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51. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Descartes, 1596-1650 » pp. 11-20

Puis, pour les autres sciences, d’autant qu’elles empruntent leurs principes de la philosophie, je jugeais qu’on ne pouvait avoir rien bâti qui fût solide sur des fondements si peu fermes ; et ni l’honneur ni le gain qu’elles promettent n’étaient suffisants pour me convier à les apprendre : car je ne me sentais point, grâce à Dieu, de condition1 qui m’obligeât à faire un métier de la science pour le soulagement de ma fortune ; et, quoique je ne fisse pas profession de mépriser la gloire en cynique, je faisais néanmoins fort peu d’état de celle que je n’espérais point pouvoir acquérir qu’à faux titres. […] J’ai senti depuis peu la perte de deux personnes qui m’étaient très-proches2, et j’ai éprouvé que ceux qui me voulaient défendre la tristesse l’irritaient, au lieu que j’étais soulagé par la complaisance de ceux que je voyais touchés de mon déplaisir. […] Enfin, monsieur, toutes nos afflictions, quelles qu’elles soient, ne dépendent que fort peu des raisons auxquelles nous les attribuons, mais seulement de l’émotion et du trouble intérieur que la nature excite en nous-mêmes ; car lorsque cette émotion est apaisée, encore que toutes les raisons que nous avions auparavant demeurent les mêmes, nous ne nous sentons plus affligés. Or, je ne veux point vous conseiller d’employer toutes les forces de votre résolution et constance pour arrêter tout d’un coup l’agitation intérieure que vous sentez ; ce serait peut-être un remède plus fâcheux que la maladie : mais je vous conseille aussi d’attendre que le temps seul vous guérisse, et beaucoup moins d’entretenir ou prolonger votre mal par vos pensées ; je vous prie seulement de tâcher peu à peu de l’adoucir, en ne regardant ce qui vous est arrivé que du biais qui vous le peut faire paraître le plus supportable, et en vous divertissant le plus que vous pourrez par d’autres occupations3.

52. (1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Première partie — Chapitre I. — Défauts et qualités de la phrase »

Mille sons qui heurtent son oreille, ne sont pour lui qu’un bruit confus ; ses pieds ne peuvent le porter, ses mains ne savent rien saisir, sa peau délicate ne sent rapproche des objets extérieurs que par le choc douloureux qu’ils lui font éprouver. […] Tout son corps délicat, doué d’un tact fin et léger, sent délicieusement la mollesse des langes qui l’entourent, de la plume qui le porte, qui le réchauffe ; et les caresses d’une tendre mère font éprouver à tout son être la plus pure des voluptés. […] C’est une créature qui renonce à son être pour n’exister que par la volonté d’un autre, qui sait même la prévenir ; qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l’exprime et l’exécute ; qui sent autant qu’on le désire, et ne rend qu’autant qu’on veut ; qui, se livrant, sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, il s’excède, et même meurt pour mieux obéir. […] Peu d’exemples suffiront pour nous faire sentir le défaut d’harmonie et surtout les hiatus réunis à plaisir dans la phrase suivante : Il alla à Alby, à là Arles, et de là à Avignon. […] Le travail pénible du labourage est bien senti dans ces vers de Boileau ; Le blé, pour se donner, sans peine ouvrant la terre, N’attendait pas qu’un bœuf, pressé de l’aiguillon, Traçât à pas tardifs un pénible sillon.

53. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Bossuet. (1627-1704.) » pp. 54-68

Il ira, cet ignorant dans l’art de bien dire, avec cette locution1 rude, avec cette phrase qui sent l’étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs, et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d’églises que Platon n’y a gagné de disciples par cette éloquence qu’on a crue divine. […] Mais quoique, sans menacer et sans avertir, elle se fasse sentir tout entière dès le premier coup, elle trouve la princesse prête. […] mais il se trouva par terre parmi ces milliers de morts dont l’Espagne sent encore la perte. […] Le jeu des ressorts n’est pas moins aisé que ferme : à peine sentons-nous battre notre cœur, nous qui sentons les moindres mouvements du dehors, si peu qu’ils viennent à nous ; les artères vont, le sang circule, les esprits coulent, toutes les parties s’incorporent leur nourriture sans troubler notre sommeil, sans distraire nos pensées, sans exciter tant soit peu notre sentiment : tant Dieu a mis de règle et de proportion, de délicatesse et de douceur, dans de si grands mouvements.

54. (1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Première partie — Chapitre V. — Qualités particulières du Style »

Style simple Le Style simple, ennemi de tout ornement éclatant, ne recherche point les mots sonores, et évite avec soin tout ne qui sent le travail, la pompe et l’apprêt. […] Vous voyez, s’écrie-t-il, un père infortuné qui a senti plus qu’aucun autre Syracusain les funestes effets de cette guerre, qui lui a ravi deux fils, la consolation et l’espoir de sa vieillesse. […] Bien écrire, c’est tout à la fois bien penser, bien sentir, bien rendre ; c’est avoir en même temps de l’esprit, de l’âme et du goût. […] Raynal dans son Histoire philosophique et politique fait ainsi sentir aux hommes le cri de la nature, le besoin de l’humanité, et la paix qui doit régner entre les peuples. […] Ces qualités se font sentir dans les lignes suivantes, où le prophète demande à Dieu les présents de la terre et des saisons : Prière à Dieu.

55. (1882) Morceaux choisis des prosateurs et poètes français des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Cours supérieur. Poètes (2e éd.)

Le dix-septième siècle, si poli et si solennel, devait mieux comprendre la littérature latine que la littérature grecque, mieux sentir Virgile qu’Homère, mieux apprécier Cicéron que Démosthène. […] Mais souvent aussi l’absence de travail se fait sentir, et l’on est fatigué par des phrases traînantes, obscures, confuses, coupées de parenthèses interminables. […] Le style y est bien meilleur que dans Rodogune, et l’empreinte d’une grandeur latine y fait sentir, chez Corneille, l’admirateur de Tacite et de Lucain. […] Racine sentait qu’il n’avait pas donné à Esther toute la perfection que doit avoir la tragédie. […] Je savais bien qu’ayant fait votre testament, Vous sentiriez bientôt quelque soulagement.

56. (1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Modèles

On sent que la plume de l’écrivain devait courir et suivait à grande peint la marche de la pensée. […] demanda la déesse qui déjà se sentait émue. […] On sent dès l’abord qu’il s’agit d’un drame solennel. […] On la sent, on ne la définit pas cette paix qui vous gagne. […] Chacun sent la grâce et la douceur de ces détails.

57. (1883) Morceaux choisis des classiques français (prose et vers). Classe de troisième (nouvelle édition) p. 

vous êtes perdu : vous sentez ce que vous dites !  […] De quel charme, à leur vue, il se sent pénétrer ! […] Le Sueur se sentait revivre, il prenait possession de lui-même, sa nature se dégageait des liens de son éducation. […] Le loup a les sens très bons : l’œil, l’oreille, et surtout l’odorat ; il sent souvent de plus loin qu’il ne voit ; l’odeur du carnage l’attire de plus d’une lieue ; il sent aussi de loin les animaux vivants, il les chasse même assez longtemps en les suivant aux portées. […] S’est-il plaint à tes yeux des maux qu’il ne sent pas ?

58. (1845) Leçons de rhétorique et de belles-lettres. Tome I (3e éd.)

En effet, sa nécessité se fait tellement sentir, que la société, même la moins sévère, commande impérieusement à qui veut lui plaire de respecter ses apparences. […] Les mêmes règles qui guident les autres dans la composition, aideront celles-ci à en sentir et à en juger le mérite. […] L’une réside surtout dans la manière de sentir, l’autre s’appuie davantage sur la raison et le jugement. […] Nous ne voyons que des limites, nous nous sentons resserrés de toutes parts, l’espace manque au développement de notre âme. […] On n’aime pas tout ce qui sent l’affectation, et le désir de paraître harmonieux entraîne souvent

59. (1867) Rhétorique nouvelle « Introduction » pp. 2-33

., etc. » Vous sentez déjà vous-mêmes combien il est téméraire de vouloir fixer les règles d’un art comme l’éloquence, que les institutions et les mœurs transforment d’âge en âge, comme les différentes latitudes modifient le tempérament des hommes et la nature des végétaux. […] L’homme, en apprenant à réfléchir, apprend à douter : il se sent agité d’une curiosité inquiète que les traditions qui ont charmé son enfance ne peuvent plus satisfaire. […] Permettez-moi, pour bien vous faire sentir la différence de ces deux choses, de recourir à des exemples. […] C’est la partie aride et ingrate de ces sortes de causes : l’inspiration s’y sent mal à l’aise et l’éloquence y étouffe.

60. (1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Poétique — Deuxième partie. De la poésie en particulier ou des différents genres de poésie — Première section. Des genres secondaires de poésie — Chapitre II. Du genre pastoral » pp. 96-112

C’est le règne des plaisirs innocents, de la paix, de ces biens pour lesquels les hommes se sentent nés, quand leurs passions leur laissent quelques moments de silence pour se reconnaître. […] La douceur se sent mieux qu’elle ne peut s’expliquer : c’est un certain moelleux, mêlé de délicatesse et de simplicité, soit dans les pensées, soit dans les tours, soit dans les mots. […] Si la poésie pastorale doit éviter tout ce qui sentirait l’étude et l’application, cependant elle peut s’élever quelquefois, comme on le voit par l’exemple de Théocrite, de Virgile, de Segrais et de Racan. Mais si les bergers imaginent de grandes choses, il faut que ce soit toujours avec une sorte de timidité ; ils doivent en parler avec un étonnement, un embarras qui fasse sentir leur simplicité au milieu d’un récit pompeux : Urbem quam dicunt Romani, Melibæe, putavi, Stultus ego !

61. (1853) Éléments de la grammaire française « Préface. » p. 2

On sent que, pour exécuter ce plan, il faut connaître les enfants. Appliqué, pendant vingt années, aux fonctions de l’instruction publique, j’ai été à portée de les observer de près, de mesurer leurs forces, de sentir ce qui leur convient : c’est cette connaissance, que l’expérience seule peut donner, qui m’a déterminé à composer des livres élémentaires.

62. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Massillon 1643-1743 » pp. 133-138

Il est un des modèles de notre langue pour l’élégance, la richesse, l’harmonie de la diction, la modération ornée du discours, l’ampleur ingénieuse d’un talent qui excelle dans ces développements souples et continus où les pensées naissent les unes des autres ; mais en lui l’art se fait trop sentir. […] La conscience Partout nous rendons hommage, par nos troubles et par nos remords secrets, à la sainteté de la vertu que nous violons ; partout un fonds d’ennui et de tristesse inséparable du crime nous fait sentir que l’ordre et l’innocence sont le seul bonheur qui nous était destiné sur la terre. […] Comme donc elle se sent piquée d’un certain appétit qui la rend affamée de quelque bien hors de soi, elle se jette avec avidité sur l’objet des choses créées qui se présentent à elle, espérant s’en rassasier ; mais ce sont viandes creuses, qui ne sont pas assez fortes et n’ont pas assez de corps pour la sustenter ; au contraire, la retirant de Dieu, qui est sa véritable et solide nourriture, ils la jettent insensiblement dans une extrême nécessite et dans une famine désespérée »

63. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section première. La Tribune politique. — Chapitre II. Application des principes à la première Philippique de Démosthène, et à la seconde Catilinaire de Cicéron. »

Ce court exorde suffit pour donner une idée de la manière de Démosthène : on ne voit rien là qui sente l’orateur, rien qui annonce la moindre recherche ; tout va directement au but : on voit un homme rempli de l’importance de son sujet, et l’on sent qu’il va s’emparer invinciblement de l’attention des auditeurs. C’est une âme pleine qui cherche à s’épancher : c’est un vrai citoyen qu’afflige l’état de son pays et l’insouciance de ses concitoyens ; il veut le bien et la gloire de tous, et il sent que pour faire l’un et l’autre, il faut exposer la vérité dans tout son jour, et sacrifier sans balancer tous les vains ménagements d’une fausse délicatesse. […] L’insinuation, parce qu’il avait à ménager, soit dans le sénat, soit devant le peuple, soit dans les tribunaux, une foule de convenances étrangères à Démosthène : l’ornement, parce que la politesse du style était une sorte d’attrait qui se faisait sentir plus vivement à Rome, à mesure que tous les arts du goût et du luxe y étaient plus accrédités. […] Ceux qui réfléchissent et raisonnent autrement que le vulgaire, sentaient parfaitement que ce parti était le seul qu’il y eût à prendre, le seul même qui fût avantageux dans la circonstance. […] « Il est accablé, il se sent lui-même anéanti, et jette des regards de désespoir sur cette ville, qu’il voit avec douleur échapper à sa rage, sur cette ville qui s’applaudit sans doute d’avoir rejeté loin d’elle le poisons qu’elle portait dans son sein ».

64. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre cinquième. De l’Éloquence des Livres saints. — Chapitre III. Beautés de sentiment. »

Voilà ce que ne me paraissent pas avoir senti ceux qui, en touchant à ces grandes plaies de l’humanité, n’ont pas connu quel baume ils devaient y verser ; et combien la présence consolante d’un Dieu contribuait efficacement à adoucir le tableau des misères humaines. […] Voyez ce faible enfant que le trépas menace, Il ne sent plus ses maux quand sa mère l’embrasse : Dans l’âge des erreurs, ce jeune homme fougueux N’a qu’elle pour ami, dès qu’il est malheureux : Ce vieillard, qui va perdre un reste de lumière, Retrouve encor des pleurs en parlant de sa mère. […] Nous nous sommes fait un devoir, comme on a pu l’observer, de rapprocher le texte de la traduction, afin de bien convaincre le lecteur, que ce qu’il y a de plus attendrissant dans l’ouvrage de Florian, appartient exclusivement à la beauté de l’original, et que ces traits n’ont besoin, pour être admirés et sentis, que de passer sans altération d’une langue dans une autre. […] La nature en Damon succombe au poids de l’âge ; De deux bras vainement sa marche se soulage ; Il sent fléchir sous lui ses genoux affaiblis ; Et bientôt, étendu sur son humble châlis, Ne se déguisant point son atteinte mortelle, Des ministres sacrés fait prévenir le zèle. […] Alors de toutes parts un Dieu se fait entendre ; Il se cache au savant, se révèle au cœur tendre : Il doit moins se prouver qu’il ne doit se sentir.

65. (1865) Cours élémentaire de littérature : style et poétique, à l’usage des élèves de seconde (4e éd.)

Tous les hommes possèdent plus ou moins dans leur intelligence et dans leur cœur les moyens de sentir et d’apprécier le beau. […] Puisque le style est l’expression de l’homme même, il devra présenter l’homme tel qu’il est et tel qu’il sent, c’est-à-dire que la manière d’écrire d’un auteur sera l’expression fidèle de sa manière de voir et de sentir. […] L’image n’est faite que pour rendre l’idée sensible : si elle ne mérite pas d’être sentie, ce n’est pas la peine de la colorer. […] D’une longue et patiente méditation vous sentirez naître une foule de traits, de réflexions, de sentiments et de pensées. […] La facilité exige qu’on évite tout ce qui sent la contrainte et la gêne, tout ce qui décèle l’étude et le travail.

66. (1881) Morceaux choisis des classiques français des xvie , xviie , xviiie et xixe siècles, à l’usage des classes de troisième, seconde et rhétorique. Prosateurs

  I’estime que les anciens avoient encores plus à se plaindre de ceulx qui apparioient Plaute à Terence (cettuy cy sent bien mieulx son gentilhomme), que Lucrèce à Virgile. […] A ceste heure, qu’il a senti les verges de Dieu, sera plus prompt à se reconcilier à luy et à son prochain, et mieulx disposé que auparavant, à l’exemple de ceux qui ont esté malades, et aprez la purgation des mauvaises humeurs deviennent plus soigneux de leur santé et plus sainz. […] Si ne vous sentez assez forts et justes pour commander vos passions, et aimer vos ennemys selon que Dieu commande, abstenez-vous de l’office de juges. […] Mais il fit beaucoup pour la dignité des lettres, qui le lui rendaient, ne disons pas en flatteries (il vaut mieux n’en pas parler), disons en chefs-d’œuvre nés du génie qui se sent libre. […] Cette main invisible, ce bras qui ne paroit pas, donne les coups que le monde sent ; il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l’homme ; mais la force qui accable est toute de Dieu.

67. (1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Première partie - Préceptes généraux ou De la composition littéraire. — Chapitre troisième. De l’élocution. »

L’on sent combien ce tour de phrase donne de force à l’affirmation. […] et sentira la force immense du pléonasme toi. […] On le sent, mais on est embarrassé pour dire ce que l’on sent. […] Il est plus facile de communiquer ce qu’on sent, que de persuader ce qu’on pense. […] Il ne faut pas prodiguer ces formules ; elles sentent la pauvreté.

68. (1854) Éléments de rhétorique française

On sentit d’abord la nécessité d’exprimer les plus importants, c’est-à-dire, ceux dont on avait le plus souvent occasion de parler. […] Chrétiens, qu’une triste cérémonie assemble en ce lieu, ne rappelez-vous pas en votre mémoire ce que vous avez vu, ce que vous avez senti il y a cinq mois ? […] On sent combien l’expression abstraite ajoute à l’énergie ou à l’élégance de la phrase. […] Les jeunes gens sont naturellement disposés à sentir les beautés de la peinture, de la sculpture, de l’architecture et de la musique. […] mais il se trouva par terre, parmi ces milliers de morts dont l’Espagne sent encore la perte.

69. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome I (3e éd.) « Première partie. De l’Art de bien écrire. — Section III. De l’Art d’écrire pathétiquement. — Chapitre II. De l’Éloquence. » pp. 318-338

Pour être véritablement éloquent, il faut donc non seulement penser avec noblesse, mais encore sentir vivement et avec chaleur : on n’aura pas de peine à s’exprimer de même. […] Il suffit pour cela qu’il sente vivement, et s’exprime de même. […] La délicatesse des pensées et l’élégance des expressions s’y font plus sentir qu’elles ne paraissent. […] Louis XIV, ce monarque, la gloire de son peuple et de son siècle, la gloire de la religion et de l’État, plus héros dans le déclin des années et dans l’adversité, que dans le brillant de la jeunesse et de ses victoires, et dont la vertu éprouvée par la disgrâce, força enfin la fortune à rougir de son inconstance, lui fit sentir sa faiblesse, lui apprit qu’il ne lui appartient ni de donner, ni d’ôter la véritable grandeur ; Louis XIV avait vu passer comme l’ombre sa nombreuse postérité.

70. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — La Bruyère 1646-1696 » pp. 100-117

Il ne parle pas, il ne sent pas ; il répète des sentiments et des discours, se sert même si naturellement de l’esprit des autres, qu’il y est le premier trompé, et qu’il croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée, lorsqu’il n’est que l’écho de quelqu’un qu’il vient de quitter. […] L’on juge en le voyant qu’il n’est occupé que de sa personne ; qu’il sait que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie ; qu’il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relayent pour le contempler3 La vraie et la fausse grandeur La fausse grandeur est farouche et inaccessible ; comme elle sent son faible, elle se cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir qu’autant qu’il faut pour imposer et ne paraître point ce qu’elle est, je veux dire une vraie petitesse. […] Son caractère est noble et facile, inspire le respect et la confiance, et fait que les princes nous paraissent grands et très-grands, sans nous faire sentir que nous sommes petits1. […] Description rapide, gracieuse et sentie. […] On sent des rancunes personnelles dans tout ce portrait ; La Bruyère avait rencontré plus d’un Pamphile sur sa route ; chacun de nous est exposé au même accident.

71. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section cinquième. La Tribune académique. — Chapitre III. Discours académiques de Racine, de Voltaire et de Buffon. »

Voilà bien le langage de l’admiration sentie et raisonnée ; et ce langage était vrai dans Racine. […] Ces hommes sentent vivement, s’affectent de même, le marquent fortement au-dehors ; et, par une impression purement mécanique, ils transmettent aux autres leur enthousiasme et leurs affections. […] Mais lorsqu’il se sera fait un plan, lorsqu’une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il s’apercevra aisément de l’instant auquel il doit prendre la plume ; il sentira le point de maturité de la production de l’esprit ; il sera pressé de la faire éclore, il n’aura même que du plaisir à écrire.

72. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Le Sage, 1668-1747 » pp. 216-222

Quand tu t’apercevras que ma plume sentira la vieillesse, lorsque tu me verras baisser, ne manque pas de m’en avertir. […] À mon âge, on commence à sentir les infirmités, et les infirmités du corps altèrent l’esprit. […] La plupart des auditeurs, quand il la prononça, comme s’ils eussent été aussi gagés pour l’examiner, se disaient tout bas les uns aux autres : « Voilà un sermon qui sent l’apoplexie. » — « Allons, monsieur l’arbitre des homélies, me dis-je alors à moi-même, préparez-vous à faire votre office.

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