rhetorica, de ῥητωρική, s. ent. τέχνη) est l’art de l’orateur (ῥητωρ). […] — De l’Invention ; — Dialogues sur l’orateur ; Brutus, ou des Orateurs illustres ; — l’Orateur ; — les Topiques, etc. […] C’est l’argument favori de l’orateur et du poète. […] C’est une partie dont l’orateur et le comédien doivent faire une étude spéciale. […] L’orateur doit se rappeler ses idées pour les suivre méthodiquement) sans mémoire, point de véritable orateur.
Il est une vérité incontestable, c’est qu’aucune des nations de l’Europe n’a attaché, jusqu’ici, autant d’importance aux discours publics, n’a accordé autant de considération aux orateurs, que les Grecs et les Romains. […] Mais elle est loin d’être riche en orateurs publics, et l’on trouverait difficilement des monuments de leur génie. On a vu, de temps en temps, quelques personnages acquérir une sorte de célébrité dans les débats du parlement : mais c’était un hommage rendu plutôt à la profondeur des lumières ou à la sagesse des vues de l’homme d’état, qu’aux talents de l’orateur. […] En France, le style des orateurs est orné de figures plus hardies ; leur marche est plus variée, leur discours plus animé, et souvent plein de chaleur et d’élévation. […] De là cette attention continuelle à nous prémunir contre l’influence et les charmes de l’élocution : de là, ce soin scrupuleux de nos orateurs modernes à se renfermer dans les bornes de la raison, à ne se rien permettre qui puisse la choquer ou la contredire, bien convaincus d’avance que le discours le plus éloquent manquerait nécessairement son but, pour peu qu’il s’écartât de cette grande règle qui exige que tout tende au bon sens : Scribendi rectè sapere est et principium et fons.
Voilà pourquoi il y a si peu de grands orateurs ! […] C’est une récapitulation dans laquelle l’orateur résume ses moyens. […] À quoi servent à l’orateur la dubitation et la prolepse ? […] Que fait l’orateur au moyen de la concession ? […] Quels sont les devoirs de l’orateur politique ?
Évidemment cet homme était éloquent, — et cependant il n’était pas orateur. Écoutez un artiste vous parler des choses de son art, un plaideur de son procès, un amateur de sa collection, un sportman de son écurie : tous ces gens-là sont éloquents, — et cependant ils ne sont pas orateurs. […] Son rôle est fini, il a été éloquent une fois en sa vie, — jamais il ne sera orateur. […] Le vétéran, c’est l’orateur. […] Liez-vous, si vous pouvez, avec les grands orateurs de notre temps : nous n’en manquons pas, Dieu merci.
Turenne et Condé offraient à l’historien des points de rapport et des termes de comparaison que l’orateur a dû saisir, et qui se trouvent nécessairement dans l’éloge de ces grands hommes. […] Turenne, par les trois plus grands orateurs de leur siècle, et peut-être de tous les siècles, Bossuet, Fléchier et Mascaron. […] Fléchier y a mis toute l’adresse de l’orateur le plus habile et le plus versé dans la connaissance des ressources de son art. […] Le même orateur fait de la modestie de son héros le tableau suivant : « Il revenait de ses campagnes triomphantes, avec la même froideur et la même tranquillité que s’il fût revenu d’une promenade, plus vide de sa propre gloire que le public n’en était occupé. […] Nous croyons en avoir assez dit pour éclairer le goût des jeunes gens, et déterminer leur opinion sur les trois orateurs que nous venons de parcourir avec eux.
L’orateur ne doit employer que ceux qui lui sont naturels. […] Après cela, doit-on s’étonner qu’il soit rare de rencontrer un orateur accompli ? […] Tout ce qu’un si grand orateur nous a laissé sur l’éloquence mérite la plus grande attention. […] L’ouvrage intitulé l’Orateur, et adressé à M. […] Nous n’avons pas d’orateurs comme Démosthène et Cicéron.
Le futur orateur doit lire les discours des anciens. […] Autant d’orateurs, autant de genres d’éloquence. […] Je pense qu’il n’y a rien de plus rare, rien de plus difficile à trouver qu’un orateur parfait. […] Mais des raisons d’intérêt et d’harmonie prescrivaient à l’orateur un ordre différent. […] Soit à exprimer en latin cette pensée : Cicéron a été le plus éloquent des orateurs.
Les anciens rhéteurs entendaient par mœurs les qualités et les moyens à l’aide desquels l’orateur parvient à se concilier la faveur, l’estime, l’affection de ses auditeurs. Quintilien nomme quatre qualités principales que dans ce but l’orateur doit posséder ou feindre : la probité, la bienveillance, la modestie, la prudence. Par passions ils comprenaient les qualités et les moyens à l’aide desquels l’orateur parvient à exciter dans l’âme de ses auditeurs un mouvement vif et irrésistible, qui l’emporte vers un objet ou qui l’en détourne. […] Mais les trois orateurs, par là même qu’ils étaient de grands capitaines, étaient de profonds rhétoriciens ; le génie, auquel ils devaient le secret du commandement et de la victoire, leur donnait aussi celui du langage qui convient et qui persuade. […] Remarquez enfin que l’orateur ou l’écrivain ne doit pas seulement apprécier les mœurs dans leurs rapports avec l’auditeur ou le lecteur, mais s’appliquer à lui-même la plupart des considérations que nous avons fait valoir.
Sans entrer dans ces détails, pour lesquels l’étude des modèles et six mois de pratique valent mieux que vingt pages de préceptes, je dirai : La péroraison, comme l’exorde, peut se tirer parfois des objets inanimés dont la vue frappera souvent l’âme du spectateur plus vivement que toutes les paroles : c’est Manlius montrant le Capitole du haut duquel son bras précipita les Gaulois, ou Mirabeau, la fenêtre d’où l’exécrable Charles IX tira sur ses sujets ; c’est l’orateur grec levant le voile de Phryné, ou Marc-Antoine comptant les marques du poignard des conjurés. Mais la péroraison, comme l’exorde, se tire le plus souvent de la personne du client, ou de l’adversaire, ou des juges et de l’auditeur, ou enfin de l’orateur lui-même. […] A la fin de l’admirable harangue De suppliciis, l’orateur foudroie Verrès, en invoquant successivement contre lui tous les dieux et toutes les déesses, dont ce brigand avait pillé les temples, et en appelant le ciel même à son aide contre son sacrilége adversaire. […] Aussitôt qu’il parait, la chambre entière se lève et le laisse respectueusement passer. » Il était impossible qu’une grande partie de cette suprême allocution de lord Chatham, et la péroraison surtout, ne fussent pas tirées de la personne de l’orateur. […] Tantôt il adresse à Dieu ses ferventes prières en faveur du pécheur repentant ou obstiné : ainsi Massillon dans la magnifique péroraison du sermon sur le petit nombre des élus ; tantôt il développe quelqu’un de ces psaumes, si féconds en images gracieuses et brillantes : ainsi la paraphrase du De profundis par le même orateur, à la fin de sa belle homélie sur le Lazare.
Ces trois parties de la Rhétorique sont d’une absolue nécessité pour la composition du Discours, et en admettent une quatrième qui est leur compagne inséparable, lorsque l’orateur est obligé de parler en public, c’est l’Action. […] Lorsque l’écrivain ou l’orateur veulent communiquer le fruit de leurs pensées, soit par écrit, soit de vive voix, leur but principal est de persuader, c’est-à-dire de faire passer dans les âmes les sentiments dont ils sont animés ; et, pour réussir, ils doivent instruire, convaincre et toucher : c’est là ce que les anciens appelaient les trois devoirs de l’orateur. […] L’orateur sacré peut puiser ces lieux communs dans l’Écriture sainte, dans les Pères de l’Église, dans l’Histoire Ecclésiastique ; l’orateur du barreau les découvrira dans les lois, dans les arrêts ou ordonnances, dans les dépositions des témoins ; l’historien, les écrivains en général pourront recourir aux traditions, aux ouvrages célébrés tant anciens que modernes, aux auteurs regardés comme jouissant de l’estime publique, etc. […] Si est donc indispensable à l’écrivain ou à l’orateur de comprendre les différents caractères de ses auditeurs, et de faire une étude spéciale et profonde du cœur humain. […] Heureux l’orateur ou l’écrivain qui s’empare de ces mouvements du cœur fondés, sur la raison !
Si l’on veut définir en philosophe, on caractérisera l’objet le plus brièvement possible ; mais l’orateur, le poète donnera à sa définition plus d’étendue et d’ornements : il pourra peindre l’objet par des traits caractéristiques et saillants, et faire une sorte d’accumulation des causes, des effets et des circonstances. […] L’orateur de la chaire puise une partie de son autorité dans les Livres saints et dans les Pères de l’Église ; l’orateur du barreau invoque les lois, les coutumes, les témoins ; le philosophe et l’historien recourent aux traditions du passé. […] L’orateur, dans la chaire sacrée, n’a pas le même langage que l’orateur du barreau. […] Les passions en littérature, c’est l’emploi que l’on fait des sentiments de l’âme pour émouvoir et intéresser ; l’orateur s’en sert pour toucher ses auditeurs et entraîner leur conviction.
Les orateurs n’avaient que le barreau ou la chaire ; et les formes judiciaires modernes n’offraient point à l’éloquence un champ aussi vaste, aussi libre que le barreau d’Athènes et de Rome. […] Dès lors, ces grands débats fixèrent sur l’assemblée les regards de l’Europe incertaine, qui voyait son sort présent et ses destinées futures entre les mains de deux orateurs, dont l’un dirigeait à son gré l’opinion publique, et dont l’autre s’efforçait en vain de la ramener à des idées plus saines, à des principes plus judicieux. […] Le succès, il est vrai, n’a pas toujours égalé le courage des orateurs ; il n’a pas toujours suffi d’avoir raison, pour obtenir gain de cause ; c’est que le nombre des sophistes l’emportait déjà sur celui des sages, et que le génie du mal, à qui le choix des armes est indifférent, triomphe trop aisément du génie du bien, qui n’est que franchement courageux. […] Il ne nous serait que trop facile de le prouver par des citations ; mais nous en avons dit assez pour indiquer ce qu’étaient devenus alors le langage de la tribune, et l’éloquence des Mirabeau et des Maury ; nous nous hâtons d’arriver à une époque où l’importance de la cause et le talent de l’orateur ramenèrent, pour un moment, le langage de la raison et la véritable éloquence, dans une assemblée qui comptait encore quelques hommes capables d’entendre l’un et d’apprécier l’autre. […] Si quelque chose pouvait ajouter au mérite de ce beau discours, c’est la pensée que l’orateur, entravé de toutes parts et de toutes manières, n’eut que quatre nuits pour rédiger une pareille défense ; mais il fallait un prodige, et son courage l’a fait : son courage l’a élevé à la dignité de son sujet ; et c’eût été quelque chose encore de ne pas rester infiniment au-dessous.
La troisième partie est la plus brillante et la plus étendue : c’est là que l’orateur déploie toutes les richesses de la plus magnifique éloquence. […] Cette transition mène naturellement la description de la guerre des pirates ; et de quelles couleurs l’orateur se sert pour la peindre ! […] Comme orateur, c’est son chef-d’œuvre ; comme citoyen, c’est une de ses plus belles actions. […] Avec quelle énergie courageuse l’orateur va lui prescrire ses devoirs à cet égard ! […] Quant au talent de l’exécution, c’est la manière habituelle de l’orateur, portée à son plus haut point de perfection.
Voilà pour l’orateur ; pour l’écrivain, l’élocution, c’est le style. […] L’éloquence d’un orateur médiocre près de celle d’un orateur habile, est un grand chemin qui côtoie un torrent. […] La concession est employée par l’orateur quand il est sûr de la bonté de sa cause. […] Or, l’orateur et le poète doivent toujours songera l’effet total. […] Le premier est le style du philosophe, le second celui de l’orateur, du poète.
Voyez de quel secours les Pères et l’Ecriture ont été, par exemple, à Bossuet, le plus original assurément de tous les orateurs de la chaire et le plus riche de son propre fond ! […] Où ai-je lu que le cardinal de Retz, voulant entraîner le parlement, et voyant toute son éloquence près d’échouer : « Eh, Messieurs, s’écria-t-il tout à coup, si mes paroles ne suffisent pas pour vous convaincre, du moins ne récuserez-vous pas celles de l’orateur romain, dans une circonstance pareille » ? […] Les orateurs, les poëtes, les écrivains de toute espèce vous fourniront de nombreux exemples de cette sorte de définition. […] Quintilien, au VIIIe livre, explique les avantages de l’analyse par un exemple où il met toute l’éloquence qui fait si souvent de ce rhéteur un orateur remarquable. […] Aussi voyons-nous non-seulement que les orateurs sèment leurs discours des sentiments des poëtes, mais que les philosophes même, eux qui méprisent si fort tout ce qui est étranger à leurs études, daignent emprunter quelquefois l’autorité d’un vers cité à propos. » Instit. orat.
C’est le caractère moral (de l’orateur) qui amène la persuasion, quand le discours est tourné de telle façon que l’orateur inspire la confiance. […] Il faut d’ailleurs que ce résultat soit obtenu par la force du discours, et non pas seulement par une prévention favorable à l’orateur. […] L’idée que l’on se fait de l’orateur est surtout utile dans les délibérations, et la disposition de l’auditoire dans les affaires judiciaires. […] Il y a trois choses qui donnent de la confiance dans l’orateur ; car il y en a trois qui nous en inspirent, indépendamment des démonstrations produites. […] De même les chefs d’armée, les orateurs, et tous ceux qui possèdent un pouvoir analogue.
La Harpe était trop sage dans ses compositions, trop correct dans son style, pour ne pas être révolté à chaque instant du style et de la morgue de Thomas ; et quoique La Harpe ne soit pas, comme orateur, un de nos premiers écrivains, il y aura toujours une distance prodigieuse entre l’éloge du Dauphin, par exemple, et celui de Fénelon. […] Recevez-moi, disait-il, parmi vous ; éclairez mon esprit, élevez mes sentiments ; que j’apprenne à n’aimer que ce qui est vrai, à ne faire que ce qui est juste. » Je m’arrêterai un moment aussi, avec l’orateur philosophe, à ce mot de philosophie, pour applaudir à la définition aussi juste que sublime, que nous en donne Apollonius, et au portrait qu’il nous en trace. Mais pourquoi le rhéteur empesé prend-t-il si vite ici la place de l’orateur éloquent ? […] Tout à coup l’un d’eux (c’était le premier magistrat d’une ville située au pied des Alpes) éleva sa voix : « Orateur, dit-il, tu nous as parlé du bien que Marc-Aurèle a fait à des particuliers malheureux ; parlerons-nous de celui qu’il a fait à des villes et à des nations entières. […] Ce discours renferme, comme l’on voit, des beautés oratoires du premier ordre ; et c’est à tous égards, la plus estimable des productions de Thomas, quoique les vices dominants de sa manière, l’emphase et la déclamation, l’enthousiasme factice ne s’y reproduisent encore que trop souvent : quoique des vérités communes y soient quelquefois présentées avec une prétention qui ressemble à de la morgue, et données comme des idées neuves ; quoique la manie doctorale, cachet distinctif de l’éloquence philosophique, y vienne à tout moment glacer des cœurs que commençait à échauffer la sensibilité de l’orateur.
Chef de la religion et des armées, dépositaire et organe de toutes les lois, Moïse a su prendre tous les tons et remplir tous les devoirs que lui imposaient ces fonctions diverses ; mais il ne s’agit ici que de l’orateur. […] Nous nous arrêterons au discours fameux, où l’orateur expose aux Israélites ce qu’ils ont à espérer de leur fidélité à la loi, et ce qu’ils doivent redouter de l’infraction de cette même loi. […] Nous ne connaissons, dans aucun orateur grec ou romain, français ou étranger, rien de comparable à ce beau discours, pour la force ou la véhémence. […] Si on leur racontait, par exemple, que le plus bel exorde que l’on connaisse, et qui a produit le plus beau mouvement oratoire que l’on puisse citer, a été fourni par le hasard à un malheureux que l’on traînait au tribunal assemblé pour le condamner ; si l’on.ajoutait que ce tribunal était l’Aréopage, et que sa sagesse fut étonnée, confondue par l’éloquence de l’orateur, avec quel empressement on attendrait, avec quel enthousiasme ne lirait-on pas le discours suivant ?
C’est au poète, à l’historien, à l’orateur, de bien étudier les ressources et le génie de sa langue, et d’en tirer le meilleur parti possible. […] Cicéron veut, donc que le jeune orateur donne à ses phrases un tour harmonieux : fiat quasi structura quædam ; mais il ne veut pas que le travail et la recherche s’y laissent apercevoir : nec tamen fiat operosè , parce que ce serait un travail aussi frivole qu’immense : nàm esset, quùm infinitus, tùm puerilis labor 17. […] Nos grands orateurs sacrés, Bossuet et Fléchier, offrent un grand nombre d’exemples des effets admirables d’une harmonie majestueuse et sombre, heureusement placés dans des discours où tout respire la douleur. […] Quant aux conseils que le goût peut offrir à ce sujet, pour éclairer l’inexpérience des jeunes gens dans leurs propres compositions et dans l’étude des orateurs, il nous semble que l’on peut les réduire aux observations suivantes.
Cicéron, au deuxième livre de l’Orateur, donne sur le choix des preuves d’excellents préceptes. […] Bien que les plus grands orateurs et les plus grands capitaines n’aient pas dédaigné la théorie, ce n’est pourtant pas précisément pour les Mirabeau qu’ont écrit Cicéron et Quintilien, non plus que Végèce et Folard pour les Napoléon. […] Mais c’est par cela même que l’orateur et l’écrivain doivent se mettre en garde contre l’abus, et ne jamais perdre de vue ces excellents préceptes de Cicéron, auxquels il est difficile de rien ajouter : « Nous avertirons l’orateur, dit Cicéron59, de n’employer la raillerie ni trop souvent, car il deviendrait un bouffon ; ni au préjudice des mœurs, il dégénérerait en acteur de mimes ; ni sans mesure, il paraîtrait méchant ; ni contre le malheur, il serait cruel ; ni contre le crime, il s’exposerait à exciter le rire au lieu de la haine ; ni enfin sans consulter ce qu’il se doit à lui-même, ce qu’il doit aux juges, ou ce que les circonstances demandent, il manquerait aux convenances. […] Au 26e chapitre de l’Orateur.
C’est un corps animé d’une infinité de passions différentes, qu’un homme habile fait mouvoir pour la défense de la patrie : c’est une troupe d’hommes armés qui suivent aveuglément les ordres d’un chef, dont ils ne savent pas les intentions : c’est une multitude d’âmes, pour la plupart viles et mercenaires, qui, sans songer à leur propre réputation, travaillent à celle des rois et des conquérants : c’est un assemblage confus de libertins, qu’il faut assujétir à l’obéissance ; de lâches qu’il faut mener au combat ; de téméraires, qu’il faut retenir ; d’impatients, qu’il faut accoutumer à la confiance, etc. » Malgré le respect dû au nom de Fléchier, et surtout à l’oraison funèbre de Turenne, son plus bel ouvrage, qui ne voit, dans le premier de ces deux morceaux, le véritable orateur, l’écrivain plein de son sujet ; et, dans le second, le rhéteur presque uniquement occupé du soin d’assembler et de faire contraster des mots ? […] » Le poème de Fontenoy présentait le même contraste, le même fonds d’idées : rapprochons un moment le poète de l’orateur. […] « Tu n’es plus, s’écrie l’orateur ; tu n’es plus, ô douce espérance du reste de mes jours !
Ils y admireraient, malgré quelques légères imperfections, la noblesse soutenue du style, des sentiments et des idées ; la force des raisonnements, la suite et l’enchaînement des preuves ; une égale habileté à faire valoir tout ce qui peut servir l’accusé, rendre ses adversaires odieux, ou émouvoir ses juges ; des pensées sublimes, des mouvements pathétiques et surtout une péroraison adressée à Louis XIV, où le talent de l’orateur et le courage de l’ami nous paraissent également admirables. […] Rien de plus touchant et de plus noble à la fois, que l’endroit où quittant les lieux communs et les réflexions générales, l’orateur parle au nom de son client. […] Il n’est pas jusqu’aux lois, sire, qui tout insensibles et tout inexorables qu’elles sont de leur nature, ne se réjouissent, lorsque ne pouvant se fléchir elles-mêmes, elles se sentent fléchir d’une main toute-puissante, telle que celle de votre majesté, etc. » Cette image des lois personnifiées et le sentiment que leur prête ici l’orateur, ont quelque chose de sublime, et qui rentre essentiellement dans la manière antique.
Que la fonction si souvent pénible de louer, devient douce et consolante, quand l’orateur peut se dire avec Voltaire, en terminant son discours : « Dans tout ce qu’on vient de dire, a-t-on avancé un seul fait que la malignité puisse seulement couvrir du moindre doute ? […] Cette manière simple et franche de louer était nouvelle, sans doute, et n’en doit avoir que plus de prix aux yeux des jeunes orateurs, trop naturellement portés à prendre l’exagéré pour le vrai, et l’emphase pour la véritable éloquence. […] L’effet de ces deux discours serait presque nul à la tribune, et cela est tout simple ; ils n’ont point été composés pour elle ; mais ils sont lus et relus avec un nouvel intérêt, depuis plus de soixante ans ; et c’est un avantage que n’ont point toujours les discours les plus applaudis dans la bouche de l’orateur.
Le style majestueux de l’orateur se détend et s’assouplit dans ces lettres avec une grâce merveilleuse. Et cependant jusque dans les plus petits détails, on retrouve encore le grand écrivain, on reconnaît Cicéron ; comme dans les plus beaux discours de l’orateur, au milieu des mouvements les plus vifs et de toute la pompe des périodes, l’homme d’esprit et l’homme aimable se laisse toujours entrevoir. […] Le premier des orateurs et des écrivains de Rome a été aussi le plus grand de ses citoyens. […] « J’avoue ma prédilection ; de tous les grands hommes de l’antiquité, celui qui, tout compensé, me paraît avoir réuni le plus de nobles et de belles qualités, c’est Cicéron, Cicéron orateur, philosophe, homme de lettres, Cicéron homme d’État ! […] Sans être poëte ou orateur, qui peut m’empêcher d’adorer la poésie et l’éloquence à ma manière, et de répéter bien humblement, mais du fond du cœur, ces vers si touchants de Virgile : Me verò primùm dulces ante omnia Musæ, Quarum sacra fero ingenti perculsus amore, Accipiant !