Que de campements, que de belles marches, que de hardiesse, que de précautions, que de périls, que de ressources ! […] Un exorde, en général, est un morceau d’apparat, un morceau étudié ; et tout ce qui suppose et exige de l’art, de l’étude et du travail, répugne à la marche libre et indépendante du génie, qui s’élève ou tombe, selon que son sujet monte ou descend. […] Sans envie, sans fard, sans ostentation, toujours grand dans l’action et dans le repos, il parut à Chantilly comme à la tête des troupes. — Qu’il est beau, après les combats et le tumulte des armes, de savoir encore goûter ces vertus paisibles et cette gloire tranquille qu’on n’a point à partager avec le soldat, non plus qu’avec la fortune ; où tout charme et rien n’éblouit ; qu’on regarde sans être étourdi ni par le son des trompettes, ni par le bruit des canons, ni par les cris des blessés ; où l’homme paraît tout seul aussi grand, aussi respecté que lorsqu’il donne des ordres, et que tout marche à sa parole » ! […] — Il se cache, mais sa réputation le découvre : il marche sans suite et sans équipage ; mais chacun, dans son esprit, le met sur un char de triomphe ; on compte, en le voyant, les ennemis qu’il a vaincus, non les serviteurs qui le suivent : tout seul qu’il est, on se figure autour de lui ses vertus et ses victoires qui l’accompagnent.
Boileau a dit en parlant de l’ode : Son style impétueux souvent marche au hasard. […] Qu’avez-vous à dire sur la marche de l’élégie ? L’élégie a une marche très irrégulière et très difficile à saisir. […] Obligé de suivre la passion dans sa marche désordonnée, il doit, comme chez les Grecs, avoir des allures neuves, hardies et vives. […] La chanson, inspirée par le plaisir, prend, pour le chanter, une allure plus vive, une marche plus légère.
L’autre, plus timide ou plus modeste, a commencé sa marche par s’appuyer sur les phénomènes, pour remonter aux principes inconnus, résolu de les admettre, quels que les pût donner l’enchaînement des conséquences. […] Le newtonien, tranquille dans son cabinet, calcule la marche des sphères d’après un seul principe, qui agit toujours d’une manière uniforme. […] Ce dernier jugement a besoin de restriction : sans doute, dans toute autre circonstance, un pareil morceau pourrait être déplacé, et dégraderait peut-être la majesté de l’histoire ; mais a-t-on fait attention qu’entraîné par la marche des événements, l’historien met réellement ici ses héros en présence, et que plus il les rapproche, plus les traits qui leur sont communs ou différents, doivent se rapprocher aussi de l’œil du spectateur.
Lorsque l’ordre des pensées est établi, on examine quelle marche on doit suivre dans leur exposition. […] Telle est la marche ordinaire des compositions dramatiques. […] C’est quelquefois la marche que suit l’orateur, lorsqu’il reconnaît la nécessité de frapper de grands coups dès l’abord, afin que ses auditeurs ou ses lecteurs, surpris à l’improviste, soient comme étonnés de la force de ses moyens, et qu’il n’ait plus ensuite qu’à achever son triomphe par le développement des idées accessoires qu’il a réservées pour les dernières. Le mérite de la gradation consiste en ce que le discours ou l’action suit une marche toujours ascendante, ou toujours descendante.
. — La désinence sso désigne un augmentatif : lacesso, je provoque, je harcèle ; incesso (de incedo), je marche avec instance, j’assaille, je poursuis ; capesso (de capio), je m’efforce de prendre ; facesso (de facio), je fais avec empressement, etc. — La désinence sco indique le commencement, et quelquefois la continuité de l’action : albesco, je commence à blanchir ; ardesco, je m’enflamme ; dehisco, je m’entr'ouvre, etc. — Les désinences to, so, co ou xo indiquent la fréquence de l’action : clamitare (de clamare), crier souvent, criailler ; cantitare (de cantare), chanter souvent ; pulsare (de pellere), pousser avec instance ; nexere (de nectere), lier étroitement, entrelacer ; fodicare (de fodere), percer en creusant, etc. […] Consul exercitui præerat, le consul avait le commandement de l’armée. — Agmen (de agere, conduire) signifie proprement une troupe quelconque en marche. Agmen muliebre, une troupe de femmes ; agmen aligerum, une troupe d’oiseaux. — Il désigne plus spécialement une armée en marche.
Les premiers essais de composition d’un élève ne sont ordinairement que des imitations, des réminiscences : c’est la marche de la nature. […] Un exercice d’imitation dont un élève studieux peut tirer un grand profit, c’est celui qui consiste à lire avec attention des morceaux choisis, et à les reproduire ensuite soi-même, en s’efforçant de suivre, soit de près, soit de loin, la marche de l’auteur, ses idées et son style. […] Appliquez-vous à saisir le plan, la marche de l’auteur, le but qu’il veut atteindre, la vérité, la justesse des pensées et du style. […] Le génie, au contraire, a une marche indépendante : il éclate comme la foudre ; il reçoit du ciel une inspiration sacrée qui le pousse à produire de grandes œuvres.
Le jeune homme s’était mis en marche vers la fin de l’hiver de 1709 ; le Rhin était glacé à plusieurs pieds de profondeur. […] Ma fille, vous souhaitez que le temps marche ; vous ne savez ce que vous faites, vous y serez attrapée ; il vous obéira trop exactement, et quand vous voudrez le retenir, vous n’en serez plus la maîtresse. […] S’il marche par la ville, et qu’il découvre de loin un homme devant qui il est nécessaire qu’il soit dévot, les yeux baissés, la démarche lente et modeste, Pair recueilli, lui sont familiers ; il joue son rôle. […] à l’assaut des Alpes ; la musique des corps marche en tête de chaque régiment. […] Imitons la nature dans sa marche et dans son travail ; prenons le temps de la réflexion ; elle nous aidera à former un ouvrage immortel.
L’intérêt est surtout vivement excité, quand l’action avance majestueuse et rapide : il faut qu’elle marche, qu’elle nous entraîne. […] Ils parlent, ils agissent ; ils se peignent par leurs discours et par leurs actions, et tous concourent, selon leur importance, à la marche du poème ; la variété se trouve ainsi confondue dans l’unité. […] Le poème héroïque ne diffère du précédent que par l’absence du merveilleux : pour le reste, il peut suivre absolument la même marche, les mêmes lois et le même style.
Ici l’orateur n’avait plus, pour soutenir et pour animer sa marche, le tableau toujours intéressant des troubles des nations, des révolutions des empires : ici, tout l’intérêt repose sur une princesse aimable, qui réunissait toutes les qualités du cœur aux talents de l’esprit le plus cultivé, et qui ne mit entre la santé la plus florissante et la mort la plus affreuse, que l’intervalle de quelques heures ! […] Il ne faut point permettre à l’homme de se mépriser tout entier, de peur que, croyant avec les impies que notre vie n’est qu’un jeu où règne le hasard, il ne marche sans règle et sans dessein au gré de ses aveugles désirs. […] Mais la marche nécessairement froide de la dialectique y est fréquemment interrompue par quelques-uns de ces traits qui caractérisent d’autant mieux le génie, qu’ils lui échappent plus facilement, et, pour ainsi dire, à son insu.
Ils se séparent et prennent qui la grande route, qui les chemins de traverse ; tel marche à petites journées ; tel autre, plus impatient, pousse droit devant lui à travers monts et fondrières. […] Ils règlent ainsi qu’il suit la marche de la discussion : se concilier d’abord son auditoire, puis exposer les faits, préciser la question, fortifier ses preuves, réfuter celles de l’adversaire, concentrer tous ses moyens dans la péroraison. […] La nature, mieux que l’art, nous montre que cette marche est la seule possible. […] Dans Démosthène et dans Mirabeau, esprits pratiques, hommes d’action, le tissu transparent de la forme laisse voir toutes les saillies des muscles : Cicéron et Massillon, plus artistes, sont plus abondants : sous l’ampleur de leur prose on suit plutôt la marche du raisonnement qu’on n’en devine les contours. […] Ainsi l’histoire, se bornant à raconter, veut une phrase alerte et rapide comme la marche des faits qu’elle expose.
Dans une composition un peu étendue, les descriptions doivent être convenablement placées, afin d’être un ornement et non pas un défaut : si elles ralentissent trop la marche de l’action et refroidissent l’intérêt, elles sont plus nuisibles qu’utiles. […] Rien n’est plus fatigant et plus ennuyeux qu’une narration où les faits ne s’expliquent pas l’un par l’autre, où les incidents et les personnages sont maladroitement disposés, où la marche est arrêtée par une foule de digressions, de sentences, de descriptions déplacées. […] Le nœud est le lien du récit ; il nous montre les personnages et les évènements concourant à la marche de l’action, formant une intrigue qui attache le lecteur, et qui tend vers une solution définitive ; cette solution, c’est le dénouement. […] Dans la sécurité de sa conscience, il marche la tête levée, il ne fuit ni ne cherche son ennemi. […] diront-ils, que trop d’orgueil abuse, Regarde autour de toi : tout commence, tout s’use, Tout marche vers un terme, et tout naît pour mourir.
Le soldat anglais, bien nourri, bien dressé, tirant avec une remarquable justesse, cheminant lentement parce qu’il est peu formé à la marche, et manque d’ardeur propre, est solide, presque invincible dans certaines positions où la nature des lieux seconde son caractère résistant ; mais il devient faible si on le force à marcher, à attaquer, à vaincre de ces difficultés qu’on ne surmonte qu’avec de la vivacité, de l’audace et de l’enthousiasme. […] Les partis se suivent, se poussent à l’échafaud, jusqu’au terme que Dieu a marqué aux passions humaines ; et de ce chaos sanglant sort tout à coup un génie extraordinaire qui saisit cette société agitée, l’arrête, lui donne à la fois l’ordre, la gloire, réalise le plus vrai de ses besoins, l’égalité civile, ajourne la liberté qui l’eût gêné dans sa marche, et court porter à travers le monde les vérités puissantes de la révolution française.
On suit une marche différente de celle qu’a suivie l’adversaire qu’on réfute. […] Il est plus simple de parler d’abord des tropes, ensuite des figures de mots ou de pensées, en suivant la marche progressive du discours. […] Que de campements, que de belles marches, que de hardiesses, que de précautions, que de périls, que de ressources ! […] Le mouvement, en art oratoire, est la marche, le progrès des idées, des images ou des passions, tantôt plus lents, tantôt plus rapides vers le but où tend le discours. […] Quelle est la place, la marche, l’allure du style tempéré ?
Le lecteur ou l’auditeur qui comprend sans peine la marche des idées, voit avec plaisir toutes les parties s’enchaîner et se déployer sans confusion. […] C’est en vain qu’à travers les bois, Bech précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés : le prince l’a prévenu ; les bataillons enfoncés demandent quartier ; mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d’Enghien que le combat. […] Pour mieux comprendre la disposition oratoire et suppléer aux citations que nous n’avons pu faire ici, il faut choisir quelque discours éloquent dans Démosthène, Cicéron, Bossuet, Bourdaloue ou Massillon, en faire l’analyse, examiner le plan, la marche, la distribution des parties : ce travail sera d’une grande utilité pour l’intelligence des principes de rhétorique énoncés ci-dessus.
C'est la même marche précisément, parce que c’est le même fonds de pensées et de sentiments. […] Les inversions, loin d’obscurcir le sens, doivent au contraire le rendre plus clair, en présentant les idées sous une forme plus sensible, plus animée, et en suivant, dans la disposition des mots, la marche que l’esprit lui-même a suivie dans la disposition des idées et des sentiments, dont les mots ne sont que les images. […] Mais quand tout est calme au dedans de nous, et que notre âme suit paisiblement le cours habituel de ses idées, le langage admet aussi une marche plus réglée, une voie plus uniforme ; il se rapproche davantage de l’ordre grammatical dont nous avons parlé. […] Par la différente disposition qu’il leur donne, tantôt le discours marche avec une gravité majestueuse, ou coule avec une prompte et légère rapidité ; tantôt il charme l’auditeur par une douce harmonie, ou le pénètre d’horreur et de saisissement par une cadence dure et âpre, selon la différence des sujets qu’il traite. […] Il est bon de remarquer ici que le poète n’embarrasse point son récit dans de menus détails ; il expose hardiment les caractères les plus frappants : l’énorme grosseur des serpents, leur départ, leur traversée, leur marche directe vers Laocoon.
Il s’appliquera surtout à corriger par un sens droit la trop grande vivacité de son imagination : jamais l’enthousiasme et le feu de la poésie ne doivent nuire à la progression méthodique des idées, et à la marche régulière de la raison. […] La véritable douleur n’a point de langage étudié, de marche suivie et compassée. Le langage de l’élégie doit être simple et sans apprêt ; sa marche rompue, irrégulière même jusqu’à un certain point ; et il y doit régner, dans tout l’ensemble, ce désordre intéressant, cette négligence aimable, qui, quoiqu’en partie l’ouvrage de l’art, ne paraît être que l’effet du sentiment. […] Tel le poète lyrique, transporté d’une prophétique fureur, n’a point de marche uniforme. […] S’il traverse les mers, le noir chagrin marche à ses côtés.
Pour bien nouer l’action, il faut éviter les détails superflus et les circonstances inutiles qui ralentiraient la marche du récit, et surtout tenir les esprits vivement en suspens jusqu’à la fin, parce que, lorsque le dénoûment est prévu, on ne peut plus compter sur le plaisir de la surprise. […] Cependant, il faut que l’action marche naturellement, et qu’elle se développe sans embarras et sans obscurité, afin que l’esprit puisse en suivre facilement le progrès et l’ensemble. […] La narration oratoire est l’exposé d’un fait dans la marche du discours. […] Pour cela, il est nécessaire qu’elles se présentent naturellement, qu’elles s’encadrent dans les circonstances du fait et paraissent ne pouvoir s’en détacher, et qu’elles ne reviennent pas trop souvent et soient exprimées en peu de mots afin que la marche du récit ne soit pas retardée. […] La narration demande, en général, une marche grave, une éloquence contenue, une simplicité élégante.
L’un est aussi sage, aussi méthodique, que l’autre est fougueux et déréglé dans sa marche ; le premier est aussi impétueux, entraînant dans sa diction inégale, mais souvent sublime, que l’autre est froid, sec et compassé dans la monotone médiocrité de sa version. […] Mais au milieu des critiques et des éloges également exagérés de part et d’autre, l’observateur impartial put remarquer dans Atala tout ce qui caractérise la marche du génie. […] Racine, qui avait également bien étudié et le génie de la langue et le caractère de la nation française, sentit que le seul moyen de donner des ailes à notre poésie, si lourde, si rampante jusqu’à lui, et qui ne s’était encore élevée que dans quelques stances de Malherbe, était de la débarrasser de ces mots auxiliaires, de ces particules traînantes qui donnent à la versification la marche de la prose ; de l’attirail des prépositions, des circonlocutions, etc., etc. […] On frissonna à l’épisode des Catacombes ; et l’on reconnut, dans une foule d’autres morceaux, que le talent de l’auteur se fortifiait au lieu de décliner dans sa marche ; qu’il n’était plus rien que la langue poétique ne pût exprimer sous sa plume, et qu’il se faisait un plaisir de se créer des difficultés, pour se faire bientôt un jeu de les vaincre.
Au reste, ces quatre dernières figures, pour mieux exprimer l’intention ou le sentiment de l’écrivain, arrêtent la marche de la phrase, mais sans y jeter le désordre ; celles dont il nous reste à parler portent de plus graves atteintes à la construction ou à la syntaxe. […] Pour faciliter aux élèves l’étude de ce livre, et leur en faire mieux saisir la marche, j’ai cru utile d’y ajouter un résumé de tout l’ouvrage. […] C’est à eux que s’adresse Quintilien au livre IX : « Cependant je n’approuve pas, dit-il, le scrupule de ceux qui veulent que le nom marche toujours avant le verbe, le verbe avant l’adverbe, le substantif avant l’adjectif et le pronom ; car souvent le contraire a beaucoup de grâce. » Les Latins croyaient donc aussi à l’ordre naturel ; s’ils s’en écartaient, ce n’était point par raison, mais pour ajouter de la grâce au discours ; et de ceux-là du moins l’on ne peut dire ce que l’on a dit des rhéteurs modernes qui partagent notre opinion, qu’ils sont entrainés par l’habitude de la construction française.
L’auteur, dans ces trois volumes, ne marche qu’appuyé sur les autorités des meilleurs critiques anciens et modernes, qu’il a su habilement fondre dans ces traités, compléter les uns par les autres et mettre parfaitement en lumière. […] Chaque volume offre un plan harmonieux et complet, dans lequel l’estimable auteur suit une marche logique, présente des divisions claires et naturelles, des définitions exactes et nettes.
On peut comparer à ces beaux vers ce fragment lyrique emprunté à un poëte allemand : « Je suis un pauvre, pauvre homme, et je marche tout seul. […] Mes pieds mêmes ne se font pas à ces marches neuves, ils vont suivant leur coutume, et font des faux pas où ils n’ont point passé tout petits. […] « Saint François d’Assises avait une sorte d’affection pour les petits animaux ; et la légende raconte qu’un jour, voyageant en compagnie d’un frère dans la marche d’Ancône, il rencontra un homme qui portait sur son épaule, suspendus à une corde, deux petits agneaux ; et, comme le bienheureux saint François entendit leurs bêlements, ses entrailles furent émues, et, s’approchant, il dit à l’homme : “Pourquoi tourmentes-tu mes frères les agneaux en les portant ainsi “liés et suspendus ?
C’est par là, en effet, qu’elle montre les fautes suivies de leurs inévitables châtiments, les desseins longuement préparés et sagement accomplis, couronnés de succès infaillibles ; c’est par là qu’elle élève l’âme au récit des choses mémorables, qu’elle fait servir les grands hommes à en former d’autres, qu’elle communique aux générations vivantes l’expérience acquise aux dépens des générations éteintes, qu’elle expose dans ce qui arrive la part de la fortune et celle de l’homme, c’est-à-dire l’action des lois générales et les limites des volontés particulières ; en un mot, monsieur, c’est par là que, devenue, comme vous le désirez, une science avec une méhode exacte et un but moral, elle peut avoir la haute ambition d’expliquer la conduite des peuples et d’éclairer la marche du genre humain1. […] C’est par eux que le genre humain marche de plus en plus à la science et au bonheur.
C’est ainsi que Tite-Live décrivant la marche d’Annibal en Italie, en rapporte toutes les circonstances capables de donner la plus haute idée de cette entreprise si hasardeuse. […] Supérieurs en ce genre aux meilleurs historiens modernes, ils ont en général la marche plus libre, plus noble, plus naturelle, des transitions plus heureuses dans le récit et l’enchaînement des faits ; plus de sagesse, de gravité, de nerf et en même temps de simplicité dans la diction ; des traits plus frappants, des coups de pinceau plus vigoureux dans la peinture des mœurs et des caractères. […] Les ruses, les stratagèmes, les fausses marches, les attaques vraies ou simulées, les campements, les décampements, rien n’échappe à ces capitaines historiens. […] Mais elles sont un chef-d’œuvre pour le style et la marche de la narration.
Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il faut que le sujet soit exposé ou qu’il y ait, en termes de l’art, une exposition ; que l’action marche, que les divers intérêts se croisent et se combattent : c’est le nœud qu’on appelle aussi l’intrigue, par rapport à l’enchevêtrement des incidents ; enfin, que tout se termine d’une manière complète. […] Un homme tranquille se contente de penser, de réfléchir ; il ne dit pas ce qu’il pense au public : ce n’est que quand il sent un grand trouble au-dedans de lui-même qu’il éclate, qu’il marche à grands pas, qu’il fait des gestes et prononce des mots. […] Il réduisit la muse tragique aux règles de la décence et du vrai, et lui apprit à se contenter d’une marche noble et assurée, sans orgueil, sans faste, sans cette fierté gigantesque qui est au-delà de ce qu’on appelle l’héroïque. […] Ses plans sont toujours exacts, ses intrigues sagement conduites, sa marche unie et assurée, son dialogue juste et direct, son style pur, élégant et harmonieux.
Sans cela, le meilleur écrivain s’égare, sa plume marche sans guide, et jette à l’aventure des traits irréguliers et des figures discordantes. […] Rousseau au comte du Luc comme le vrai modèle de la marche de l’ode ; pour l’ensemble et le style il ne connaît rien de supérieur dans notre langue. […] Jusqu’ici, comme vous voyez, à l’exception de la strophe 5 et peut-être de la strophe 7, la marche de l’ode se poursuit à la fois régulièrement et poétiquement, et comme certains développements sont magnifiques d’imagination et d’expression, le poëte a su concilier la logique avec ce beau désordre qui doit être un effet de l’art.