Mais ce défaut (si c’en est un) est si heureusement compensé par des beautés du premier ordre, par ces développements profonds du cœur humain, par cette abondance de pensées fortes ou sublimes qui mettent le héros tout entier sous les yeux du lecteur, que l’on pardonne volontiers à l’historien de prendre la parole, et de se mettre à la place d’un personnage qui n’eût pas toujours été capable de parler aussi bien. […] Leur génie s’enflamme avec le leur, leurs pensées s’élèvent ; et de ce concours admirable, de ce choc sublime de deux grandes âmes, résultent ces traits qui frappent, qui entraînent, qui n’excitent et ne laissent après eux qu’un sentiment, celui de l’admiration la plus profonde. […] S’il n’est pas encore généralement goûté ; si son obscurité prétendue rebute encore une grande quantité de lecteurs, c’est à eux qu’ils doivent s’en prendre ; et comme l’observe judicieusement La Harpe, la pensée de Tacite est d’une telle étendue, que chacun y pénètre plus ou moins, selon le degré de ses forces. […] Partout sa diction est forte, et sa pensée grande comme son âme. […] Tacite fait-il parler un honnête homme, un Germanicus, par exemple, un Thraséas, un Agricola ; on reconnaît, à leurs discours, l’écrivain dont l’âme n’a eu qu’à traduire ses propres pensées, pour faire parler à ces grands hommes un langage digne d’eux.
Leur forte culture est devenue plus nécessaire aujourd’hui qu’autrefois, aux hommes publics obligés de faire prévaloir leurs pensées par la parole, et de donner les raisons de leurs actes. […] Ainsi les pays se rapprochent, les esprits s’unissent, les pensées s’échangent, et, vainqueur de la nature, l’homme, reportant ses regards de sa demeure sur lui-même, aspire à découvrir, par l’observation et par l’histoire, les lois mêmes de l’humanité. […] Soyons reconnaissants envers ceux dont les pensées ont créé nos droits, dont les découvertes forment notre héritage.
Leur champ est aussi illimité, leur forme et leur étendue aussi libres, leur ton aussi varié que ceux des discours ; la seule différence est que, dans le premier cas, on s’adresse à des personnes présentes ; alors on leur parle : dans le second, c’est à des absents qu’on veut communiquer ses pensées ; alors on leur écrit. […] Deux excès sont à éviter dans le style épistolaire : le trop d’art, c’est-à-dire les pensées affectées, les mots sonores, les figures éclatantes, les périodes nombreuses, les tours pompeux ou alambiqués ; et le trop de négligence, c’est-à-dire les termes impropres, les phrases triviales ou mal construites, les pensées sans valeur, et en, général tout ce qui ne serait pas bien reçu dans la conversation de la bonne compagnie. […] Dans les lettres de demandes, le ton doit être modeste et respectueux à proportion de la qualité de la personne à laquelle on écrit : les expressions choisies sans le paraître, les pensées justes et convaincantes, les tours agréables et propres à persuader, doivent distinguer ces lettres.
[Notice] Si la simplicité, le naturel, la grâce et la délicatesse sont des mérites classiques par excellence, on ne s’étonnera pas de voir figurer ici quelques pages du cahier où Eugénie de Guérin notait ses plus intimes pensées, sans songer qu’elle aurait des lecteurs. […] Ses paysages ne sont que l’occasion de pieuses pensées. […] Que cette pensée me console, me soutient dans cette séparation ! […] C’était d’abord une robe d’enfant, que nous faisions, jolie petite robe rose que j’ai cousue de jolies pensées.
Conseils à la jeunesse 1 Jeunes élèves, Au milieu des agitations publiques, vous avez vécu tranquilles et studieux, renfermant dans l’enceinte de nos écoles vos pensées comme vos travaux, uniquement occupés de vous former à l’intelligence et au goût du beau et du vrai. […] Mais, pour vous en rendre dignes et capables, écartez de votre pensée les préoccupations étrangères ; concentrez vos forces sur l’étude profonde et désintéressée. […] « Il n’y a de bon dans l’homme que ses jeunes sentiments, et ses vieilles pensées.
Quelques notions sur les pensées et sur les mots, un aperçu des qualités générales du style, une connaissance assez exacte des règles épistolaires, en répandant de la variété sur les exercices ordinaires de cette classe, procureraient aux élèves autant d’agrément que de profit. […] Là, nous étudions surtout les pensées, les mots, la phrase, comme étant les fondements indispensables de l’art d’écrire. […] Nous terminerons en reportant notre pensée vers le volume par lequel nous avons commencé la publication de ce cours, la Poétique, qui a paru il y a quelques mois.
On s’accoutume à bien parler en lisant souvent ceux qui ont bien écrit ; on se fait une habitude d’exprimer simplement et noblement sa pensée sans effort. […] Je ne vous reproche point de souper tous les soirs avec M. de la Poplinière1 ; je vous reproche de borner là toutes vos pensées et toutes vos espérances. […] Il n’est point question d’écrire des lettres pensées et réfléchies avec soin, qui peuvent un peu coûter à la paresse ; il n’est question que de deux ou trois mots d’amitié, et quelques nouvelles, soit de littérature, soit des sottises humaines, le tout courant sur le papier sans peine et sans attention. […] Les poëtes qui ont le plus d’essor, de génie, d’étendue de pensées et de fécondité, sont ceux qui doivent le plus craindre cet écueil de l’excès d’esprit. […] Retenez bien cette pensée.
Il prend sa pensée comme elle vient, récrit comme il pense ; le lecteur doit la prendre comme il l’écrit. […] Il se sert, selon le mot de Fénelon, de la parole pour la pensée, de la pensée pour la vérité. […] À partir de 1646, même au milieu de la vie mondaine, il tourna ses pensées vers la religion. […] L’édition définitive des Pensées est celle de M. […] Toute notre dignité consiste donc en la pensée.
Stoïcien tendre, il justifia par son exemple ce mot excellent qui est de lui : « Les grandes pensées viennent du cœur. » Philosophe religieux par sentiment, il se conserva pur de toute contagion dans un siècle où la licence des mœurs atteignait les idées. […] Sainte-Beuve dit : « Malheur à qui, dans l’ordre de la pensée, n’a pas été une fois ou stoïcien à lier, ou platonicien ébloui, ou péripatéticien forcené. […] Mais lorsque, malgré la fortune et malgré ses propres défauts, j’apprends que son esprit a toujours été occupé de grandes pensées et dominé par les passions les plus aimables, je remercie à genoux la nature de ce qu’elle a fait des vertus indépendantes du bonheur, et des lumières que l’adversité n’a pu éteindre. » 1. […] « Je vais lire vos Portraits, lui écrivait Voltaire ; si jamais je veux faire celui du génie le plus naturel, de l’homme du plus grand goût, de l’âme la plus haute et la plus simple, je mettrai votre nom au bas. » Vauvenargues disait ailleurs : « On doit se consoler de n’avoir pas les grands talents, comme on se console de n’avoir pas les grandes places : on peut être au-dessus de l’un et de l’autre par le cœur. » Citons encore de lui quelques pensées détachées : « Les feux de l’aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire. » « Les orages de la jeunesse sont environnés de jours brillants. » « Les premiers jours du printemps ont moins de grâce que la vertu naissante d’un jeune homme. » « La servitude abaisse l’homme jusqu’à s’en faire aimer. » « La liberté est incompatible avec la faiblesse. » « Le fruit du travail est le plus doux plaisir. » « C’est un grand signe de médiocrité que de louer toujours modérément. » « Si vous avez quelque passion qui élève vos sentiments, qui vous rend plus généreux, plus compatissant, plus humain, qu’elle vous soit chère. » « Les conseils de la vieillesse éclairent sans échauffer, comme le soleil d’hiver. » « Les longues prospérités s’écoulent quelquefois en un moment, comme les chaleurs de l’été sont emportées par un jour d’orage. » 1.
Les Pensées, quoique restées imparfaites, ont mis le comble à la gloire de Pascal comme écrivain. […] Dites-moi, je vous prie, celui qui croit avoir le présent tellement à soi, quand est-ce qu’il s’adonnera aux pensées sérieuses de l’avenir ? […] Les poètes qui ont le plus d’essor, de génie, d’étendue de pensées et de fécondité sont ceux qui doivent le plus craindre cet écueil de l’excès d’esprit. […] On s’accoutume à bien parler en lisant souvent ceux qui ont bien écrit ; on se fait une habitude d’exprimer simplement et noblement sa pensée sans effort. […] L’œil reçoit et réfléchit en même temps la lumière de la pensée et la chaleur du sentiment : c’est le sens de l’esprit et la langue de l’intelligence.
Contemplons la nature avec les yeux de l’âme aussi bien qu’avec les yeux du corps : partout une expression morale nous frappera, et la forme nous saisira comme un symbole de la pensée. […] Mon esprit épuisé ne sert plus ni mon cœur ni ma pensée ; ma plume est aussi faible que ma main ; elle a tracé péniblement chacune de ces lignes : il n’y en a pas une qui ne m’ait déchiré le cœur, et je n’aurais pas souffert davantage si j’eusse creusé moi-même la fosse de Santa-Rosa. […] Mais qu’importe la gloire et ce bruit misérable que l’on fait en ce monde, si quelque chose de lui subsiste dans un monde meilleur, si l’âme que nous avons aimée respire encore, avec ses sentiments et ses pensées sublimes, sous l’œil de celui qui le créa ?
Perdus que nous sommes dans l’immensité visible et invisible des choses, accablés du spectacle de la terre et du ciel, des perspectives de l’histoire et des horizons sans fin de l’avenir, nous ne pouvons arriver à la persuasion de notre petitesse1 ; notre âme proteste contre nos yeux, et, de l’abîme où elle semble anéantie, elle nous suscite la pensée que nous servons, et le désir invincible de servir en effet. […] Il lit dans l’histoire de ses pères l’exemple de ceux qui ont honoré un grand patrimoine par un grand dévouement, et, pour peu que l’élévation de sa nature réponde à l’indépendance qu’il s’est acquise ou qu’il a reçue, la pensée de servir l’État lui ouvre une perspective de sacrifices et de labeurs. […] Ses yeux s’ouvriront sans qu’on y lise une pensée, et son cœur battra sans qu’on y sente une vertu. […] La parole l’a mis au monde ; la parole a donné l’éveil et le premier cours à sa pensée ; quoi qu’il veuille, quoi qu’il fasse, pour son bonheur ou son malheur, la parole achèvera son œuvre ; elle en fera une victime de l’orgueil ou de la charité, un esclave des sens ou du devoir ; et si la liberté lui demeure toujours contre le mal, ce sera pourtant à la condition d’appeler à son aide une meilleure parole que la parole qui l’aura trompé. […] Vous vouliez, en leur donnant ce moyen si doux et si facile de se communiquer leurs pensées et leurs réflexions, qu’ils pussent s’encourager l’un l’autre dans la voie pénible du salut, et s’aider mutuellement dans les peines auxquelles le péché les a assujettis ; car quelle autre fin pouvait se proposer votre sagesse éternelle, qui a présidé à tous vos ouvrages !
Si l’on y réfléchit bien, on verra que ce n’est rien autre chose que la faculté de saisir, de combiner et d’exprimer des rapports inaperçus par le grand nombre, et que ce qu’on nomme communément pensée, style, n’est en général qu’une perception et une combinaison de rapports2. […] Les pères de la pensée et du style sont des géants, sans doute, et nous, rhéteurs, des enfants. […] Mais l’usage de la voix, comme manifestation de la pensée littéraire, ne s’arrêtait pas là. […] Destinée jadis à se transmettre, comme par tradition, d’une oreille à l’autre, ou consignée seulement dans quelques manuscrits, dont le haut prix interdisait l’acquisition à la grande majorité du publie, la pensée de l’écrivain vole maintenant d’un bout à l’autre de l’univers avec les livres, les pamphlets, les journaux.
Quintilien l’a dit lui-même : « N’allez pas croire qu’il faille, sur chaque sujet, sur chaque pensée, interroger tous les lieux communs, les uns après les autres, et frapper, pour ainsi dire, à leur porte, pour voir s’ils ne répondraient pas aux besoins de la question ; ce ne serait prouver ni expérience ni facilité. » A l’exemple de Quintilien, Vico compare ingénieusement les lieux à l’alphabet. […] On conçoit quelle abondante variété de développements découle de l’examen des causes premières ou secondes, essentielles ou accidentelles, intimes ou extérieures, brutes ou intelligentes, de tout ce qui peut être l’objet de la pensée humaine. […] Voulez-vous amplifier cette pensée : « Les hommes doivent croire en un Dieu rémunérateur et vengeur » ? […] La chose est possible, et même fort probable ; mais il n’en est pas moins vrai qu’ils ont employé les lieux communs, et que l’emploi de ces lieux a contribué au développement de leur pensée.
Ses pensées éclairent de vastes horizons. […] Ce n’étaient pas seulement les actions qui tombaient dans le cas2 de cette loi, mais des paroles, des signes et des pensées même ; car ce qui se dit dans ces épanchements de cœur que la conversation produit entre deux amis, ne peut être regardé que comme des pensées. […] Montesquieu aime à débuter par des traits saisissants, à frapper l’imagination, à revêtir sa pensée de vives couleurs.
Esprit brillant, belle imagination, il fut le Malherbe de la prose : il a le sentiment de la cadence, l’ampleur de la période, l’éclat du discours ; il sait choisir et ordonner les mots ; il orne de grandes pensées par des expressions magnifiques dont l’harmonie soutenue enchante l’oreille. […] Elle ne souffrait rien de servile dans l’esprit des artisans ; elle élevait les pensées d’un particulier au-dessus du trône et de la tiare du roi de Perse. […] La justice divine paraît quelquefois avec éclat et fait des exemples qui sont vus de tout le monde : quelquefois aussi elle s’exerce secrètement et abandonne les méchants à leurs propres cœurs et à leurs propres pensées. […] Il faut comparer ce morceau au Gorgias de Platon, à Pascal (Pensées sur l’éloquence), à Fénelon (Dialogue sur l’éloquence), à Buffon (Discours sur le style).
Le salut du matin qui renouvelle en quelque sorte le plaisir de la première arrivée ; le déjeuner, repas dans lequel on fête immédiatement le bonheur de s’être retrouvés ; la promenade qui suit, sorte de salut et d’adoration que nous allons rendre à la nature ; notre rentrée et notre clôture dans une chambre toute lambrissée à l’antique, donnant sur la mer, inaccessible au bruit du ménage, en un mot, vrai sanctuaire du travail ; le dîner qui nous est annoncé, non par le son de la cloche qui rappelle trop le collége ou la grande maison, mais par une voix douce ; la gaieté, les vives plaisanteries, les causeries ondoyantes qui flottent sans cesse durant le repas ; le feu pétillant de branches sèches autour duquel nous pressons nos chaises ; les douces choses qui se disent à la chaleur de la flamme qui bruit tandis que nous causons ; et, s’il fait soleil, la promenade au bord de la mer qui voit venir à elle une mère, son enfant dans les bras ; les lèvres roses de la petite fille qui parlent en même temps que les flots ; quelquefois les larmes qu’elle verse, et les cris de sa douleur enfantine sur le rivage de la mer ; nos pensées à nous, en considérant la mère et l’enfant qui se sourient, ou l’enfant qui pleure et la mère qui tâche de l’apaiser avec la douceur de ses caresses et de sa voix ; l’Océan qui va toujours roulant son train de vagues et de bruits ; les branches mortes que nous coupons en nous en allant çà et là dans le taillis, pour allumer au retour un feu prompt et vif ; ce petit travail de bûcheron qui nous rapproche de la nature et nous rappelle l’ardeur singulière de M. […] Je n’ai jamais eu la liberté de l’oiseau, ni ma pensée n’a été aussi heureuse que ses ailes : endormons-nous dans la résignation comme l’oiseau sur son nid1. […] Il disait ailleurs : « Je me dresse à moitié sur mon lit et j’écoute passer l’ouragan, et mille pensées qui dormaient, les unes à la surface, les autres au plus profond de mon âme, s’agitent et se lèvent. « Tous les bruits de la nature : les vents, ces haleines formidables qui mettent en jeu les innombrables instruments disposés dans les plaines, sur les montagnes, dans le creux des vallées, ou réunis en masse dans les forêts ; les eaux, qui possèdent une échelle de voix d’une étendue si démesurée, à partir du bruissement d’une fontaine dans la mousse jusqu’aux immenses harmonies de l’Océan ; le tonnerre, voix de cette mer qui flotte sur nos têtes ; le frôlement des feuilles sèches, s’il vient à passer un homme ou un vent follet ; enfin, car il faut bien s’arrêter dans cette énumération qui serait infinie, cette émission continuelle de bruits, cette rumeur des éléments toujours flottante, dilatent ma pensée en d’étranges rêveries et me jettent en des étonnements dont je ne puis revenir.
Si sa pensée se porte sur le monde moral, il lui prête des formes matérielles et palpables. […] Les hommes ordinaires, ceux qui vivent d’idées positives, et se renferment dans les choses et les intérêts matériels, ne portent guère leurs pensées au delà du monde visible qui les entoure. […] Guidée par la religion véritable, elle donne une forme sensible aux êtres invisibles, au monde moral ; mais il y a, dans sa pensée et dans sa forme, quelque chose de moins grossier et de moins terrestre, comme on peut le voir dans les poésies de saint Grégoire de Nazianze, et surtout dans le portrait qu’il a tracé de la Pureté et la Tempérance.
Le but de toute espèce de comparaison est de faire ressortir les objets les uns par les autres ; de donner plus de développement à la pensée, en la rendant sensible sous tous les rapports, ou de répandre seulement plus d’agrément et de variété dans le discours. Mais son objet principal, celui que l’écrivain doit avoir surtout en vue, est de mettre sa pensée dans tout son jour ; et peu importe alors de quels objets la comparaison est tirée : elle est heureuse, toutes les fois qu’elle est juste, et la propriété est surtout ce que l’on a droit d’exiger ici. […] Voici maintenant comment Moïse, plus grand poète encore qu’Homère, va rendre cette même pensée, et faire une beauté de sentiment de ce qui n’est, dans l’écrivain profane, qu’une simple beauté de diction. […] quelle heureuse réunion des pensées les plus fortes et des images les plus poétiques. […] La muse céleste d’Isaïe, c’est-à-dire l’esprit divin qui l’inspire lui-même, abaisse son vol sans effort des pensées les plus sublimes et des images les plus terribles, aux images les plus riantes, aux idées les plus douces.
Nisard juge ainsi un maître contemporain envers lequel il est peu suspect de complaisance : « Il a rendu sa pensée visible par un talent de description nouveau dans l’histoire de notre poésie. […] C’est la pensée de Pascal retournée. […] Sur lui-même Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées, Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées2 ; S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur Dans le coin d’un roman ironique et railleur3 ; Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie ; Si j’entre-choque aux yeux d’une foule choisie D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois De mon souffle, et parlant au peuple avec ma voix ; Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume, Jette le vers d’airain qui bouillonne et qui fume Dans le rhythme profond, moule mystérieux D’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; C’est que l’amour, la tombe, et la gloire et la vie, L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie, Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, Fait reluire et vibrer mon âme de cristal1, Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore Mit au centre de tout comme un écho sonore2 ! […] Profitons de l’occasion pour citer cette bonne pensée d’un ancien, de Guillaume du Vair : « La main du pauvre est la bourse de Dieu. […] Le vol d’un insecte qui traverse les airs suffit pour me persuader ; et souvent l’aspect de la campagne, le parfum des airs, et je ne sais quel charme répandu autour de moi, élèvent tellement mes pensées, qu’une preuve invincible de l’immortalité entre avec violence dans mon âme et l’occupe tout entière. »
Écrivain juste, clair, exact, uni, probe comme sa pensée, il a l’expression ferme, nette, appropriée, simple sans bassesse, noble sans recherche ; il songe à instruire plus qu’à plaire, et nous émeut par la force pénétrante de la vérité. […] C’est que, pour parvenir à cet état où l’ambition se figure tant d’agréments, il faut prendre mille mesures toutes également gênantes, et toutes contraires à ses inclinations ; qu’il faut se miner1 de réflexions et d’étude ; rouler pensées sur pensées, desseins sur desseins, compter toutes ses paroles, composer toutes ses démarches ; avoir une attention perpétuelle et sans relâche, soit sur soi-même, soit sur les autres.
L’historien s’attachera donc à dévoiler les desseins, les pensées de ses personnages, à nous en faire connaître les mœurs et le caractère sans cependant s’amuser à nous peindre longuement leur extérieur45. […] Quelquefois, on cite les paroles des personnages, soit textuellement, soit en les résumant, et alors, loin d’être un vice dans une histoire, c’est, au contraire, un vrai mérite, puisqu’on a ainsi les pensées mêmes des hommes influents ; mais, pour les insérer de la sorte, il faut qu’elles le méritent par leur importance. […] À cet ornement du style historique se joint souvent, aujourd’hui surtout, celui des pensées ou maximes. […] Les images vives, les descriptions, les narrations animées figurent avec plus de succès dans l’histoire que les maximes ou pensées abstraites. […] Les tours recherchés, les expressions ambitieuses, les pensées brillantes, conviennent plus à un rhéteur qui veut attirer sur lui une partie de l’attention due seulement au sujet.
Avouons-le, on sent la force et l’ascendant de ce rare esprit, soit qu’il prêche de génie et sans préparation, soit qu’il prononce un discours étudié et oratoire, soit qu’il explique ses pensées dans la conversation : toujours maître de l’oreille et du cœur de ceux qui l’écoutent, il ne leur permet pas d’envier ni tant d’élévation, ni tant de facilité, de délicatesse, de politesse ; on est assez heureux de l’entendre, de sentir ce qu’il dit, et comme il le dit ; on doit être content de soi si l’on emporte ses réflexions et si on en profite. […] Il ne faut pas qu’il y ait trop d’imagination dans nos conversations ni dans nos écrits ; elle ne produit souvent que des idées vaines et puériles, qui ne servent point à perfectionner le goût et à nous rendre meilleurs : nos pensées doivent être prises dans le bon sens et la droite raison, et doivent être un effet de notre jugement. […] Les écrivains et les hommes de finance Si les pensées, les livres et leurs auteurs dépendaient des riches et de ceux qui ont fait une belle fortune, quelle proscription ! […] Il ne parle pas, il ne sent pas ; il répète des sentiments et des discours, se sert même si naturellement de l’esprit des autres, qu’il y est le premier trompé, et qu’il croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée, lorsqu’il n’est que l’écho de quelqu’un qu’il vient de quitter. […] Il ne faudrait que leur ôlertons ces soins ; car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont, etc »(Pensées, art.
Cette dernière partie comprend : 1° Les qualités générales et les défauts de la phrase ; 2° L’harmonie et ses quatre espèces, qui sont : l’harmonie des mots, des phrases, imitative et des périodes ; 3° Le choix des pensées ; 4° Les rapports des pensées entre elles, qui sont : l’Unité, la Transition et la Gradation ; 5° Les figures de grammaire ou Tropes ; 6° Les figures en général ; 7° Les qualités particulières du style, qui caractérisent le style simple, le tempéré et le sublime.
Il en est de même quand on dit : La chaleur du sentiment, la rapidité de la pensée, un déluge de mots, des torrents de plaisirs, etc. […] Mais comme la pensée est le fait de toute âme raisonnable, nous avons jugé à propos d’exposer ici les figures de pensées qui sont les plus simples, les plus faciles et les plus indispensables pour l’intelligence et la traduction des auteurs. […] L'antithèse (de αντι, contre, en face, et τιθηµι, je place) est aussi une figure mixte, qui porte à la fois sur la constructions et sur la pensée, et qui consiste à opposer les mots aux mots, les pensées aux pensées. […] Prise à la lettre, la litote semble affaiblir la pensée ; mais les idées accessoires en font sentir toute la force. […] Id. — Dicere (de δειϰω, montrer), exposer une suite de pensées.
» Les enfants et les jeunes gens sont fort exposés à cet entraînement qui substitue l’émotion véritable à l’émotion artistique, enlève au lecteur la direction de sa pensée, de ses mouvements et de sa voix. […] … Un rang élevé rappellerait bientôt des pensées ambitieuses ; les serments d’une feinte soumission seraient bientôt démentis ! […] Ta dernière pensée est-elle en ce sourire Que la mort sur ta lèvre a cloué de ses mains ? […] Sir John Owen, simple gentilhomme du pays de Galles, honnête, courageux, sans ambition ni pensée personnelle, martyr obscur de sa cause et ne songeant pas à se faire un mérite de son dévouement. […] — Ou brûlante ou glacée, Son image sans cesse ébranle ma pensée.
Et moi, dit-il, je n’ai rien pour les soulager, je n’ai que ma pensée ; ah ! […] « Ces écrivains, dit-il, n’ont point de style, ou, si l’on veut, ils n’en ont que l’ombre : le style doit graver des pensées ; ils ne savent que tracer des paroles ». […] « Homme de lettres, si tu as de l’ambition, ta pensée devient esclave, et ton âme n’est plus à toi.
Il est venu arrêter les pensées vagues de l’esprit humain : par son moyen, nous savons ce qu’Aristote, ce que le maître d’Aristote5, ce que les disciples d’Aristote ont ignoré. […] Le Discours sur l’Histoire universelle sera le développement de cette grande pensée. […] « L’éloquence, a dit Nicole (Pensées diverses), ne doit pas seulement causer un sentiment de plaisir, mais elle doit laisser le dard dans le cœur. » Il ajoute avec raison qu’un discours dont on ne retient rien est un mauvais discours.
Le discours de l’Apôtre est simple, mais ses pensées sont toutes divines. […] Le jeu des ressorts n’est pas moins aisé que ferme : à peine sentons-nous battre notre cœur, nous qui sentons les moindres mouvements du dehors, si peu qu’ils viennent à nous ; les artères vont, le sang circule, les esprits coulent, toutes les parties s’incorporent leur nourriture sans troubler notre sommeil, sans distraire nos pensées, sans exciter tant soit peu notre sentiment : tant Dieu a mis de règle et de proportion, de délicatesse et de douceur, dans de si grands mouvements. […] Les mots, l’art de les disposer, l’harmonie des sons, la noblesse ou la vulgarité des expressions, rien n’importe à Bossuet ; sa pensée est si forte, que tout lui est bon pour l’exprimer. […] On peut rapprocher aussi de là cette pensée de d’Aguesseau : « L’éloquence n’est pas seulement une production de l’esprit ; c’est un ouvrage du cœur. » 1. […] (Des Pensées de Pascal.)