Il faut essayer de connaître celui qui nous est naturel, n’en point sortir, et le perfectionner autant qu’il nous est possible. […] Je m’ôte tous les jours, pour eux, les choses de la bouche ; et c’est être, monsieur, d’un naturel trop dur que de n’avoir nulle pitié de son prochain. […] Le cœur388 est ce milieu qui altère la couleur naturelle des objets, et qui nous les fait paraître autres qu’ils ne sont en effet. […] il se refond 653, il se métamorphose, il force son naturel, et l’assujettit à sa passion. […] Racine appartient à la famille des génies studieux, tendres et épris de la perfection, qui ont cherché le naturel dans les formes les plus nobles et les plus choisies : c’est notre Virgile français.
Et comme la passion du commandement n’est pas moins naturelle aux particuliers que l’instinct de l’obéissance aux multitudes, comme d’une autre part le pouvoir est le prix de la persuasion, vous sentez encore que l’éloquence a dû se former toute seule à l’école de l’ambition. […] C’est que l’astuce est naturelle à ce peuple, et que, pour gouverner des hommes qui ne reconnaissent que l’empire de la persuasion, il faut être rompu de longue main à l’usage de la parole. […] Comprenez-vous tout ce que cette situation si simple et pourtant si naturelle a de terrible pour l’orateur ? […] Elle a un art à elle de reprendre sans offenser, et de flatter sans corrompre ; art naturel, qui ne s’apprend pas dans les écoles, et dont toute la formule peut se résumer en un mot : Pour convaincre, soyez convaincu. […] Démosthène voit le danger de cette tactique : elle flatte l’indolence naturelle des Athéniens, elle excite leurs soupçons contre leurs chefs, elle aigrit les partis, elle divise les forces de l’État au moment où leur union est le plus nécessaire à son salut.
Un objet qui n’a d’autre mérite que celui d’être nouveau ou peu commun, excite, par cela seul, une sensation aussi vive qu’agréable : de là, cette passion de la curiosité, qui est si naturelle à tous les hommes. […] Les mots n’ont point, en effet, une ressemblance naturelle avec les idées qu’ils représentent, tandis qu’une statue, un tableau offrent une ressemblance parfaite avec l’objet imité.
Ce n’étaient point des orateurs de profession : ce n’est point dans les écoles des rhéteurs qu’ils s’étaient formés à l’art de bien dire ; mais l’habitude et la nécessité de parler souvent en public, et surtout la disposition naturelle de ces âmes ardentes au grand et au sublime, en faisaient des hommes éloquents, dont Thucydide a recueilli des traits infiniment précieux. Ces grands exemples ne pouvaient qu’ajouter à l’ardeur naturelle des Athéniens pour l’éloquence ; elle devint alors un art qui eut ses règles et ses professeurs.
Ce ne sont point là de ces froids jeux de mots, de ces antithèses puériles où l’esprit s’est mis à la torture pour faire contraster quelques mots, ou donner par l’opposition un moment d’éclat à des pensées communes : c’est un rapprochement naturel commandé par la force du sujet, et qui frappe d’autant plus, qu’il s’est offert avec plus de facilité. […] Vous allez le sentir, et il vous paraîtra si simple et si naturel, que vous penserez qu’il a dû s’offrir de lui-même.
Marmontel nous en indique la différence en ces termes : « L’une trace la méthode et l’autre la suit ; l’une enseigne les moyens et l’autre les emploie ; l’une indique les sources et l’autre y va puiser ; l’une abat une forêt de matériaux et l’autre en fait le choix et les met en œuvre avec intelligence ; et enfin l’éloquence est née avant les règles de la rhétorique, de même que les langues se sont formées avant la grammaire. » Laissons un instant parler Buffon sur ce sujet ; il nous expliquera clairement comment il comprend l’éloquence, et quelle différence il établit entre elle et cet avantage dont la plupart des hommes sont doués de parler avec une certaine facilité naturelle. « La véritable éloquence, dit-il, est bien différente de cette facilité naturelle de parler qui n’est qu’une qualité accordée à tous ceux dont les passions sont fortes, les organes souples et l’imagination prompte.
Esprit alerte, étendu, vigoureux et pratique, il nous fait aimer la netteté, la justesse, le naturel et l’aisance d’un langage limpide, calme et transparent. […] « Abondante, aisée, simple et lumineuse, son éloquence sait prêter un intérêt qui captive aux arides détails des affaires les plus compliquées, parcourir sans s’égarer tous les détours des questions les plus vastes, répandre sur les plus obscures le jour éclatant de l’évidence, semer comme en se jouant sur sa route les vérités brillantes et les mouvements heureux, et, cachant une méthode réfléchie sous les dehors d’une improvisation facile, déployer un art d’autant plus savant qu’il conserve tout le charme de l’abandon et tout l’entraînement du naturel, reproduire enfin cette grandeur négligée qu’on admirait dans M.
Qui pourrait se refuser, par exemple, à l’obligation si simple et si générale de la prière, quand elle nous est présentée comme le plus naturel, comme le plus facile des devoirs, et environnée de tout ce qui doit et peut nous la faire chérir ? […] « L’impie apporta en naissant les principes de religion naturelle communs à tous les hommes : il trouva écrite dans son cœur une loi qui défendait la violence, l’injustice, la perfidie, et tout ce qu’on ne peut pas souffrir soi-même. […] Les raisonnements de cette espèce de philosophie sont en conséquence de ses principes : cela est naturel ; et en voici la preuve : « On ne sait (dit le philosophe) ce qui se passe dans cet autre monde dont on nous parle.
Enfin dans cette pièce de Claude Mermet (poète du xvie siècle) : Les amis de l’heure présente Ont le naturel du melon : Il faut en essayer cinquante Avant d’en rencontrer un bon. […] cria-t-il hautement, De me baigner si désormais l’envie Me revenait, daignez me la changer ; Oncques dans l’eau n’entrerai de ma vie Qu’auparavant je ne sache nager. » Le sel de ces récits consiste en ce que l’esprit suit paisiblement le récit, croyant arriver à quelque suite, naturelle en pareil cas, de ce qui avait été dit d’abord, mais que tout à coup il se sent rejeté brusquement sur une autre idée dont il était fort éloigné75. […] Ce genre de poésie doit présenter une suite d’idées naturelles et piquantes, d’images douces et gracieuses, qui tendent toutes au même sujet.
« Si mes malheurs doivent commencer par l’attaque imprévue d’un légataire avide sur une créance légitime, sur un acte appuyé de l’estime réciproque et de l’équité des deux contractants, accordez-moi pour adversaire un homme avare, injuste, et reconnu pour tel ; de sorte que les honnêtes gens puissent s’indigner que celui qui, sans droit naturel, vient d’hériter de quinze cent mille francs, m’intente un horrible procès, et veuille me dépouiller de cinquante mille écus, pour éviter de me payer quinze mille francs au nom et sur la foi de l’engagement de son bienfaiteur. […] « Fais qu’il soit assez maladroit pour prouver sa liaison secrète avec mes ennemis en écrivant contre moi dans Paris des lettres de Grenoble à celui qui l’aura aidé à me dépouiller de mes biens ; de façon que je n’aie qu’à poser les faits dans leur ordre naturel, pour être vengé de ce riche légataire par lui-même. […] que le Dieu du naturel les préserve d’en parler d’autre !
c’est nous qui rendons nécessaires tous les maux physiques, mais surtout la guerre : les hommes s’en prennent ordinairement aux souverains, et rien n’est plus naturel. […] Le déréglement des mœurs et de l’imagination ne donne point atteinte à la franchise à la bonté naturelle du Français. […] Mais il faut que nous soyons abandonnés à notre instinct ; si l’on veut nous faire agir par des voies étrangères à notre naturel, nous devenons mesquins, intrigants sans succès, jouets de tous et dignes de mépris.
Ils semblaient oublier que la justice et la vérité sont la loi commune de tout écrivain, et que celui qui parle sur les livres des autres, au lieu d’en faire lui-même, n’est pas un ennemi naturel des gens de lettres, mais un homme de lettres moins entreprenant ou plus modeste1. […] Mais si le règne de Louis XIV favorisait particulièrement ce genre d’éloquence, son goût juste et noble3, son amour naturel du grand et du beau, ne devaient pas exercer moins d’influence sur toutes les formes que prit alors le génie littéraire. […] Elle est légitime, puisque c’est un droit naturel du public de juger des écrits qu’on lui expose ; et elle est utile, puisqu’elle ne tend qu’à faire voir par un raisonnement sérieux et détaillé les défauts et les beautés des ouvrages.
Pourquoi appelons-nous nos goûts et nos penchants les plus naturels des faiblesses ? […] Nous aurons beau essayer d’admirer notre propre sagesse et de nous contenter de nos vertus naturelles, de nos talents, de notre science, un sourire de scepticisme et de dédain nous échappera toujours malgré nous. […] Si vous prenez cette correspondance par son côté domestique et familier, madame de Sévigné n’est pas plus naturelle et plus aimable ; elle ne fait pas partager avec plus de simplicité à ceux qui la lisent les émotions de son cœur, les bons ou mauvais événements de sa vie, ses petits triomphes et ses grandes douleurs.
Le grand talent du poëte est de peindre le précepte, c’est-à-dire, de le revêtir des couleurs naturelles de son objet. […] Il inspire par-tout le goût du simple, du beau et du naturel. […] Les expressions les plus naturelles, les pensées les plus simples produiront cet effet à cause de la situation du personnage. […] Le comique en est agréable et piquant, le dialogue aisé, le style simple et naturel. […] Il faut que la poésie y peigne toujours la situation du personnage ; qu’elle soit naturelle, précise, coulante, et que toutes les expressions prêtent à la musique.
Ce peu de mots explique parfaitement la bouffisure, et le ton ridiculement emphatique qui règnent en général dans les ouvrages de Thomas : il était impossible qu’il y eût rien de simple, rien de naturel dans les écrits d’un homme obligé de violenter à ce point la nature, et dont le travail était une convulsion perpétuelle. […] Et un peu plus loin, à propos de l’Éloge de Marc-Aurèle, « que le goût sain de l’antiquité demanderait que les pénibles efforts de l’écrivain y fussent moins visibles au lecteur, qui regrette de ne pas découvrir autant de facilité et de naturel dans le style qu’il admire souvent de nerf et d’elévation dans les idées ».
On estime encore ses ouvrages, entre lesquels on remarque ses Mercuriales : néanmoins on regrette qu’une absence trop générale de simplicité, de naturel et de verve se mêle à ce que sa pensée a toujours au fond de sain et de substantiel1. […] Là-dessus Malebranche a fort bien dit aussi, dans sa Recherche de la vérité : « La méthode la plus courte et la plus assurée pour découvrir la vérité, c’est d’écouter plutôt notre foi que notre raison, et tendre à Dieu, non tant par nos forces naturelles, qui depuis le péché sont toutes languissantes, que par le secours de la foi, par laquelle seule Dieu veut nous conduire dans cette lumière immense de la vérité qui dissipera toutes nos ténèbres. » 1.
Il plaît par la vérité des pensées et la justesse des expressions ; l’enjouement, la gaieté, la vivacité, des grâces naturelles, tous les charmes de la négligence lui appartiennent. […] Cette expression en rappelle une plus naturelle encore et plus touchante. […] Parmi les figures, il choisit toujours les plus simples et les plus naturelles. […] Buffon regarde comme opposée au naturel la peine qu’on se donne pour exprimer des choses ordinaires ou communes. Il pense que l’écrivain perd son temps à faire des combinaisons de mots inutiles ; que ce n’est point là du style, mais l’ombre du style : Rien n’est plus opposé au beau naturel que la peine qu’on se donne pour exprimer des choses ordinaires ou communes du ne manière singulière ou pompeuse : rien ne dégrade plus l’écrivain.
. — L’histoire naturelle, prise dans toute son étendue, est une histoire immense ; elle embrasse tous les objets que nous présente l’univers….. » Buffon n’a pas commencé autrement. […] Que la division soit complète, c’est-à-dire qu’il n’y manque aucun des membres qui font réellement partie de l’idée, et d’un autre côté, que ceux-ci ne soient pas multipliés au point de dissiper l’attention au lieu de la fixer, ou ne rentrent pas l’un dans l’autre de façon à substituer une synonymie à une analyse ; qu’elle soit naturelle, c’est-à-dire que les membres se présentent avec aisance à l’esprit, et ne soient jamais rapprochés forcément par les exigences d’une vaine et puérile symétrie ; enfin, qu’elle soit bien graduée, c’est-à-dire que le second membre enchérisse, autant que possible, sur le premier, le troisième sur le second, et ainsi de suite45. […] plus ils cherchent à le digérer et à l’éclaircir, plus ils m’embrouillent. — Je vous crois sans peine, et c’est l’effet le plus naturel de tont cet amas d’idées qui reviennent à la même, dont ils chargent sans pitié la mémoire de leurs auditeurs. » « Quand on divise, dit Fénelon, il faut diviser simplement, naturellement, il faut que ce soit une division qui so trouve toute faite dans le sujet même ; une division qui éclaircisse, qui range les matières, qui se retienne aisément et qui aide à retenir tout le reste ; enfin une division qui fasse voir le grandeur du sujet et de ses parties. » Enfin Condillac, venant à l’appui de tout ce qui précède : « Commencer, dit-il, par des divisions sans nombre pour afficher beaucoup de méthode, c’est s’égarer dans un labyrinthe obscur pour arriver à la lumière.
Il ne suffit pas d’avoir trouvé les choses que l’on veut dire, il faut savoir les arranger dans l’ordre le plus naturel et le plus intéressant, de manière à donner à l’ensemble de l’unité et de l’harmonie. […] Quoique le genre épistolaire doive presque tout son agrément au naturel et à l’abandon, il ne faut pas croire qu’une lettre puisse être écrite sans ordre ni plan. […] À la veille d’un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel, et l’on sait que le lendemain, à l’heure marquée, il fallut réveiller d’un profond sommeil cet autre Alexandre.
Quoi qu’il en soit, il garda toute sa vie la haine du régime scolastique, et sa première éducation lui laissa l’heureuse habitude de la franchise, du naturel, et d’une raison ennemie de toute contrainte. […] Ne prenez jamais, et donnez encores moins à vos femmes, la charge de leur nourriture ; laissez les former à la fortune, soubs des loix populaires et naturelles ; laissez à la coustume de les dresser à la frugalité et à l’austerité : qu’ils ayent plustost à descendre de l’aspreté, qu’à monter vers elle. […] Son desseing n’a pas du tout mal succedé7 : je m’addonne volontiers aux petits, soit pour ce qu’il y a plus de gloire, soit par naturelle compassion, qui peult infiniement en moy.
Parmi les françaises illustres dont la postérité se souvient, nulle ne lui est supérieure par l’imagination, la sensibilité, la verve d’une gaieté qui coule de source, la franchise d’un naturel ennemi de toute affectation, de toute grimace, enfin par les qualités brillantes qui sont l’ornement d’une raison solide. […] Sur cela je pleure sans pouvoir m’en empêcher : ma chère bonne, voilà qui est bien faible, mais pour moi je ne saurais être forte contre une tendresse si juste et si naturelle. […] Que dites-vous de ces marques naturelles d’une affection fondée sur un mérite extraordinaire ?
Ces importations sont surtout naturelles quand elles nous viennent d’une langue sœur de la nôtre, et qui, par conséquent, s’accommode à ces analogies, dont les combinaisons permettent aux mots de s’acclimater et de prendre racine. […] S’ils méritèrent l’hospitalité, il n’en fut pas ainsi de tant d’autres qui durent être chassés plus tard comme des aventuriers ; car l’italianisme devint une fureur dont les excès justifièrent cette protestation patriotique de Du Bellay : « La même loi naturelle, qui commande à chacun de défendre le lieu de sa naissance, nous oblige encore à garder la dignité de notre langue. » Or, on l’oubliait étrangement, lorsque tout gentilhomme bien appris « allait après le past (repas) spaceger (se promener) par la strade (rue) pour y étaler son garbe (tournure) ». […] 8° Sous les plumes autorisées, il n’est pas rare non plus de rencontrer alors des propositions infinitives tout à fait calquées sur la construction latine. « Vous sçavez estre du mouton le naturel tousjours suyvre le premier… J’estime nostre poésie estre capable… Il te convient servir, aymer et craindre Dieu. » 9° A plus forte raison les ablatifs absolus étaient-ils d’usage quotidien, avec les participes présent ou passé. « Estant de soy loy de nature, je ne sçay… — Posé le cas que vous trouverez matières joyeuses, pas demourer là ne fault… — Eux arrivés, il se fit que… — Ce faict, on apportoit des cartes. » Il en résultait pour la phrase souplesse et dextérité. […] Évidemment, nous reconnaissons ce caractère dans celle qui élimine l’inutile ; car, s’il convient d’être entendu de tous, des simples, des ignorants, et non pas seulement des lettrés, ou des doctes, mieux vaut réduire le son à ses éléments les plus naturels. […] C’est que tout fleuve détourné de son cours finit par renverser ses digues, et retrouver sa pente naturelle.
Histoire naturelle. […] Il y a deux causes, et deux causes naturelles, qui semblent, absolument parlant, donner naissance à la poésie. […] Il est naturel que le raisonnement d’Oreste soit que sa sœur a été immolée et que le même sort lui arrive. […] Ils ne sont pas portés au mal ; ils ont plutôt un bon naturel, n’ayant pas encore eu sous les yeux beaucoup d’exemples de perversité. […] Cette impression, après tout, n’a rien que de naturel, car beaucoup de gens ont besoin de ceux qui possèdent.
Il croissait avec la triple garde de ces fortes vertus, comme un enfant de Sparte et de Rome, ou, pour mieux dire encore, comme un enfant chrétien, en qui la beauté du naturel et l’effusion de la grâce divine forment une fête mystérieuse que le cœur ne peut oublier jamais. […] Il pousse l’examen au delà de ses limites naturelles : les réponses sont toujours claires, précises, marquées au coin d’une intelligence qui sait et qui sent.
Des grâces naturelles, une aimable négligence en font tout le prix. […] Cette figure n’est réellement belle, que lorsque les pensées opposées sont naturelles, tirées du fond du sujet, et qu’elles servent à se donner réciproquement de la justesse et de la clarté. […] Elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et revient sans efforts dans son naturel. […] Mais celui-ci obligé de présenter la vérité telle qu’elle est, développe le caractère de ses personnages, pour le faire connaître dans toute son étendue ; et sans trop s’attacher aux autres ornements de l’art, il n’emploie que des couleurs simples et naturelles.