’un tissu de fatuité, de recherche et d’applaudissement de soi, de montre de faveur et de grandeur de fortune. » (Chap. 392.) […] Bossuet a dit : « Ces terres et ces seigneuries qu’il avait ramassées comme une province, avec tant de soins et de travail, se partageront en plusieurs mais, et tous ceux qui verront ce grand changement diront, en levant les épaules et en regardant avec étonnement les restes de cette fortune ruinée : Est ce là que devait aboutir toute cette grandeur formidable au monde ?
Les noms substantifs, connaissances, sentiments, jugement, fortune, sont pris ici dans un sens partitif et indéterminé, puisqu’on prétend désigner, non toutes les connaissances, tous les sentiments, tous le jugement, toute la fortune imaginables ; mais seulement quelques connaissances, quelques sentiments, quelque portion de jugement et de fortune, sans vouloir cependant les spécifier. […] Je le supprime aussi avant jugement et fortune, parce que ces noms sont précédés des adverbes de quantité, peu, beaucoup. […] Le verbe qui a pour sujets plusieurs noms singuliers, qui ne sont pas liés par une conjonction, peut se mettre au singulier : = la prospérité, la fortune, le mauvais exemple n’a pu le gâter. […] S’il y a plusieurs substantifs sujets liés par la conjonction mais, et dont le dernier soit au singulier, on met alors le verbe au singulier : = non seulement ses titres, ses honneurs, ses dignités, mais encore sa fortune s’évanouit. […] Point s’emploie mieux à la fin d’une phrase. = Si, pour acquérir de la fortune, il faut faire des bassesses, je n’en veux point.