Quoiqu’en effet tous les grands hommes qui passent sous nos yeux, dans cette immense revue de tant de siècles, n’aient pas tenu peut-être le langage que leur prête l’historien, il est clair cependant qu’il a adapté leurs discours à leur caractère connu, et que, s’il a quelquefois substitué sa pensée à la leur, il en a si bien pris l’esprit et le style en général, que nous retrouvons facilement l’un et l’autre ; et que nous oublions sans effort l’auteur qui écrit, pour n’entendre que le héros qui parle ; et ce qui le prouve d’une manière qui nous paraît sans réplique, c’est qu’à chacune de ces grandes époques qui divisent les temps, moins encore par le nombre des années, que par les progrès de la civilisation et le développement des connaissances, nous trouvons dans ces mêmes harangues un tableau fidèle et des mœurs du siècle et du caractère particulier du pays.
À la sécheresse habituelle et souvent rebutante de leur ton, les philosophes anciens joignent un autre genre de pédantisme, que les sophistes modernes ont fidèlement copié ; c’est la manie d’annoncer avec emphase des vérités communes, d’embrouiller les plus simples et d’obscurcir les plus claires, par l’appareil fastueux des mots ; c’est bien le style et le ton de l’importance qu’on veut se donner, mais ce n’est pas toujours le garant de celle que l’on mérite en effet ; nous en avons des preuves.
Virile et sobre chez Ville-Hardouin (1160-1213), naïve et claire dans Joinville (1224-1317), elle inaugure l’histoire par la chronique, en un siècle que comme la pieuse figure de Louis IX, fondant la Sorbonne, faisant traduire les livres saints, ouvrant la première bibliothèque publique, organisant les universités provinciales, encourageant la fabrication du papier, et publiant ses Établissements, où brille le génie patriotique de l’homme d’état sous les vertus d’un Saint.