Mais si l’infinie variété des idées, selon les modifications des sujets, des temps, des lieux, des personnes, s’oppose à ce qu’on puisse les discipliner et les classer rigoureusement, si même il serait à regretter qu’on parvînt jamais à les enregistrer, comme on fait des mots dans un lexique, elles ont cependant un certain nombre de caractères communs qui, présents à la mémoire et saisis à propos, contribuent assurément à leur développement rationnel : par exemple, elles ont toutes un sens, donc on peut les définir ; elles ont toutes une expression, donc on peut en discuter le signe : presque toutes en renferment plusieurs autres, donc on peut les analyser ; et ainsi de suite. Eh bien, c’est l’ensemble de tous ces caractères que j’appelle, avec Cicéron, lieux internes. […] On voit comment le caractère, la position et le but divers des interlocuteurs modifient leur façon de considérer et de définir les choses. […] « Tout dégénère entre les mains de l’homme : » — présentée avec un caractère d’universalité si tranchant, une telle proposition révolte l’esprit, qui pouvait être amené doucement à la même conclusion par une analyse préalable.
Personne ne conteste que les sons l’attirent ou la repoussent par leur vertu propre, et indépendamment de toute idée accessoire ; qu’une gamme, un prélude, un accord, une vocalise peuvent lui plaire, sans offrir à l’esprit aucun caractère positif, aucune image déterminée. […] Denys d’Halicarnasse, qui s’en est spécialement occupé, distingue dans l’harmonie oratoire, comme dans la musique, la mélodie, le nombre, la variété, la convenance ; il calcule la portée de la voix, les intervalles, les chutes, la mesure composée d’un certain nombre de pieds, formés eux-mêmes d’un certain nombre de syllabes longues ou brèves, et présentant chacun leur caractère spécial, si bien que tout l’effet est manqué, même en prose, si vous mettez un dactyle au lieu d’un spondée, et un trochée au lieu d’un ïambe, etc. […] Mais comparez leur conclusion à celle du rhéteur grec : « Ne sacrifions jamais un mot à l’euphonie, dit Quintilien, quand ce mot est juste et expressif, car il n’en est pas de si épineux qui ne puisse se placer convenablement. » Et Cicéron : « La recherche continuelle du nombre et de l’harmonie finit par nuire à l’éloquence, surtout à celle du barreau, elle lui ôte tout caractère de vérité et de bonne foi. » Nous voilà, comme vous voyez, bien loin de Denys d’Halicarnasse, mais, à mon sens, bien plus près de la raison. […] Pinard, l’un de nos plus habiles typographes, l’impression des Œuvres de M. de Chateaubriand, l’artiste fit fondre un caractère tout exprès pour ce vaste ouvrage.
Moraliste pénétrant, il excelle aussi dans l’art de peindre les traits d’un caractère et d’un esprit. […] Dans l’enfance, ce n’est pas la morale de la fable qui frappe, ni le rapport du précepte à l’exemple ; mais on s’y intéresse aux propriétés des animaux et à la diversité de leurs caractères. […] Les plus avisés, ceux devant lesquels on ne dit rien impunément, vont plus loin ; ils savent saisir une première ressemblance entre les caractères des hommes et ceux des animaux : j’en sais qui ont cru voir telle de ces fables se jouer dans la maison paternelle. […] Tout nous y plaît : la morale qui se confond avec notre propre expérience, en sorte que lire le fabuliste, c’est ruminer ; l’art, dont nous sommes touchés jusqu’à la fin de notre vie, comme d’une vérité supérieure et immortelle ; les mœurs et les caractères des animaux, auxquels nous prenons le même plaisir qu’étant enfants, soit ressouvenir des imperfections des hommes, soit effet de cette ressemblance justement remarquée entre les goûts de la vieillesse et ceux de l’enfance.
Il en est de même de l’écrivain : les convenances, chez lui, c’est l’éducation qu’il a puisée dans les bons auteurs et dans les principes d’un bon maître ; mais c’est surtout l’expression de son caractère et de ses mœurs, par lesquelles il s’attire la confiance et l’estime. […] Un livre composé pour la jeunesse doit avoir un autre caractère que celui qui est écrit pour l’âge mûr. […] L’art des convenances consiste à modifier son langage d’après le genre de composition, le sujet, l’état des personnes, leur âge, leur éducation, leur rang, leur caractère, leur nation, etc.
L’histoire est chez lui une science et un art : une science, car il donne un sens aux faits, il en cherche les lois, il les explique par leurs causes ; il en surprend le secret dans les intentions des acteurs, dans les passions, les intérêts, et les caractères. […] Mignet sait allier le talent de composer et d’écrire, l’ordre, la gravité soutenue, le relief de l’expression, l’éclat de la forme, une tenue un peu puritaine, mais noble, et qui communique à tous ses écrits un caractère de longue durée. […] Le génie ne s’imite pas ; il faut avoir reçu de la nature les plus beaux dons de l’esprit et les plus fortes qualités du caractère pour diriger ses semblables, et influer aussi considérablement sur les destinées de son pays.
Pour lui, le goût et la conscience ne font qu’un ; les caractères expliquent les talents, et, sans dogmatiser, il a converti par ses sermons, où l’on ne dort jamais, beaucoup d’auditeurs exposés à la contagion des idées fausses ou chimériques. […] Les caractères étranges et singuliers, qu’il est de mode de mettre sur le théâtre et dans les romans, font le même effet ; ils fatiguent parce qu’ils sont uniformes, parce que leur bizarrerie est comme une sorte de ressort qui tire toujours leur pensée et leurs actions du même côté, et dont le jeu est bien connu. […] Tantôt les événements sont bizarres et impossibles ; tantôt les caractères sont exagérés et faux ; ce sont des aventures qu’on ne rencontre jamais, des vertus qui ne sont pas de ce monde, et des vices aussi extraordinaires que les vertus.
Ses écrits portent les titres de Maximes, Caractères, Méditations, Introduction à la connaissance de l’esprit humain. […] Son talent candide et sincère participe à la beauté morale d’un caractère et d’une conviction.
Il excellait dans l’art de façonner les esprits et les caractères. […] qu’il y a de grandeur à se rabaisser ainsi, pour se proportionner à tout ce qu’on peint, et pour atteindre à tous les divers caractères ! […] D’ailleurs, un poëte est un peintre qui doit peindre d’après nature, et observer tous les caractères. […] Ils ont gardé les caractères, ils ont attrapé l’harmonie, ils ont su employer à propos les sentiments et la passion. […] Outre que cette lettre contient des idées qui depuis ont fait fortune, elle éclaire le caractère de Fénelon.
Son caractère est, en effet, plus précis, plus facile à saisir que celui des autres plaisirs de l’imagination, et il a, avec notre objet, une liaison plus directe. […] Un auteur très ingénieux a imaginé que la terreur est la source du sublime, et que les objets, pour avoir ce caractère, doivent produire une impression de douleur et de danger.
Quelques pensées détachées achèveront de faire connaître le caractère et le genre d’éloquence de Pline. […] Le ton déclamateur, la manie des antithèses et de l’amplification le déparent trop souvent, et lui ôtent le caractère principal de toute véritable grandeur, la simplicité noble.
Quelle dignité, et en même temps quelle prodigieuse variété dans les caractères ! […] C’est-à-dire point de convenance dans les mœurs, point de vérité dans la peinture des caractères. — Sur les mœurs, qui, dans l’art dramatique, embrassent, comme dit Marmontel, le naturel, l’habitude et les accidents passagers qui se combinent avec l’un et l’autre, on peut voir un morceau intéressant de cet auteur dans les Eléments de littérature (article Mœurs). […] Partout on peut constater, ce qui est le caractère des hommes de génie, que Louis XIV ne négligeait aucun détail, qu’il voulait tout voir et tout savoir, et qu’il y réussissait.
On remarque souvent chez un enfant, un ouvrier, un homme d’État, quelque chose qu’on ne qualifie pas d’abord du nom d’esprit, parce que le brillant y manque, mais qu’on appelle l’intelligence, parce que celui qui en paraît doué saisit sur-le-champ ce qu’on lui dit, voit, entend à demi-mot, comprend, s’il est enfant ce qu’on lui enseigne, s’il est ouvrier l’œuvre qu’on lui donne à exécuter, s’il est homme d’État les événements, leurs causes, leurs conséquences, devine les caractères, leurs penchants, la conduite qu’il faut en attendre, et n’est surpris, embarrassé de rien, quoique souvent affligé de tout. […] En effet, avec ce que je nomme l’intelligence, on démêle bien le vrai du faux ; on ne se laisse pas tromper par les vaines traditions ou les faux bruits de l’histoire ; on a de la critique, on saisit bien le caractère des hommes et des temps ; on n’exagère rien, on ne fait rien trop grand ou trop petit, on donne à chaque personnage ses traits véritables ; on écarte le fard, de tous les ornements le plus malséant en histoire, on peint juste ; on entre dans les secrets ressorts des choses, on comprend et on fait comprendre comment elles se sont accomplies ; diplomatie, administration, guerre, marine, on met ces objets si divers à la portée de la plupart des esprits, parce qu’on a su les saisir dans leur généralité intelligible à tous ; et quand on est arrivé ainsi à s’emparer des nombreux éléments dont un vaste récit doit se composer, l’ordre dans lequel il faut les présenter, on le trouve dans l’enchaînement même des événements ; car celui qui a su saisir le lien mystérieux qui les unit, la manière dont ils se sont engendrés les uns les autres, a découvert l’ordre de narration le plus beau, parce que c’est le plus naturel ; et si, de plus, il n’est pas de glace devant les grandes scènes de la vie des nations, il mêle fortement le tout ensemble, le fait succéder avec aisance et vivacité ; il laisse au fleuve du temps sa fluidité, sa puissance, sa grâce même, en ne forçant aucun de ses mouvements, en n’altérant aucun de ses heureux contours ; enfin, dernière et suprême condition, il est équitable, parce que rien ne calme, n’abat les passions comme la connaissance profonde des hommes. […] Vingt héros, divers de caractère et de talent, pareils seulement par l’âge et le courage, conduisaient ses soldats à la victoire.
Cette figure sert à exprimer le caractère d’une passion fougueuse, d’un sentiment vif et profond, la forte préoccupation d’un esprit qui s’attache à une seule pensée, et qui par cette raison répète souvent les mots qui la représentent. […] L’Éthopée décrit les mœurs et le caractère, les vertus ou les vices, les qualités ou les défauts. […] La Prosopographie et l’Éthopée réunies forment le caractère ou portrait complet qui nous montre en action le personnage tout entier. […] L’Indigence est-elle donc un anathème qui efface en eux le caractère d’hommes, le titre de chrétien, l’empreinte de la Divinité même ? […] Andrieux dans le Meunier Sans-Souci a rendu ainsi la pensée contenue dans les deux derniers vers précédents : Le commun caractère est de n’en point avoir : Le matin incrédule, on est dévot le soir.
Il en devait être ainsi : on a pu voir, dans le tableau rapide que nous venons d’esquisser de l’éloquence ancienne, qu’elle tenait essentiellement au caractère et à la constitution d’un peuple ; et qu’elle avait rencontré, chez les Grecs et les Romains, un concours de circonstances qu’il lui était impossible de retrouver parmi les nations modernes. […] S’il est un pays qui, par la nature de ses localités, par la forme de son gouvernement et le caractère de ses habitants, dût faire revivre le premier l’éloquence populaire des anciens, c’est, sans doute, l’Angleterre.
Qu’ils apprennent donc à distinguer ces traits de caractère, ces expressions échappées à l’âme d’un grand homme, dans un moment décisif, ou dans une circonstance importante, de ces harangues composées à loisir, et placées par le poète ou par l’historien dans la bouche d’un héros. […] Un héros plus voisin de nous, et qui a plus d’un rapport avec les grands hommes que nous venons de citer, a déployé, dans une foule de circonstances, cette concision énergique, premier caractère du génie, qui compte les mots pour prodiguer les pensées.
L’inspiration est le caractère distinctif de la poésie envisagée dans toute sa pureté, dans toute sa hauteur. […] Mais veut-il animer ses personnages, et leur donner le caractère des passions, alors l’imagination s’échauffe, l’enthousiasme agit ; c’est un coursier qui s’emporte dans la carrière ; mais sa carrière est régulièrement tracée.
Des préambules substantiels, où la biographie éclaire la critique, offriront donc, comme en miniature, tous les traits saillants d’un caractère ou d’un talent. […] Il nous propose des vertus altières et de grands caractères, dans une langue nerveuse et concise qui exprime par de sublimes accents le triomphe du devoir sur la passion. […] C’est la nature même parlant naïvement selon le caractère, la passion, la condition. […] Toutefois, le nom de Théophraste servit de bouclier à la première édition de ses Caractères, qui parut en 1688. […] Le vin et les viandes n’ajoutent rien à son caractère : si lion joue, il gagne au jeu ; il veut railler celui qui perd, et il l’offense.
Molière a dit dans le Misanthrope : Ce style figuré, dont on fait vanité, Sort du bon caractère et de la vérité ; Ce n’est que jeux de mots, qu’affectation pure, Et ce n’est pas ainsi que parle la nature. […] Il en est de ce langage comme de la poésie dont il est un des caractères distinctifs. […] Voici une remarque aussi juste que profonde d’un des plus savants hommes de notre siècle : « Dès que l’homme, en interrogeant la nature ne se contente pas d’observer, mais qu’il fait naître des phénomènes sous des conditions déterminées ; dès qu’il recueille et enregistre les faits pour étendre l’investigation au delà de la courte durée de son existence, la philosophie de la nature se dépouille des formes vagues et poétiques qui lui ont appartenu dès son origine ; elle adopte un caractère plus sévère, elle pèse la valeur des observations, elle ne devine plus, elle combine et raisonne.
La même variété de caractères, d’actions et d’expressions règne parmi les spectateurs : les uns frissonnent et détournent la vue, d’autres secourent ; d’autres, immobiles, regardent. […] Si elle s’était mise à son clavecin, et qu’elle eût préludé ou chanté, le philosophe sensible eût pris un tout autre caractère, et le portrait s’en serait ressenti ; ou, mieux encore, il fallait le laisser seul, et l’abandonner à sa rêverie. […] J’avais un grand front, des yeux très-vifs, d’assez grands traits, la tête tout à fait du caractère d’un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps.
À ce rare talent de s’exprimer ainsi, l’auteur joint dans ce discours un mérite qui est devenu l’un de ses caractères distinctifs, l’art de donner de grandes leçons de morale ou d’humanité, et de les donner sans ce faste ridicule, sans cette morgue arrogante qui les décréditent d’avance, et qui n’en imposent depuis longtemps à personne. […] Ce fut l’expression naïve de ce caractère simple, qui, n’ayant de faste ni dans la vertu ni dans la gloire, savait à peine que sa grande âme était connue ».
Aussi les affaiblit-on nécessairement, quand on s’efforce de les embellir ; et c’est un caractère de mérite qui les distingue bien particulièrement de tous les autres écrivains. […] L’auteur du Poème des Jardins ; celui de la Chartreuse et de la Fête des Morts 166 prêtèrent à notre poésie ce charme rêveur, cette teinte de mélancolie douce, mais profonde, premier caractère de l’élégie sacrée, qui nourrie tour à tour de sentiments tendres et de pensées sublimes, doit s’adresser alternativement au cœur et à l’imagination, frapper et émouvoir tour à tour. […] Mais c’est moins encore par les beautés de détails, par des traits épars et isolés, que cette étude peut influer sur une composition quelconque ; c’est par le ton général, par la couleur religieuse qu’elle prête au style par l’onction dont elle pénètre les sentiments, par la grandeur enfin qu’elle donne aux pensées C’est là ce qui constitue la véritable originalité ; ce qui fait d’un écrivain un homme à part, et donne à toutes ses productions un caractère particulier. […] Il y a dans toutes ses pièces des traits qui décèlent le grand poète ; des strophes entières qui sont sublimes de pensée ou d’expression ; mais ces beautés mêmes ne font qu’ajouter aux regrets de retrouver dans ses meilleures odes, plus ou moins de traces de ce néologisme poétique, dont il avait contracté l’habitude, et qu’il avait le malheur de regarder comme le premier caractère de son talent, et le mérite principal de ses productions.
Il ne s’agit plus ici, comme dans l’éloquence politique, de quelques discussions à établir sur des points d’administration civile ou militaire ; il ne s’agit plus, comme au barreau, de défendre l’honneur, la fortune ou la vie de tel ou tel particulier : l’orateur, sa cause, ses titres, ses clients, tout va prendre un caractère de dignité qui n’est comparable à rien de ce que nous avons vu jusqu’ici. […] On peut considérer la chaleur et la gravité comme les deux attributs caractéristiques de l’éloquence qui convient à la chaire : mais il n’est ni commun ni facile de réunir ces deux caractères d’éloquence.
Il a souvent prêté aux personnages qu’il fait parler une vigueur qui était d’ailleurs un des traits de son caractère personnel. […] C’est ce caractère qui donne à son ouvrage un ensemble et une fermeté que n’offrent pas des livres écrits depuis avec plus de science.
Le caractère est le portrait d’une qualité ou d’un vice en général, sans application à aucun individu. […] Ce n’est qu’à ces conditions que le portrait ne dégénère point en caricature, et le caractère en déclamation. […] Qu’est-ce que le caractère ? […] En quoi consiste l’élocution convenable aux portraits et caractères ? […] L’éloquence judiciaire possède, mais moins que les deux genres précédents, un certain caractère de grandeur.