Rappelons-nous que ce tableau n’est pas un code, mais un recueil d’analyses curieuses, et n’imitons pas ces poëtes tragiques, copistes malheureux de Corneille et de Racine, qui disaient : Ici je mettrai un songe, là un récit, ailleurs un monologue. […] Un malheureux avait pénétré la nuit dans la chambre d’une pauvre vieille et l’avait étranglée pour avoir ses nippes. […] Convaincu de la culpabilité du prévenu, l’avocat général entreprend de lui arracher la vérité, et en pleine audience : — « Malheureux ! […] non, c’est de l’avoir faite reine malheureuse ! […] « Rougir d’un ami malheureux, c’est une faiblesse ; je me trompe, c’est une trahison ; je me trompe, c’est une lâcheté. » La licence. — C’est un air de liberté et de feinte rudesse que l’on prend pour faire passer un éloge qui, sans cela, pourrait paraître fade.
« Ne crains point, disent-ils, malheureux étranger (Si plutôt, sous un corps terrestre et passager, Tu n’es point quelque Dieu protecteur de la Grèce, Tant une grâce auguste ennoblit ta vieillesse !) : Si tu n’es qu’un mortel, vieillard infortuné, Les humains près de qui les flots t’ont amené Aux mortels malheureux n’apportent point d’injures2. […] Je ne suis qu’un mortel, un des plus malheureux. […] Vous croîtrez, comme lui, grands, féconds, révérés, Puisque les malheureux sont par vous honorés.
Les deux camps ennemis arrivent en ces lieux ; La désolation partout marche avant eux… Habitants malheureux de ces bords pleins de charmes, Du moins à votre roi n’imputez point vos larmes ; S’il cherche les combats, c’est pour donner la paix : Peuples, sa main sur vous répandra ses bienfaits ; Il veut finir vos maux, il vous plaint, il vous aime, Et dans ce jour affreux il combat pour vous-même. […] Mais à revoir Paris je ne dois plus prétendre : Vous voyez qu’au tombeau je suis prêt à descendre ; Je vais au Roi des rois demander aujourd’hui Le prix de tous les maux que j’ai soufferts pour lui Vous, généreux témoins de mon heure dernière, Tandis qu’il en est temps, écoutez ma prière : Nérestan, Châtillon, et vous… de qui les pleurs Dans ces moments si chers honorent mes malheurs, Madame, ayez pitié du plus malheureux père Qui jamais ait du ciel éprouvé la colère, Qui répand devant vous des larmes que le temps Ne peut encor tarir dans mes yeux expirants. […] Tu pleures, malheureuse, et tu baisses les yeux ! […] Je suis bien malheureux… C’est ton père, c’est moi, C’est ma seule prison qui t’a ravi ta foi. […] Sais-tu bien qu’à l’instant que son flanc mit au jour Ce triste et dernier fruit d’un malheureux amour, Je la vis massacrer par la main forcenée, Par la main des brigands à qui tu t’est donnée ?
Le toit était en flammes, et allait tomber sur la tête des malheureux qu’il couvrait. […] Le malheureux poussait des cris épouvantables, et agitait vainement les bras comme pour demander du secours. […] Je n’essayerai pas de rendre les sensations du malheureux jeune homme, aussi confuses que celles qui bouleversent la tête d’un fou.
qu’ils regardent comme un droit acquis à la prospérité, d’accabler encore du poids de leur humeur, des malheureux qui gémissent déjà sons le joug de leur autorité et de leur puissance ? […] « Il rend malheureux celui qui en est possédé. L’ambitieux ne jouit de rien ; ni de sa gloire, il la trouve obscure ; ni de ses places, il veut monter, plus haut ; ni de sa prospérité, il sèche et dépérit au milieu de son abondance ; ni des hommages qu’on lui rend, ils sont empoisonnés par ceux qu’il est obligé de rendra lui-même ; ni de sa faveur, elle devient amère, dès qu’il faut la partager avec ses concurrents ; ni de son repos, il est malheureux, à mesure qu’il est obligé d’être plus tranquille… L’ambition le rend donc malheureux : mais de plus, elle l’avilit et le dégrade. […] Quel est l’orateur qui pourra se flatter d’inspirer à ses auditeurs la pitié pour les malheureux, s’il ne la ressent lui-même ? […] On avait oublié pour eux, non seulement cette pitié commune qu’on a pour tous les malheureux, mais encore cette politesse singulière que notre nation a coutume d’avoir pour les étrangers.
Les images des malheureux l’environnent ; la pitié l’agite, et des larmes coulent de ses yeux. […] du moins rendons-la utile aux malheureux ! […] Si elle ne le suffit pas, renonce à un état que tu déshonores : tu serais à la fois vil et malheureux, tourmenté et coupable ; tu serais trop à plaindre ».
À cette époque malheureuse, les Athéniens, craignant d’être assiégés, firent réparer leurs murailles. […] Pensez-vous que les parents de nos malheureux guerriers versent plus de larmes pendant les tragédies, sur les infortunes des héros qui paraîtront ensuite, que sur l’ingratitude de la république ! […] Au nom de Jupiter, au nom de tous les dieux, je vous en conjure, Athéniens, n’érigez point sur le théâtre de Bacchus un trophée contre vous-mêmes ; ne faites point passer, aux yeux de tous les Grecs, les Athéniens pour des insensés ; gardez-vous de rappeler aux malheureux Thébains les maux sans nombre, les maux sans remède qu’ils ont éprouvés : ces infortunés, à qui vous avez ouvert votre ville, quand ils fuyaient la leur, grâce à Démosthène ; ces généreux alliés, dont la vénalité de Démosthène et l’or du roi de Perse ont brûlé les temples, tué les enfants, et détruit les tombeaux ! Mais, puisque vous n’avez point vu tous ces maux, que la pensée vous les représente : figurez-vous une ville prise d’assaut, des murs renversés, des maisons livrées aux flammes, des vieillards, des femmes âgées, condamnés à oublier désormais qu’ils ont été libres, justement indignés, moins contre les instruments que contre les auteurs de leur désastre, et vous conjurant avec larmes de ne point couronner le fléau de la Grèce, de ne vous point exposer à la fatalité malheureuse attachée à sa personne ; car ses conseils, quand on les a suivis, ont été aussi funestes aux simples particuliers qu’aux états qu’il a voulu diriger.
Car, qui se trouve malheureux de n’être pas roi, sinon un roi dépossédé ? Trouvait-on Paul-Émile malheureux de n’être plus consul ? […] Mais on trouvait Persée si malheureux de n’être plus roi, parce que sa condition était de l’être toujours, qu’on trouvait étrange de ce qu’il supportait la vie. Qui se trouve malheureux de n’avoir qu’une bouche ? et qui ne se trouvera malheureux de n’avoir qu’un œil ?
Qu’ai-je fait, malheureux ! […] Voyez, de plus, comme tout concourt ici à abuser les malheureux Troyens. […] Miseros, malheureux, oui, malheureux de la faute de leur père. […] ma mère, épargnez votre malheureux fils. […] j’y verrais ma malheureuse mère fondre en larmes et mourir de douleur ».
que celle de la haine, c’est-à-dire, d’une passion noire et violente, qui déchire le cœur, qui répand le trouble et la tristesse au-dedans de nous-mêmes, et qui commence par nous punir et nous rendre malheureux ! […] et n’êtes-vous pas malheureux de chercher à vos maux une ressource qui ne fait qu’éterniser par la haine une offense passagère » ! […] Les simples lumières de la raison ont convaincu dans tous les temps les hommes de l’immortalité de leur âme ; et s’il s’en est trouvé quelquefois d’assez malheureux pour en douter, d’assez imprudents pour afficher ce doute, le mépris de leurs propres contemporains les a dénoncés d’avance à la postérité qui en a fait justice. […] Que l’impie est à plaindre de chercher dans une affreuse incertitude sur les vérités de la foi, la plus douce espérance de sa destinée : qu’il est à plaindre de ne pouvoir vivre tranquille, qu’en vivant sans foi, sans culte, sans Dieu, sans confiance : qu’il est à plaindre, s’il faut que l’évangile soit une fable ; la foi de tous les siècles, une crédulité ; le sentiment de tous les hommes, une erreur populaire ; les premiers principes de la nature et de la raison, des préjugés de l’enfance ; en un mot, s’il faut que tout ce qu’il y a de mieux établi dans l’univers se trouve faux, pour qu’il ne soit pas éternellement malheureux.
Suivez les annales de Rome depuis sa naissance jusqu’aux temps malheureux de l’empire, vous verrez partout le drame mêlé à l’histoire. C’est un malheureux plébéien qui soulève le peuple contre les riches, en lui montrant sur son corps les traces sanglantes de la cruauté de ses créanciers ; c’est Fabius qui, devant le Sénat de Carthage, secoue la guerre des plis de son manteau ; c’est le malheureux Varron portant toute sa vie le deuil de ses légions de Cannes ; c’est Popilius enfermant dans un cercle le roi Antiochus ; ce sont les enfants de Persée traînés en triomphe avec leur père et tendant au peuple leurs mains suppliantes ; c’est César égorgé en plein jour, dans le Sénat, et tombant au pied de la statue de Pompée ; c’est Antoine étalant devant les rostres le cadavre du dictateur et comptant ses blessures ; enfin c’est Agrippine en deuil, débarquant à Brindes, accompagnée de ses fils orphelins et pressant sur son sein l’urne de Germanicus. […] Manlius étale sur la place les dépouilles de trente ennemis qu’il a tués de sa main, et quarante récompenses militaires : il montre au peuple huit citoyens qu’il a arrachés à la mort dans les combats, et quatre cents malheureux qu’il a sauvés, en payant leurs dettes, de la confiscation et de l’emprisonnement. […] IV Cicéron Il naquit dans des circonstances malheureuses pour la République, heureuses pour son génie.
Les peuples, accablés à la fois par une guerre malheureuse, par les impôts et par le besoin, sont livrés au découragement et au désespoir. […] Les asiles manquent à la foule des malheureux. […] Le voilà parti, et nous le voyons successivement en butte à plusieurs aventures malheureuses, dans lesquelles il manque à chaque instant de trouver la mort. […] Malheureux pyrrhoniens que nous sommes, quelle émotion nous reste-t-il ? […] Derrière le roi se prosternait la multitude des prêtres irlandais, malheureux exilés qui venaient, comme leur roi, chercher un refuge au pied des autels.
Si vous saviez combien on est malheureux quand on a le cœur fait comme je l’ai, je suis assurée que vous auriez pitié de moi ; mais je pense que vous n’en êtes pas quitte à meilleur marché, de la manière dont je vous connois. […] Vous m’attaquez doucement, monsieur le comte5, et me reprochez finement que je ne fais pas grand cas des malheureux, mais qu’en récompense6 je battrai des mains pour votre retour ; en un mot, que je hurle avec les loups, et que je suis d’assez bonne compagnie pour ne pas dédire1 ceux qui blâment les absents. […] Enfin le jour malheureux arriva où je vis moi-même, et de mes propres yeux bigarrés, ce que je n’avois pas voulu croire. […] Les gens de lettres surtout y aidèrent puissamment, et aujourd’hui le nom de cet illustre malheureux ne se présente à la postérité que protégé des noms de madame de Sévigné, Pélisson et La Fontaine.
des riches peut-être, rassasiés de faux plaisirs, mais ignorant les véritables ; toujours ennuyés de la vie, et toujours tremblants de la perdre ; peut-être des gens de lettres, de tous les ordres d’hommes le plus sédentaire, le plus malsain, le plus réfléchissant, et par conséquent le plus malheureux. […] Je ne saurais vous dire, monsieur, combien j’ai été touché de voir que vous m’estimiez le plus malheureux des hommes. […] Vous me supposez malheureux et consumé de mélancolie. […] La vie active n’a rien qui me tente ; je consentirais cent fois plutôt à ne jamais rien faire qu’à faire quelque chose malgré moi ; et j’ai cent fois pensé que je n’aurais pas vécu trop malheureux à la Bastille, n’y étant tenu à rien du tout qu’à rester là. […] Rousseau disait encore : « Quelque étroites que soient les bornes du cœur, on n’est point malheureux quand on s’y renferme ; on ne l’est que quand on veut les passer.
Alors ce malheureux père ne doute plus de l’innocence de son fils, et ordonne qu’on le rappelle. […] Mais il ne faut pas croire que cette action doive, pour qu’elle soit malheureuse, être sanglante. […] Venge un malheureux pere : J’abandonne ce traître à toute ta colère. […] Mais il ne faut pas conclure de là que toute action malheureuse puisse en être le sujet. […] Ces deux personnages, plus malheureux que coupables, n’ont pas mérité leur malheur ; voilà pourquoi nous les plaignons.
« Des bords du Pô jusqu’à ceux du Danube, on bénit de tous côtés, au nom du même Dieu, ces drapeaux sous lesquels marchent des milliers de meurtriers mercenaires, à qui l’esprit de débauche, de libertinage et de rapine ont fait quitter leurs campagnes ; ils vont, ils changent de maîtres ; ils s’exposent à un supplice infâme pour un léger intérêt ; le jour du combat vient, et souvent le soldat qui s’était rangé naguères sous les enseignes de sa patrie, répand sans remords le sang de ses propres concitoyens ; il attend avec avidité le moment où il pourra, dans le champ du carnage, arracher aux mourants quelques malheureuses dépouilles qui lui sont enlevées par d’autres mains. […] Accablé de souffrances, privé de la vue, perdant chaque jour une partie de toi-même, ce n’était que par un excès de vertu que tu n’étais point malheureux ; et cette vertu ne te coûtait point d’efforts.
Laïus est mort, Œdipe a épousé Jocaste ; il n’a plus, pour être malheureux, qu’à, se reconnaître incestueux et parricide. […] La révolution est ou heureuse, ou malheureuse, ou mixte. […] Il n’appartient qu’aux véritables héros d’exciter l’admiration, dit Geoffroy, tandis que le premier malheureux peut produire la pitié et le dernier des scélérats la terreur. […] Dans une tragédie, la vertu peut paraître malheureuse ; mais au dénoûment, on ne doit jamais voir le vice triomphant et parfaitement heureux. […] L’action que représente le grand opéra est héroïque et malheureuse, comme dans la tragédie ; de plus, elle est presque toujours merveilleuse.
Malheureux ! […] Pauvre malheureuse que je suis ! […] Il fallait entendre la troupe folâtre s’égayer aux dépens de la malheureuse. […] Malheureuse que je suis ! […] O terre malheureuse, le ciel te refuse sa rosée !
Selon lui, point de dénoûment sans catastrophe, soit dans les fables qu’il appelle simples, où le héros est continuellement malheureux, jusqu’à ce qu’un dernier coup mette le comble à son infortune, soit dans celles qu’il nomme implexes, où le sort des personnages change à la fin par une péripétie. […] Que le dénoûment soit heureux ou malheureux, n’importe, pourvu qu’il attendrisse, épouvante on moralise le spectateur. […] « La catastrophe véritable de ce complot, où un accident malheureux renversa tout, lorsque le comte venait d’atteindre le but de ses projets, a dû être changée.
Malheureuse, j’appris à plaindre le malheur ! De Belloy, profitant de l’idée de Virgile et de la forme de Molière, en a fait dans le Siége de Calais un enthymémisme remarquable : Vous fûtes malheureux, et vous êtes cruel ! […] Delille, dans sa traduction du vers de Virgile, oppose à l’adjectif malheureuse un substantif appartenant à la même racine.
Massillon a dit : « L’ambition, ce désir insatiable de s’élever au-dessus et sur les ruines même des autres ; ce ver qui pique le cœur et ne le laisse jamais tranquille ; cette passion qui est le grand ressort des intrigues et de toutes les agitations des cours, qui forme les révolutions des États, et qui donne tous les jours à l’univers de nouveaux spectacles ; cette passion qui ose tout, et à laquelle rien ne coûte, rend malheureux celui qui en est possédé. « L’ambitieux ne jouit de rien : ni de sa gloire, il la trouve obscure ; ni de ses places, il veut monter plus haut ; ni de sa prospérité, il sèche et dépérit au milieu de son abondance ; ni des hommages qu’on lui rend, ils sont empoisonnés par ceux qu’il est obligé de rendre lui-même ; ni de sa faveur, elle devient amère dès qu’il faut la partager avec ses concurrents ; ni de son repos, il est malheureux à mesure qu’il est obligé d’être plus tranquille. » 1.
Il est des innovations malheureuses, qui ne sont que le désespoir de l’impuissance ; il en est qui, dans leur singularité même, portent un caractère de grandeur. […] Dans les palais de Versailles, au milieu des fêtes triomphales de Louis XIV, ces accents de la muse hébraïque, ces graves enseignements de la religion retentissaient avec plus de terreur ; et lorsqu’une reine malheureuse, une princesse parée de jeunesse et de beauté, un héros longtemps vainqueur, un ministre vieilli dans l’égoïsme du pouvoir2, avaient cessé de vivre, ce mélange de splendeur et de néant, cette magnificence si triste, cette pompe si vaine consternaient les âmes avant même que l’orateur eût parlé. […] La Fontaine était fort distrait, et ne flattait d’ordinaire que ses amis malheureux.
La péripétie finale, ou celle du dénouement, porte le nom de catastrophe (d’un mot grec qui signifie renversement), surtout quand elle est malheureuse. […] Les ouvrages dramatiques se distinguent d’après leur dénouement heureux ou malheureux, d’après les sentiments qu’ils excitent, d’après le rang des personnages, et le ton général du style. […] C’est une pièce dramatique, dont les personnages sont des rois, des princes ou ceux qui gouvernent les peuples, et que l’on comprend sous le nom de héros ; le dénouement en est le plus souvent malheureux ; ce qui nous fait craindre pour les principaux personnages et nous intéresse vivement à leur sort ; enfin le style, sans cesser d’être simple, est pourtant conforme à la condition de ceux qui parlent, c’est-à-dire grave et noble. […] Il semble même que le grand nombre des spectateurs étant dans cet état mitoyen, la proximité du malheureux qui touche à ceux qui le voient souffrir serait un motif de plus pour s’attendrir155. […] De là naît un contraste qui déride les plus sérieux : car il n’y a point de spectateur qui puisse entendre sans rire un homme du peuple placé dans la même situation qu’un prince malheureux, employer les mêmes expressions que ce prince pour déplorer son malheur169.