/ 386
112. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section première. La Tribune politique. — Chapitre V. De l’Éloquence politique chez les Français. »

Déjà la nécessité reconnue, depuis longtemps, de réformer des abus fortifiés par des siècles d’oubli du devoir des uns et des droits des autres ; déjà ce besoin inquiet d’un changement quelconque, avaient fait éclore une foule d’ouvrages où l’on était surpris de trouver autant d’esprit que de raison, et qui annonçaient d’avance les beaux jours de l’éloquence française. […] À l’époque mémorable que nous venons de parcourir, l’on eut plus d’une fois, sans doute, à gémir sur cet abus des talents ; le règne du sophisme, et l’esprit de chicane et de subtilité avaient déjà, plus d’une fois, dénaturé les meilleures causes, et obscurci, dès leur aurore, les beaux jours de notre éloquence politique : mais la raison, du moins, élevait encore la voix de temps en temps, pour la défense et le maintien de la vérité ; mais l’ascendant victorieux des vrais talents reprenait encore ses droits sur l’insolente médiocrité. […] Si quelque chose pouvait ajouter au mérite de ce beau discours, c’est la pensée que l’orateur, entravé de toutes parts et de toutes manières, n’eut que quatre nuits pour rédiger une pareille défense ; mais il fallait un prodige, et son courage l’a fait : son courage l’a élevé à la dignité de son sujet ; et c’eût été quelque chose encore de ne pas rester infiniment au-dessous. […] Renfermée alors dans les paisibles fonctions de la magistrature, et réduite à ne plus se montrer que dans les jours d’apparat, elle ne parle plus qu’un langage étudié, étranger aux beaux mouvements de la véritable éloquence, et froidement subordonné aux convenances, qui glacent à tout moment son enthousiasme, et viennent arrêter son essor. Heureuse toutefois, lorsqu’à la faveur d’un grand talent, elle rappelle encore quelques souvenirs de ses beaux jours, quelques traces de ses anciens triomphes !

113. (1853) Éléments de la grammaire française « Éléments de lagrammaire française. — Remarques particulières sur chaque espèce de mots. » pp. 46-52

Exemples : j’ai lu de bons livres, et non pas des bons livres ; j’ai vu de belles maisons, et non pas des belles maisons. […] Ainsi, ne dites pas : Paris est beau, j’admire ses bâtiments ; mais dites : j’en admire les bâtiments. […] Exemples : cette image, toute amusante qu’elle est, ne me plaît pas : ces images, toutes belles qu’elles sont, ne me plaisent pas 1. […] Cependant, quoique le nom de chose ne soit pas dans la même phrase, on se sert bien de son, sa, ses, quand il est régi par une préposition, comme : Paris est beau ; j’admire la grandeur de ses bâtiments.

114. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Section I. Des Ouvrages en Prose. — Chapitre III. Du Genre historique. »

L’éloquence continue qui règne dans les livres saints, n’y doit rien aux ressources de l’art : elle est toute dans les choses, et n’en est que plus belle, plus touchante, plus persuasive. […] Il y a de très beaux morceaux, et des peintures très vives. […] Le règne de Tibère passe pour un chef-d’œuvre de politique, et la Vie d’Agricola pour un des plus beaux et des plus précieux morceaux de l’antiquité. […] En prenant pour guides les auteurs grecs et les latins, il a recueilli tout ce qu’ils ont de plus intéressant et de plus beau, soit pour les faits, soit pour les réflexions. […] Brotier, jésuite, a donné une belle édition de son histoire, revue sur les manuscrits et enrichie de notes.

115. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — La Bruyère 1646-1696 » pp. 100-117

Elle est située à mi-côte ; une rivière baigne ses murs, et coule ensuite dans une belle prairie ; elle a une forêt épaisse qui la couvre des vents4 froids et de l’aquilon. […] Je me récrie, et je dis : Quel plaisir de vivre sous un si beau ciel et dans ce séjour si délicieux2 ! […] Si l’on remet cette étude si pénible à un âge un peu plus avancé, et qu’on appelle la jeunesse, l’on n’a pas la force d’y persévérer ; et si l’on y persévère, c’est consumer à la recherche des langues le même temps qui est consacré à l’usage que l’on en doit faire ; c’est borner à la science des mots un âge qui veut déjà aller plus loin, et qui demande des choses ; c’est au moins avoir perdu les premières et les plus belles années de sa vie. […] Il est habillé des plus belles étoffes : le sont-elles moins toutes déployées dans les boutiques et à la pièce ? […] Molière a dit : Il ne vous a pas fait une belle personne Afin de mal user des choses qu’il vous donne.

116. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Balzac, 1596-1655 » pp. 2-10

Esprit brillant, belle imagination, il fut le Malherbe de la prose : il a le sentiment de la cadence, l’ampleur de la période, l’éclat du discours ; il sait choisir et ordonner les mots ; il orne de grandes pensées par des expressions magnifiques dont l’harmonie soutenue enchante l’oreille. […] Adroit à manier l’antithèse, la métaphore, l’hyperbole, il donne l’idée d’un beau corps auquel l’âme fait défaut. […] que cette amertume me semble bien de meilleur goût que toutes les douceurs fades et tout le sucre des beaux parleurs ! […] La fraîcheur et les rosées de la nuit viennent ensuite, et réjouissent ce qui languirait sur la terre sans leur secours ; mais, ayant plutôt abattu la poussière que fait de la boue, il faut avouer qu’elles ne contribuent pas peu aux belles matinées dont nous jouissons1. […] Balzac était optimiste : sa sérénité voyait tout en beau, principalement son propre génie.

117. (1881) Cours complet de littérature. Style (3e éd.) « Cours complet de littérature — Style — Seconde partie. Moyens de former le style. — Chapitre Ier. Des exercices préparatoires à la composition » pp. 209-224

Le beau siècle de Louis XIV se faisait gloire de suivre les traditions de la Grèce et de l’Italie. […] Le bon dans les compositions littéraires a des points d’affinité singulièrement remarquables avec le beau. […] Et lorsqu’on aura longtemps contemplé les merveilles de la Bible, le livre par excellence, et les grandes inspirations de la littérature chrétienne ; lorsqu’on aura étudié les chefs-d’œuvre des plus beaux siècles ; lorsqu’on aura appris à distinguer le beau réel de ce qui n’en a que l’apparence, alors on pourra entreprendre d’autres lectures, et faire connaissance avec les écrivains dont la réputation est moins éclatante. […] Il est en effet indispensable pour quiconque veut se rendre entièrement maître de son sujet, et l’approfondir de manière à en faire naître les éléments nécessaires pour un développement naturel et intéressant, c’est-à-dire pour une belle amplification. […] Une source féconde de beaux développements se trouve dans les causes et les effets, c’est-à-dire dans ce qui a produit l’objet ou dans ce qui en est le résultat.

118. (1843) Nouvelle rhétorique, extraite des meilleurs auteurs anciens et modernes (7e éd.)

Ainsi, dans ces beaux vers de La Fontaine (Fabl. […]  9), et l’oppose aux plus beaux traits d’Homère. […] Les beaux vers ! disait Fontenelle, ô les beaux vers ! […] Voyez un bel exemple de suspension, Verrin.

119. (1853) Petit traité de rhétorique et de littérature « Chapitre XI. Grands poèmes. »

Quelquefois, cependant, la description d’un caractère par le poète lui-même fait un très bel effet : c’est ce qu’on appelle un portrait. […] Tel est le sujet du poème ; telle est l’action que le poète a chantée, et dans laquelle il a déployé autant d’imagination, autant de talent poétique qu’il peut y en avoir dans les plus beaux poèmes épiques. […] C’est, sans comparaison, le plus beau poème épique des temps modernes. […] Le plan est beau, le style noble, sublime, quelquefois dur. […] Il a quelques endroits imités de Virgile, qui égalent les plus beaux du poète latin, comme la descente en esprit de Henri aux enfers, conduit par saint Louis, la mort du jeune d’Ailly tué par son père, etc.

120. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Villemain. Né en 1790. » pp. 479-491

Que le critique commence par aimer les beaux arts d’un amour sincère ; que son âme en ressente les nobles impressions ; qu’il entre dans l’empire des lettres, non pas comme un proscrit qui veut venger sa honte, mais comme un rival légitime qui mesure sur son talent l’objet de son ambition, et qui veut obtenir une gloire, en jugeant bien celle des autres. […] Mais si le règne de Louis XIV favorisait particulièrement ce genre d’éloquence, son goût juste et noble3, son amour naturel du grand et du beau, ne devaient pas exercer moins d’influence sur toutes les formes que prit alors le génie littéraire. […] Racine et Fénelon respiraient l’élégante pureté, la douce mélodie des plus beaux temps d’Athènes ; ils choisissaient même parmi les Grecs ; ils avaient le goût et l’âme de Virgile. […] Ce qu’il prescrit il le fait, et si quelque chose pouvait nous rappeler au respect des lois du beau, à l’amour et à l’étude des modèles, ce serait cette critique qui semble se monter au ton des grands écrivains qu’elle juge, et prendre les formes de leur talent pour en mieux faire sentir le charme. […] III) de belles pages sur l’influence littéraire de Louis XIV.

121. (1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Préface. »

C’est ce qui fait que nous rencontrons souvent dans la décomposition des choses fort belles auxquelles les auteurs ne pensaient peut-être guères, et que leur talent a produites, pour ainsi dire, d’instinct. […] Si vous ne l’imitez pas, vous ferez des choses tellement opposées aux idées reçues, à toutes les notions du beau, du naturel, du sublime, que chacun vous blâmera, et dira, tout en reconnaissant que vous avez du talent, qu’il faudrait qu’il fût perfectionné par l’art. […] En effet, si vous nous donnez un bel ouvrage, où dans un style tour à tour simple, sublime et tempéré, vous nous ayez réellement attachés, et montré toutes les ressources d’un talent qui sait imiter la belle nature, ce qui est le don le plus heureux des grands peintres, que nous importe que nous ne puissions classer votre style dans un des trois genres créés par les rhéteurs ?

122. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome I (3e éd.) « Notes pour l’intelligence des exemples cités dans ce premier volume. » pp. 365-408

-C., laissant 150 psaumes, où il célèbre les grandeurs de Dieu par la plus belle et la plus sublime poésie. […] Minerve, déesse de la sagesse, des sciences et des beaux arts. […] Elle passe pour être la ville la plus belle, la plus riche, la plus peuplée, la plus florissante, et l’une des plus grandes de l’Europe. […] Il n’y en a point, suivant le chevalier Folard, d’aussi belle dans l’antiquité. […] La grande galerie passe pour le plus beau morceau du monde en ce genre.

123. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Voltaire, 1694-1778 » pp. 253-281

Les artistes, craignant d’être imitateurs, cherchent des routes écartées ; ils s’éloignent de la belle nature que leurs prédécesseurs ont saisie. […] Un mot mis hors de sa place gâte la plus belle pensée. […] C’est, dira-t-on, un beau défaut, c’est un défaut rare, c’est un défaut merveilleux. […] Il m’a fait présent d’un bel exemplaire imprimé à ses dépens. […] Je ferais vraiment une belle figure au milieu des fêtes de Vos Altesses Électorales !

124. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Mme de Sévigné. (1626-1696.) » pp. 48-53

M. le prince alla jusque dans la chambre de Vatel et lui dit : « Vatel, tout va bien ; rien n’était si beau que le souper du roi. » Il répondit : « Monseigneur, votre bonté m’achève ; je sais que le rôti a manqué à deux tables. — Point du tout, dit M. le prince ; ne vous fâchez point ; tout va bien. » Minuit vint, le feu d’artifice ne réussit pas, il fut couvert d’un nuage : il coûtait seize mille francs. […] Voici un bel incident : M. l’abbé1 avait mandé que nous arriverions le mardi, et puis tout d’un coup il l’oublie : ces pauvres gens attendent le mardi jusqu’à dix heures du soir ; et quand ils sont tous retournés chacun chez eux, bien tristes et bien confus, nous arrivons paisiblement le mercredi, sans songer qu’on eût mis une armée en campagne pour nous recevoir : ce contre-temps nous a fâchés ; mais quel remède ? […] Mes petits arbres sont d’une beauté surprenante ; Pilois2 les élèves jusqu’aux nues avec une probité admirable : tout de bon, rien n’est si beau que ces allées que vous avez vues naître. […] Il suffirait de rappeler pour son éloge que, sur la fin de sa belle vie, M. […] La belle chose que de ne rien faire. — Rappelons à ce sujet une pensée très-juste de Balzac : « La paresse n’a rien de commun avec l’oisiveté : celle-ci réveille, aiguise, purifie les sens ; celle-là les endort et les émousse. » 2.

125. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Balzac, 1596-1655 » pp. 2-8

Esprit brillant, belle imagination, il fut le Malherbe de la prose : il a l’ampleur de la période, l’éclat du discours ; il sait choisir et ordonner les mots ; il orne de grandes pensées par des expressions magnifiques dont l’harmonie soutenue enchante l’oreille. […] Il donne l’idée d’un beau corps auquel l’âme fait défaut, et les artifices de son noble langage laissent le cœur indifférent. […] A Rome, vous4 marcherez sur des pierres qui ont été les dieux de César et de Pompée : vous considérerez les ruines de ces grands ouvrages dont la vieillesse est encore belle, et vous vous promènerez tous les jours parmi les histoires et les fables. […] La fraîcheur et les rosées de la nuit viennent ensuite, et réjouissent ce qui languirait sur la terre sans leur secours ; mais, ayant plutôt abattu la poussière que fait de la boue, il faut avouer qu’elles ne contribuent pas peu aux belles matinées dont nous jouissons3. […] Balzac était optimiste ; sa sérénité voyait out en beau, principalement son propre génie.

126. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — La Bruyère. (1646-1696.) » pp. 91-100

Ce palais, ces meubles, ces jardins, ces belles eaux, vous enchantent, et vous font récrier d’une première vue sur une maison si délicieuse, et sur l’extrême bonheur du maître qui la possède : il n’est plus, il n’en a pas joui si agréablement ni si tranquillement que vous ; il n’y a jamais eu un jour serein ni une nuit tranquille ; il s’est noyé de dettes pour la porter à ce degré de beauté où elle vous ravit : ses créanciers l’en ont chassé ; il a tourné la tête, et il l’a regardée de loin une dernière fois ; et il est mort de saisissement1. […] Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau qui, répandu sur une colline vers le déclin d’un beau jour, paît tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger soigneux et attentif est debout auprès de ses brebis ; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il les change de pâturages : si elles se dispersent, il les rassemble ; si un loup avide paraît, il lâche son chien, qui le met en fuite ; il les nourrit, les défend ; l’aurore le trouve déjà en pleine campagne, d’où il ne se retire qu’avec le soleil. […] Il faut voir sur La Bruyère une courte mais belle appréciation de Vauvenargues, l’agréable notice de Suard, écrite en 1782, un chapitre du Génie du Christianisme, l’Eloge de Victorin Fabre, couronné par l’Académie française en 1810 ; enfin, plus récemment, un article de M. […] Suard a cité et analysé ce bel apologue « pour donner à la fois, dit-il, par un seul passage, une idée du grand talent de Bruyère et un exemple frappant de la puissance des contrastes dans le style ». […] Telle est en effet la disposition du cœur humain, que Lucrèce a signalée dans de beaux vers (II, 1-6), ainsi traduits par Voltaire : On voit avec plaisir, dans le sein du repos, Des mortels malheureux lutter contre les flots ; On aime à voir de loin deux terribles armées Dans les champs de la mort aux combats animées : Non que le mal d’autrui soit un plaisir si doux ; Mais son danger nous plaît, quand il est loin de nous.

127. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — Voltaire. (1694-1778.) » pp. 277-290

Excellent aussi dans le poëme didactique, l’un de ses principaux mérites fut de revêtir des couleurs d’une imagination inspirée les plus hautes idées de la science, et, pendant que Fontenelle en propageait l’intelligence par la clarté de sa prose facile, de la populariser également par le prestige des beaux vers. […] Villemain, qui a établi entre elle et la Pharsale de Lucain un curieux parallèle, est une suite de beaux passages plutôt qu’un beau poëme ; mais le style y est en plus d’une rencontre admirable de facilité et de richesse ; et la versification de cette œuvre, au jugement de La Harpe, qui l’a analysée avec beaucoup de soin et généralement bien appréciée, la place parmi les monuments les plus remarquables de la poésie française. […] Beau portrait du calme qu’une âme forte conserve au milieu des dangers : Duplessis-Mornay, qui a laissé aussi des Mémoires curieux sur les événements et les guerres auxquels sa vie a été mêlée, se montra même sur les champs de bataille un sage, ami des hommes : ce qui ne l’empêchait nullement d’être un héros. […] « Cette comparaison, dit La Harpe, est au nombre des plus belles qui existent dans aucune autre langue, et l’auteur ne la doit qu’à lui seul. » — Malgré cette assertion, on en reconnaîtra du moins le germe dans ces vers de Stace, Achill. […] Belle imitation de l’Othello de Shakspeare, elle appartient au genre de ces pièces dites romanesques, où le poëte puise dans son imagination, non dans l’histoire, les principaux événements qu’il offre aux yeux des spectateurs.

128. (1881) Cours complet de littérature. Style (3e éd.) « Cours complet de littérature — Style — Première partie. Règles générales du style. — Chapitre III. Des ornements du style » pp. 119-206

Il y a des métaphores permises, belles même en poésie, qui en prose paraîtraient absurdes ou peu naturelles. […] L’allusion plaît lorsqu’elle est naturelle, facile à découvrir, et quand elle présente à l’esprit une image neuve et belle. […]  — Fléchier, Boileau et Racine nous offrent de beaux exemples du choix et de la combinaison des mots. […] Un beau modèle de style périodique est le début de l’Oraison funèbre de la reine d’Angleterre. […] Mais il faut toujours se souvenir que la grande règle est de les entremêler, et que leur mélange bien entendu constitue l’une des principales ressources du beau langage.

129. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section cinquième. La Tribune académique. — Chapitre III. Discours académiques de Racine, de Voltaire et de Buffon. »

Personne ne rendait plus de justice que lui au créateur de la tragédie française ; il en répétait sans cesse les beaux vers, en faisait apprendre les plus belles scènes à ses enfants, leur en détaillait lui-même les endroits marquants, et ne se lassait point de leur dire : Corneille fait des vers cent fois plus beaux que les miens. […] « Rien, ajoute-t-il encore, n’est plus opposé au beau naturel, que la peine qu’on se donne pour exprimer des choses ordinaires ou communes d’une manière singulière ou pompeuse ; rien ne dégrade plus l’écrivain. […] À cette époque, n’avaient point encore paru la traduction des Géorgiques par Delille, qui joint au mérite d’une élégance et d’une harmonie soutenues, celui d’une fidélité qui tient quelquefois du prodige : sa traduction de l’Énéide, dans laquelle il y a beaucoup à reprendre, mais plus encore à admirer ; son Paradis Perdu, l’une des plus belles créations de la poésie française.

130. (1876) Traité de versification latine, à l'usage des classes supérieures (3e éd.) « PREMIÈRE PARTIE. DE L'ÉLÉGANCE LATINE. — CHAPITRE III. De la disposition des mots qui composent le discours. » pp. 78-143

La vertu n’a point de plus beau théâtre que la conscience. […] Il est beau, même pour un vieillard, d’acquérir de la science, dit l’empereur Marc-Aurèle. […] Un air pur remplit ces beaux lieux, et les colore de la plus douce lumière. […] C'est d’ailleurs le beau, le principal caractère qu’il a su donner à son héros, pius Æneas. […] Ainsi une belle fleur coupée par le tranchant de la charrue, se fane et périt.

131. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Précis des quatre âges de la Littérature. »

Les arts exilés de ces belles contrées, vinrent établir leur empire dans Rome, et y brillèrent du plus vif éclat sous César et sous Auguste. […] Mais le règne de la belle nature avait alors fait place au règne du bel esprit. […] Une foule de poètes, d’orateurs, et d’historiens, firent revivre dans leurs belles productions la langue des anciens Romains. […] Ce siècle des lumières et du vrai goût n’eut presque rien à envier aux beaux siècles d’Alexandre, d’Auguste et des Médicis.

132. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Notes pour l’intelligence des exemples cités dans ce second volume. »

Ses belles actions dans la campagne contre les Turcs, lui valurent un régiment de dragons. […] Il était si beau, que toutes les nymphes désiraient l’avoir pour époux. […] Il y a tout auprès une grande et belle ville du même nom. […] Les Dieux la trouvèrent si belle, qu’ils la nommèrent la Déesse de l’amour. […] Il présidait, suivant les poètes, aux changements réglés qui entretiennent le bel ordre de la nature et pouvait lui-même se changer en toutes sortes de formes.

133. (1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Deuxième partie. Préceptes des genres. — Chapitre second. De la narration. »

c’est le bel âge Pour plaider. […] C’est le bel âge pour plaider. […] Quelque belle que soit l’ allégorie, elle serait froide si elle était longue. […] Tout ce dialogue sent l’art, et même l’affectation dans l’art, et c’est bien dommage que cette tache se montre dans un si beau récit. […] Voilà les deux héros en présence, ici commence un des plus beaux tableaux que possède notre langue.

134. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre quatrième. De la disposition oratoire, ou de l’Ordre mécanique du discours. — Chapitre II. Application du chapitre précédent au discours de Cicéron pour Milon. »

La querelle s’engagea : Clodius blessé, et se sentant le plus faible, se retira dans une hôtellerie, comme pour s’en faire un asile ; mais Milon ne voulut pas manquer une si belle occasion : il ordonna à ses gladiateurs de forcer la maison, et de tuer Clodius. […] Celle d’un tribunal si extraordinaire, et de formes si nouvelles, si étrangères aux formes habituelles du barreau, devaient inspirer naturellement quelque défiance au défenseur de Milon ; et c’est de cette crainte même, dont il ne peut se défendre entièrement, que l’orateur a su tirer ce bel exorde. […] Arrêtons-nous un moment à la belle prosopopée, dans laquelle l’orateur introduit Milon lui-même se glorifiant de la mort de Clodius, et s’écriant : 118« Occidi, occidi, non Sp.  […] Ce qui suit est bien plus fort et bien plus beau encore : 119« Quamobrem, si cruentum gladium tenens clamaret T.  […] Comme notre admiration sincère pour tout ce qui est grand et vraiment beau, nous paraît suffisamment établie dans le cours de cet ouvrage, nous devons à la vérité et à Cicéron lui-même, de dire ici que cette seconde partie de la confirmation est évidemment inférieure à la première.

135. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre XXVI. des figures. — figures par mutation et inversion  » pp. 370-387

Jourdain : « Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. » Le maître de philosophie, après avoir retourné cette phrase de quatre ou cinq façons, lui dit bien que de toutes ces façons la meilleure est celle qu’il a employée tout du premier coup ; mais il ne lui dit pas pourquoi. […] Quintilien compare ingénieusement l’arrangeur de phrases et de périodes (et notre orgueil a beau en murmurer, c’est là plus ou moins le lot de tout écrivain), à l’ouvrier qui construit un mur avec des pierres brutes, qui essaye, qui rejette, qui reprend, tantôt l’une, tantôt l’autre, jusqu’à ce qu’il ait placé chacune à l’endroit convenable et où elle s’agence le mieux. […] Je pourrais multiplier les exemples ; je me contenterai de citer une phrase de Fléchier : « Déjà prenait l’essor, pour se sauver vers les montagnes, cet aigle dont le vol hardi avait d’abord effrayé nos provinces122 ; » et cette belle construction de Bossuet déjà citée, qui reproduit si bien, par la hardie transposition du verbe et par le poids de toute la phrase la formidable pesanteur de l’objet à peindre : « Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne… etc. » Souvent, sans inversion précise, la construction de Bossuet donne à sa parole un charme extrême. […] « Notre langue, dit-il, est trop sévère sur ce point ; elle ne permet que des inversions douces ; au contraire, les anciens facilitaient par des inversions fréquentes les belles cadences, la variété et les expressions passionnées ; les inversions se tournaient en grandes figures, et tenaient l’esprit suspendu dans l’attente du merveilleux. » Tout cela est vrai, mais c’est une nécessité des langues analytiques, qu’il est difficile et hasardeux de faire fléchir ; j’ai dit pourquoi. […] Ainsi j’appelle épiphonème les vers imprimés en caractère italique de ce passage de la Fontaine, dans sa belle élégie aux Nymphes de Vaux : Inspires A Louis cette même douceur : La plus belle victoire est de vaincre son cœur.

136. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie —  Lamennais, 1782-1854 » pp. 455-468

Comparez cette belle page de madame de Staël : « Tout ce qui est vraiment beau est inspiré, tout ce qui est désintéressé est religieux. […] C’est l’artisan de belles phrases qui se montre et prémédite ses effets. […] On me dit que c’est un enchantement pendant la belle saison, tant il y vient d’oiseaux à cause de la fraîcheur et de l’ombre épaisse de ses rives. […] que ce moment sera beau, qui finira tout et commencera tout, qui finira tout sur la terre, et commencera tout pour l’éternité ! […] La belle idée, et le doux délaissement que nous trouverions dans la vie, si nous savions, comme les saints, nous reposer en Dieu !

137. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre XIV. de la fin  » pp. 189-202

Non pas que je veuille mutiler de pareilles conclusions, celle de l’Iliade moins que toute autre, le vingt-quatrième chant est peut-être ce qu’Homère a fait de plus beau ; mais je préfère le dénoûment qui d’un seul et même coup tranche toutes les branches de l’action. […] » Un beau modèle de péroraison tirée de la personne du juge, c’est celle du Mémoire de Pélisson en faveur de Fouquet, le seul morceau peut-être réellement éloquent qu’ait produit le genre judiciaire en France au xviie  siècle. […] Courbé, comme je le suis, par la main de la douleur, je suis peu capable d’assister mon pays dans cette périlleuse conjoncture ; mais, milords, tant que je garderai le sentiment et la mémoire, je ne consentirai jamais à priver la royale postérité de la maison de Brunswick et les descendants de la princesse Sophie de leur plus bel héritage. » N’est-ce pas dans l’intervention personnelle de l’orateur que consiste en grande partie le triomphe de Bossuet, dans la péroraison de l’Oraison funèbre de Condé, « lorsqu’après avoir mis Coudé au cercueil, comme parle Chateaubriand, il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers au catafalque du héros ; lorsqu’en s’avançant lui-même avec ses cheveux blancs il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe, et le siècle de Louis, dont il a l’air de faire les funérailles, prêt à s’abîmer dans l’éternité ?  […] On ne peut guère rapprocher, sous ce rapport, de la péroraison de saint Vincent de Paul, que la seconde partie du beau sermon en faveur de la fondation d’un hospice pour les militaires et les prêtres infirmes, prononcé au xviii e  siècle par l’abbé de Boismont dans une assemblée des dames de la charité. […] Tantôt il adresse à Dieu ses ferventes prières en faveur du pécheur repentant ou obstiné : ainsi Massillon dans la magnifique péroraison du sermon sur le petit nombre des élus ; tantôt il développe quelqu’un de ces psaumes, si féconds en images gracieuses et brillantes : ainsi la paraphrase du De profundis par le même orateur, à la fin de sa belle homélie sur le Lazare.

138. (1875) Les auteurs grecs expliqués… Aristote, Poétique « Commentaire sur la Poétique d’Artistote. — Chapitre VI. » pp. 89-94

Nous n’en citerons que les lignes suivantes : « Il s’en faut bien que la tragédie nous renvoie chagrins et mal satisfaits, la comédie tout à fait contents et de belle humeur  car si nous apportons à la tragédie quelque sujet de tristesse qui nous soit propre, la compassion en détourne l’effet ailleurs, et nous sommes heureux de répandre pour les maux d’autrui les larmes que nous gardions pour les nôtres. […] Lévêque, dans La Science du Beau (2e édition Paris, 1872), IVe partie, chap.  […] Batteux : « On en peut juger par les premières tragédies. » Dacier dit plus clairement : « C’est une expérience que presque tous les anciens poëtes ont faite. » En étalant les plus belles couleurs.] […] Iphigénie était accoutrée comme Mme de Sévigné, lorsque Boileau adressait ces beaux vers à son ami : Jamais Iphigénie, en Aulide immolée, N’a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée, Que dans l’heureux spectacle à nos yeux étalé N’en a fait sous son nom verser la Champmeslé.

139. (1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Poétique — Première partie. De la poésie en général — Chapitre premier. Des caractères essentiels de la poésie » pp. 9-15

Inutile de faire remarquer que la raison n’est pas non plus le vrai principe de la poésie ; car cette faculté, qui veut tout peser, tout analyser, ne s’élève pas assez au-dessus des idées positives et du monde matériel pour fournir l’expression du beau idéal. […] Mais ce n’est pas assez pour lui ; emporté par son inspiration, il s’élance au delà des choses réelles pour créer un monde plus beau et plus séduisant. […] Salut, derniers beaux jours ! […] Elle crée un monde plus beau, plus pur, plus heureux, en un mot, plus séduisant que le monde réel.

140. (1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Première partie — Chapitre V. — Qualités particulières du Style »

Nous en trouvons un bel exemple dans la fable intitulée : le Savetier et le Financier. […] Regardez si je ferai jamais de beaux discours qui me valent tant, et, s’il n’eût pas été bien mal à propos qu’en cette occasion, sous ombre que je suis à l’Académie, je me fusse piqué de parler bon français. […] Une dignité noble et imposante caractérise les belles pensées de Kératry, sur la Reconnaissance. […] C’est auprès de cette belle côte que s’élève, dans la mer, où est bâtie la ville de Tyr. […] Les premiers ont réuni au plus haut degré l’imagination, c’est-à-dire, le génie qui crée, et le goût, c’est-à-dire, la faculté qui fait discerner le bon et le beau du mauvais et de la laideur.

/ 386