C’est quelquefois la marche que suit l’orateur, lorsqu’il reconnaît la nécessité de frapper de grands coups dès l’abord, afin que ses auditeurs ou ses lecteurs, surpris à l’improviste, soient comme étonnés de la force de ses moyens, et qu’il n’ait plus ensuite qu’à achever son triomphe par le développement des idées accessoires qu’il a réservées pour les dernières. […] La composition marcherait ainsi par bonds, et ressemblerait aux yeux du lecteur à ces routes inégales, qui sont tracées en montées et descentes, et dont l’aspect seul est une véritable fatigue pour le piéton. […] Il exige deux précautions. 1° Il faut préparer l’esprit à l’accueillir ; car s’il est trop brusque, il surprend, déconcerte et laisse le lecteur peu satisfait ; mais le préparer n’est pas l’annoncer : en ce dernier cas, on détruirait l’intérêt ; 2° Il faut savoir s’arrêter à temps ; après un dénouement annoncé, il faut laisser l’esprit réfléchir sur les suites du fait, et se contenter, si l’on veut, d’une courte réflexion. Le dénouement doit soutenir l’intérêt de l’exposition et du nœud, c’est-à-dire que, s’il s’agit d’un fait sérieux, ce serait une faute, après avoir fait quelque chose de grave, d’amener un dénouement puéril ; de même qu’en matière légère, on serait répréhensible, après avoir préparé le lecteur à rire, de lui présenter un dénouement tragique.
L’équivoque caractérise donc l’énigme : elle y donne le change au lecteur, qui d’ailleurs, doit s’y attendre. La métaphore et l’antithèse sont les principales figures propres à ce genre de poésie, qui doit être court, précis, et piquer surtout la curiosité du lecteur par quelque trait qui semble désigner le mot, ou par les contrastes singuliers que présente l’énigme. […] On y personnifie souvent le sujet, en le faisant parler au lecteur, comme on le voit dans celle-ci. […] Sans elle en moi tout est divin, Je suis assez-propre au rustique, Quand on me veut ôter le cœur, Qu’a vu plus d’une fois renaître le lecteur. […] Mais avertir le lecteur de rassembler, par exemple, la 2e, la 3e, la 5e, la 7e lettre qu’on désigne par des chiffres, c’est avilir la poésie, et justifier en quelque sorte ce que l’on dit de ces petites pièces de vers ; que ce ne sont que des puérilités que l’homme de goût dédaigne et réprouve.
Le roman est un récit d’aventures, ordinairement imaginaires, qui doit avoir pour but d’instruire le lecteur en l’amusant. […] Le roman devient ainsi la véritable épopée de la vie humaine : épopée prosaïque, sans merveilleux, sans prestige, mais par cela même plus réelle, plus attrayante que l’épopée héroïque- Sous cette forme, le romancier peut donner à son aise des leçons de philosophie et de morale pratiques, et communiquer à ses lecteurs l’expérience de la vie. […] C’est le premier roman où l’on trouve un récit d’aventures supposées, mais vraisemblables, écrites en prose avec art, pour le plaisir et l’instruction du lecteur Daphnis et Chloé, par Longus, est un roman pastoral dont on a trop vanté la naïveté, parce qu’on l’a jugé d’après le vieux style d’Amyot qui l’a traduit.
Il entre hardiment dans la vaste nomenclature des noms techniques, divise et subdivise, délaie ses idées, et fatigue souvent le lecteur. […] La violation de cette règle est toujours une source de déplaisir et de dégoût pour le lecteur. […] Si nous nous étendons trop, nous courons risque de glacer le lecteur. […] La différence se manifeste facilement par les effets produits ; l’une intéresse et flatte le lecteur, l’autre le fatigue et le dégoûte. […] Mais nous avons déjà traité avec détail de l’emploi des figures, nous y renvoyons le lecteur.
Quant à la définition, si vous ne voulez qu’exposer et instruire, sans plaider une cause, sans soutenir une opinion, votre définition ne doit avoir que les qualités exigées en logique ; il suffit que le lecteur puisse saisir nettement l’idée, la distinguer de toute autre, l’embrasser dans son ensemble. […] Mais on court risque, pour peu que cette idée soit paradoxale, ou seulement originale, d’indisposer ou d’effaroucher le lecteur. […] La seconde méthode est celle qui plaisait tant à Socrate ; c’est un plus puissant moyen d’obtenir l’assentiment, mais souvent elle peut traîner en longueur et fatiguer la patience du lecteur, surtout du lecteur français toujours avide de toucher le but.
Ce n’est pas que leurs sons, agréables, nombreux, Soient toujours à l’oreille également heureux ; Qu’en plus d’un lieu le sens n’y gêne la mesure, Et qu’un mot quelquefois n’y brave la césure4 : Mais c’est qu’en eux le vrai, du mensonge vainqueur, Partout se montre aux yeux et va saisir le cœur ; Que le bien et le mal y sont prisés au juste ; Que jamais un faquin n’y tint un rang auguste, Et que mon cœur, toujours conduisant mon esprit, Ne dit rien aux lecteurs qu’à soi-même il n’ait dit. […] Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs, Est souvent chez Barbin3 entouré d’acheteurs. […] N’offrez rien au lecteur que ce gui peut lui plaire : Ayez pour la cadence une oreille sévère. […] Je ne puis estimer ces dangereux auteurs, Qui de l’honneur, en vers, infâmes déserteurs, Trahissant la vertu sur un papier coupable, Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice aimable.
La vigueur, le feu, la rapidité qu’il met dans ses descriptions de bataille, offrent aux lecteurs de l’Iliade de fréquents exemples du style sublime. […] Sans elle, les ornements les plus riches ne jettent qu’une triste lueur à travers les ténèbres, et, loin de plaire au lecteur, le fatiguent et le dégoûtent. […] Les écrivains médiocres croient se faire mieux comprendre en multipliant les expressions ; ils ne font qu’embarrasser le lecteur. […] On ne manque jamais de choquer le lecteur, ou au moins de lui déplaire, lorsqu’on néglige de suivre ce précepte. […] Si nous voulons fixer l’attention du lecteur ou de l’auditeur, et conserver à notre style sa force et sa vivacité, nous devons chercher à varier nos mesures.
Mais ce défaut (si c’en est un) est si heureusement compensé par des beautés du premier ordre, par ces développements profonds du cœur humain, par cette abondance de pensées fortes ou sublimes qui mettent le héros tout entier sous les yeux du lecteur, que l’on pardonne volontiers à l’historien de prendre la parole, et de se mettre à la place d’un personnage qui n’eût pas toujours été capable de parler aussi bien. […] Tite-Live est plein de morceaux où respire cette éloquence vraiment dramatique, qui identifie le lecteur avec le personnage, et lui fait éprouver tout ce qu’il a senti. […] Voyez comme, dès les premiers mots, l’historien poète se transporte avec ses personnages et son lecteur au milieu même de l’action : Velut si jam agendis, quæ audiebat interesset. […] S’il n’est pas encore généralement goûté ; si son obscurité prétendue rebute encore une grande quantité de lecteurs, c’est à eux qu’ils doivent s’en prendre ; et comme l’observe judicieusement La Harpe, la pensée de Tacite est d’une telle étendue, que chacun y pénètre plus ou moins, selon le degré de ses forces. Mais ce qui rend surtout son style si intéressant et si animé ; ce qui attache si puissamment à sa lecture les âmes faites pour l’apprécier, c’est qu’il ne se borne point à parler de la vertu ; il la fait respecter à ses lecteurs, parce qu’il paraît la sentir lui-même : il ne déclame jamais contre le vice ; il en est profondément affecté ; et il épanche sur le papier l’émotion douloureuse de son âme.
L’auteur doit ajouter à cette étude celle de ses propres rapports avec ses auditeurs ou ses lecteurs, ce qui constitue les bienséances. […] Il remarquera dans ces écrivains non-seulement l’art de peindre ou d’inspirer la passion, mais aussi ce que nous appellerons le talent de passionner un sujet, c’est-à-dire d’y intéresser le lecteur, en s’y intéressant vivement soi-même. […] Dans les autres il faut en outre chercher à inspirer au lecteur la bienveillance, l’attention, la docilité. […] On peut terminer certains discours, de même que la plupart des ouvrages didactiques, philosophiques et historiques, par une sorte de sommaire, récapitulation ou épilogue, qui résume les points principaux pour les mieux graver dans l’esprit des auditeurs et des lecteurs.
Le plus souvent la moralité termine l’apologue, pour laisser au lecteur le temps et le plaisir de la deviner : la fable y gagne en intérêt. […] En faisant agir et parler ses personnages sous les yeux du lecteur, il a fait de la fable.
Thiers est un vulgarisateur éminent1 qui, dans ses vastes et dramatiques tableaux, sait à la fois embrasser un plan général, et descendre aux moindres détails, avec une précision toujours instructive même pour les lecteurs les plus compétents. […] Il n’y a que les choses humaines exposées dans leur vérité, qui aient le droit de retenir le lecteur, et qui le retiennent en effet. Si l’écrivain paraît une fois, il ennuie ou fait sourire de pitié les lecteurs sérieux.
Si la composition est bien ordonnée, on évitera les longueurs, qui rebutent l’attention du lecteur, et lui causent de la fatigue et de l’ennui à la place du plaisir qu’il croyait trouver. […] Le théâtre grec, admirable en soi, ne serait pas goûté sur notre scène ; une fable doit être courte, sinon elle perd son charme et ennuie le lecteur.
S’il n’a senti que faiblement, il est impossible qu’il excite dans ses lecteurs une émotion bien profonde. […] Ses descriptions de combats, le feu dont il les anime, l’intérêt qu’il y répand, offrent au lecteur de l’Iliade une foule de traits et d’images sublimes. […] Est-elle trop générale et dénuée de circonstances particulières, l’objet, à peine aperçu, ne fera que peu ou point d’impression sur le lecteur ; si, au contraire, la description est surchargée de circonstances vagues et insignifiantes, elle n’offrira plus qu’un tout dégradé.
Rien de plus ordinaire cependant que de le voir négliger aux jeunes gens : l’empressement de produire, l’avidité de jouir ou de faire jouir les autres de ses productions, fait que l’on prend la plume avant d’avoir bien démêlé le fil de ses idées, d’avoir cherché et mis entre elles cette liaison, cette harmonie, sans lesquelles le style le plus chargé d’ornements fatigue, au lieu d’intéresser le lecteur. […] Jamais il ne représente deux fois la même idée ; tout tend chez lui à la plus grande précision, et il cherche plutôt à faire penser le lecteur, qu’à satisfaire complètement son imagination. L’écrivain diffus, au contraire, ne croit jamais s’être assez expliqué : il semble se méfier tellement de l’intelligence de son lecteur, qu’il fatigue, qu’il retourne sa pensée, jusqu’à ce qu’il l’ait présentée sous tous les jours possibles.
Sans doute quelques ouvrages scientifiques demandent au lecteur, avec des connaissances préalables, une plus grande attention que d’autres, et je ne prétends pas que la Mécanique céleste de Laplace soit obscure, parce que le commun des lecteurs ne la comprend pas. […] Tantôt, c’est l’affectation de la brièveté : J’évite d’être long et je deviens obscur ; ou bien, tout au contraire, la diffusion, les périodes interminables, l’accumulation des parenthèses, des épisodes, des idées accessoires qui embarrassent le lecteur et lui font perdre de vue l’idée principale.
Vous voyez que les deux poëtes laissent au lecteur le soin de faire mentalement entre la louange et l’encens, entre Napoléon et l’aigle, une comparaison qui amène la métaphore elliptique, pour ainsi dire, qu’ils ont employée. […] La science beaucoup plus répandue de nos jours, les découvertes entrées rapidement dans le domaine public ont enrichi la langue d’une foule de métaphores dont les écrivains des deux derniers siècles, les eussent-ils connues, se seraient soigneusement gardés, parce que leurs lecteurs ne les auraient point comprises, et qu’en définitive, il ne faut pas l’oublier, le premier mérite, quand on parle, est d’être entendu. […] L’écrivain, à propos d’une idée, en réveille tout à coup une autre dans l’esprit du lecteur, et cet autre est un fait historique, une fiction mythologique, une opinion en vogue, un passage connu de quelque écrivain, c’est ce qu’on appelle l’allusion réelle ; ou bien, il emploie à dessein un mot susceptible d’un sens différent de celui qu’il lui donne, c’est l’allusion verbale ; et dans tous les cas ce rapprochement inattendu ajoute de l’énergie, du piquant, de la nouveauté à sa pensée ou à son expression. […] » Souvent, par l’allusion, le personnage mis en scène rappelle à son insu aux lecteurs un fait qu’ils connaissent, mais auquel ils ne songeaient pas, parce que, au moment où se passe l’action, ce fait est encore dans l’avenir.
Et tout cela, d’une façon si naturelle et si soutenue, que, se laissant aller à cette magie de la disposition, chaque lecteur se dise, « je ferais de même, » jusqu’à ce qu’il se mette à l’œuvre, et qu’après de longs et inutiles efforts, il reconnaisse la vanité de ses prétentions. […] Quelque brillantes que soient les couleurs qu’il emploie, quelques beautés qu’il sème dans les détails, comme l’ensemble choquera, ou ne se fera pas assez sentir, l’ouvrage ne sera point construit… C’est par cette raison que ceux qui écrivent comme ils parlent, quoiqu’ils parlent bien, écrivent mal ; que ceux qui s’abandonnent au premier feu de leur imagination prennent un ton qu’ils ne peuvent soutenir ; que ceux qui craignent de perdre des pensées isolées, fugitives, et qui écrivent en différents temps des morceaux détachés, ne les réunissent jamais sans transitions forcées ; qu’en un mot il y a tant d’ouvrages faits de pièces de rapport, et si peu qui soient fondus d’un seul jet. » Les interruptions, les repos, les sections peuvent être utiles au lecteur, elles le délassent et lui indiquent les temps d’arrêt, mais il ne doit pas y en avoir dans l’esprit de l’auteur. […] Je prie le lecteur de comparer les deux écrits, et surtout de méditer ces paroles : … cui lecta potenter erit res, Nec facundia deseret hunc, nec lucidus ordo, Ordinis hæc virtus crit et venus… etc. […] Faire jaillir d’un sujet cette pensée unique qui en est l’âme n’appartient qu’au génie fécondé par la méditation, et non-seulement peu d’écrivains y parviennent, mais il n’est pas même donné à tout lecteur de saisir, là où elle se trouve, cette unité qui ajoute à l’ouvrage, quel qu’il soit, dramatique ou oratoire, historique ou philosophique, une haute valeur et un puissant intérêt.
Pour que cette figure ajoute au discours de la valeur et de l’énergie, elle devra être présentée de façon que le lecteur ne puisse manquer, d’une part, d’interpréter les paroles dans le sens voulu, et se plaise, de l’autre, au facile travail de cette interprétation. […] Deux observations applicables à l’épitrope comme à l’ironie : c’est d’abord de les présenter de façon que le lecteur ou l’auditeur ne s’y trompe pas, ne s’avise point de prendre vos paroles à la lettre, et ne puisse même supposer un instant que vous parlez sérieusement. […] Il y a double, triple figure, interrogation, communication, délibération, prétérition, dans Boileau, lorsque, déterminé à décrire le ridicule accoutrement de la femme avare, et le décrivant en effet, il a l’air d’affirmer qu’il ne le fera pas, tout en demandant à son lecteur s’il doit le faire : Décrirai-je sas bas en trente endroits percés, Ses souliers grimaçants vingt fois rapetassés ?
Pour rendre plus efficaces les leçons que comporte cette méthode, il convenait d’avertir l’attention du lecteur par des commentaires qui provoqueront ses propres réflexions. […] Oui, nous pouvons, en toute sécurité, nous rendre ce témoignage que le fond des idées nous a préoccupé à l’égal de la forme ; nous serons donc récompensé d’un travail souvent pénible, si les jeunes lecteurs de notre recueil comprennent bien cette leçon écrite à toutes ses pages, à savoir que le goût et la conscience se confondent, et que les pensées dignes de vivre procèdent toujours d’un caractère élevé, d’une volonté vaillante, d’un cœur honnête, d’un esprit droit et d’une âme saine.
Pour rendre plus efficaces les leçons que comporte cette méthode, il convenait d’avertir l’attention du lecteur par des commentaires qui provoqueront ses propres réflexions. […] Oui, nous pouvons, en toute sécurité, nous rendre ce témoignage que le fonds des idées nous a préoccupé à l’égal de la forme ; nous serons donc récompensé d’un travail souvent pénible, si les jeunes lecteurs de notre recueil comprennent bien cette leçon écrite à toutes ses pages, à savoir que le goût et la conscience se confondent, et que les pensées dignes de vivre procèdent toujours d’un caractère élevé, d’un volonté vaillante, d’un cœur honnête, d’un esprit droit et d’une âme saine.
Cette manière de transporter le lecteur sur le lieu même de la scène, de le placer au milieu des personnages intéressés à l’action, est un des secrets du style antique, et je n’en connais guère de plus beau modèle, que le début sublime des complaintes de Jérémie : « Postquam in captivitatem redactus est Israel, et Jerusalem deserta est, sedit Jeremias Propheta flens, et planxit lamentatione hâc in Jérusalem, et amaro animo suspirans et ejulans, dixit. […] Je laisse aux lecteurs judicieux le soin d’apprécier un pareil paragraphe : ils y reconnaîtront sans peine le principe et le terme en même temps du succès de certains ouvrages, élevés par l’esprit de parti bien au-dessus de leur valeur littéraire, et dont je ne sais quelle hardiesse, qu’il eût été facile de qualifier d’un autre nom, faisait à peu près tout le mérite. […] De là, cette gêne, cette contrainte habituelle dans son style : c’est un malheureux qui se tourmente, qui s’agite au milieu de ses entraves, et qui fait trop souvent subir au lecteur le supplice qu’il éprouve lui-même.
Quand il dit, par exemple, que les grands hommes pèsent sur l’univers et l’univers sur eux, cette idée, à force de vouloir être grande, peut n’être pas très claire, et, présentant plusieurs sens, ne vous arrête sur aucun ; choisissant de préférence le terme abstrait, il donne trop souvent à ses phrases une forme métaphysique qui peut fatiguer l’attention du lecteur, d’autant plus que les idées sont accumulées ; il place quelquefois des tournures et des expressions familières qui, entourées de phrases du ton le plus noble, ont un air étranger à sa diction, etc. ». […] Et un peu plus loin, à propos de l’Éloge de Marc-Aurèle, « que le goût sain de l’antiquité demanderait que les pénibles efforts de l’écrivain y fussent moins visibles au lecteur, qui regrette de ne pas découvrir autant de facilité et de naturel dans le style qu’il admire souvent de nerf et d’elévation dans les idées ».
Mais, d’autre part, nous pouvons à peine imaginer les exquises jouissances que la perfection, sous ce rapport, faisait éprouver aux auditeurs et aux lecteurs. […] Evitez l’hiatus, le bâillement, la répétition des mêmes sons, la rencontre des consonnes rudes et sifflantes, en un mot toutes les variétés de cacophonies indiquées plus haut, mais évitez-les naturellement, sans effort, sans que le lecteur puisse s’apercevoir du travail de l’écrivain. […] Pour plaire aux habiles, la période doit se dérouler avec aisance, abondance et harmonie ; qu’elle ne se prolonge pas indéfiniment comme ces phrases allemandes dont on ne trouve la fin qu’en sautant au moins un feuillet ; que les suspensions et les repos y soient ménagés avec assez d’art pour permettre au lecteur de respirer librement et à propos81 ; qu’elle se termine, autant que possible, par des sons pleins et soutenus, qui, tout en évitant le ridicule de l’esse videatur 82, empêchent la voix de tomber trop brusquement ; que pour flatter l’oreille et faciliter la prononciation, les membres en soient savamment balancés et proportionnés.
Nul, en effet, n’a su renfermer avec plus de netteté et de vigueur sa pensée dans un vers énergiquement frappé : encore ne s’est-il pas contenté de chercher et d’atteindre pour lui le degré suprême de la perfection ; il a enseigné aux habiles à se contenter difficilement pour être plus sûrs de contenter le lecteur. […] En vain quelque rieur, prenant votre défense, Veut faire au moins, de grâce, adoucir la sentence : Rien n’apaise un lecteur toujours tremblant d’effroi, Qui voit peindre en autrui ce qu’il remarque en soi. […] Un esprit né sans fard, sans basse complaisance, Fuit ce ton radouci que prend la médisance ; Mais de blâmer des vers ou durs ou languissants, De choquer un auteur qui choque le bon sens, De railler2 d’un plaisant qui ne sait pas nous plaire, C’est ce que tout lecteur eut toujours droit de faire.
La connaissance des règles de l’action est nécessaire à l’orateur qui parle en public, cela est incontestable ; il est beaucoup moins reconnu qu’elle soit indispensable à tout narrateur, et même à tout lecteur. […] Quant au lecteur, sa déclamation est presque toujours paisible, il ne fait qu’accompagner l’auteur et l’auditeur, auxquels il sert comme d’intermédiaire, et on ne s’aperçoit de sa présence et de son art qu’au bon choix, de ses places de repos, et aux inflexions souples de sa voix. […] En cette position, l’orateur ou le lecteur n’éprouvent aucune fatigue, il fait les gestes avec le bras droit qui étant plus exercé a des mouvements plus gracieux. […] L'orateur qui sera bien pénétré de ce qu’il dit aura les gestes convenables ; le lecteur parfaitement initié à la pensée d’un auteur saura donner à sa voix les inflexions appropriées au sujet. […] Le meilleur guide à suivre pour réussir dans l’action est le Manuel de l’Orateur et du Lecteur, par Duquesnois, 1 vol, in-12.