Il n’y doit avoir qu’une action complète34, qui laisse l’esprit de l’auditeur dans le calme : mais elle ne peut le devenir que par plusieurs autres imparfaites qui lui servent d’acheminement, et tiennent cet auditeur dans une agréable suspension. […] Il remonte d’abord au premier principe sur la matière qu’il veut débrouiller ; il met ce principe dans son premier point de vue ; il le tourne et le retourne, pour y accoutumer ses auditeurs les moins pénétrants ; il descend jusqu’aux dernières conséquences par un enchaînement court et sensible. […] Cet arrangement sert à éviter les répétitions qu’on peut épargner au lecteur ; mais il ne retranche aucune des répétitions par lesquelles il est essentiel de ramener souvent l’auditeur au point qui décide lui seul de tout.
Ce qu’il ne dit pas, les choses et les souvenirs des auditeurs le disent à sa place. […] Son zèle ne connaissait point d’obstacles, et tout ce qu’il désirait lui semblait facile ; lorsqu’il parlait, les passions dont il était agité animaient ses gestes et ses paroles, et se communiquaient ses auditeurs ; rien ne résistait ni à la force de son éloquence, ni la puissance de sa volonté.
Cousin, quelques années après, eurent prononcé dans leurs chaires certains mots alors oubliés, ces mots d’âme et de libre arbitre, de mérite et de démérite, de conscience et de devoir ; lorsqu’à leurs auditeurs, à peu près résignés, comme tout le monde alors, à n’exister qu’à titre de machines plus ou moins bien organisées, ils eurent rappelé qu’ils étaient des personnes, des êtres responsables, des âmes libres faites pour n’obéir qu’à la souveraineté de la raison et du droit ; un frémissement de juste orgueil se produisit parmi ces jeunes cœurs ; une ère nouvelle commençait.