Comment en effet garder un juste milieu, en louant des actions sur la vérité desquelles il est difficile d’établir une opinion constante ? […] Que le cœur en soit épris ; que l’amour en devienne plus actif, à mesure que la connaissance en devient plus parfaite ; que la mémoire vous redise tous les jours : ceux qui nous l’ont acquise, sensibles au cri de l’honneur, à la voix de l’opinion, savaient braver les dangers.
Cet éloge, qui nous paraît aujourd’hui fort exagéré, était si bien dans l’opinion commune au xviie siècle, que Lancelot, à la fin de son Traité de versification française, n’hésite pas à dire : « Il n’y a guère d’ouvrages en vers qui soient plus beaux que le sonnet, ni aussi plus difficiles. […] Et nous pouvons répéter aujourd’hui ce qu’a dit Boileau, il y a plus d’un siècle et demi : Mais en vain mille auteurs y pensent arriver, Et cet heureux phénix est encore à trouver. » Sans nous arrêter à cette opinion bizarre qui ne veut pas qu’une petite pièce de poésie soit jamais parfaite qui a fait ses règles exprès pour qu’elle ne le fût pas, et qui, le fût-elle, trouverait encore facilement à y reprendre ; citons ici deux sonnets de caractère moyen, où l’on verra comment on a pu tirer parti de cette coupe difficile, et dire pourtant de très jolies choses.
Un dialogue où deux opinions se choquent, sans que le lecteur puisse en rien conclure, rappelle ces combats de théâtre où deux spadassins se portent pendant un quart d’heure les plus furieuses bottes, pour se quitter chacun également frais et dispos. Après la lecture de Platon, si vous ne partagez pas son opinion, vous savez du moins à quoi vous en tenir sur sa doctrine ; après celle de Cicéron sur l’art oratoire, vous avez de l’éloquence une idée plus précise et plus lumineuse. […] Si vous voulez donc réussir comme épistolographe, abandonnez-vous à l’impulsion de votre nature, de vos sentiments, de vos opinions, de votre esprit, en appliquant seulement à ce genre les règles générales de l’art d’écrire.
Ses mémoires, qui passionnent l’opinion, sont les Provinciales du dix-huitième siècle. […] Je demanderais surtout qu’infidèle à ses amis, ingrat envers ses protecteurs, odieux aux auteurs dans ses censures, nauséabond aux lecteurs dans ses écritures, terrible aux emprunteurs dans ses usures, colportant les livres défendus, espionnant les gens qui l’admettent, écorchant les étrangers dont il fait les affaires, désolant, pour s’enrichir, les malheureux libraires, il fût tel enfin dans l’opinion des hommes, qu’il suffît d’être accusé par lui pour être présumé honnête, d’être son protégé, pour devenir à bon droit suspect : donne-moi Marin 1 « Que si cet intrus doit former le projet d’affaiblir un jour ma cause en subornant un témoin dans cette affaire, j’oserais demander que cet autre argousin fût un cerveau fumeux, un capitan sans caractère, girouette tournant à tous les vents de la cupidité, pauvre hère qui, voulant jouer dix rôles à la fois, dénué de sens pour en soutenir un seul, allât, dans la nuit d’une intrigue obscure, se brûler à toutes les chandelles, en croyant s’approcher du soleil ; et qui, livré sur l’escarpolette de l’intérêt à un balancement perpétuel, en eût la tête et le cœur étourdis au point de ne savoir ce qu’il affirme, ni ce qu’il a dessein de nier : donne-moi Bertrand. […] Beaumarchais résumait ainsi sa vie : « Vous qui m’avez connu, dites, ô mes amis, si vous avez jamais vu autre chose en moi qu’un homme constamment gai, aimant avec une égale passion l’étude et le plaisir ; enclin à la raillerie, mais sans amertume ; l’accueillant dans autrui contre soi, quand elle est assaisonnée ; soutenant peut-être avec trop d’ardeur son opinion, quand il la croit juste, mais honorant hautement et sans envie tous les gens qu’il reconnaît supérieurs ; actif quand il est aiguillonné, paresseux et stagnant après l’orage ; insouciant dans le bonheur, mais poussant la constance et la sérénité dans l’infortune jusqu’à l’étonnement de ses plus familiers amis. »
Il entreprend de diriger les opinions. — La gloire de l’homme qui écrit est donc de préparer des matériaux utiles à l’homme qui gouverne, etc. » Non ; ce n’est point à l’homme de lettres à se mêler de politique : rarement il y entend quelque chose. […] Il fallait, pour ainsi dire, défaire son âme et la refaire. — Tant de difficultés n’effrayèrent point Descartes : il examine tous les tableaux de son imagination, et les compare avec les objets réels : il descend dans l’intérieur de ses perceptions qu’il analyse. — Son entendement, peuplé auparavant d’opinions et d’idées, devient un désert immense ».
Ma première maxime était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant1 constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès, qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés2 de ceux avec lesquels j’aurais à vivre ; car, commençant dès lors à ne compter pour rien les miennes propres, à cause que je voulais les remettre toutes à l’examen, j’étais assuré de ne pouvoir mieux que de suivre celles des mieux sensés. […] La seule résolution de se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues auparavant en sa créance n’est pas un exemple que chacun doit suivre3.
Ce que l’on appelle polémique (c’est un mot grec qui signifie propre au combat, à la discussion) consiste, la plupart du temps, en ce que des opinions critiques contraires sont soutenues par deux personnes qui jugent différemment des mêmes choses. […] On sait que La Motte, ayant fait, dans le siècle dernier, une imitation en vers de l’Iliade, et mis au-devant de cet ouvrage un Essai sur Homère, où il relevait dans ce père de la poésie grecque un grand nombre de défauts, madame Dacier, qui avait traduit Homère elle-même, prit fait et cause pour son auteur, et imprima, sous le titre des Causes de la corruption du goût, un gros volume où elle combattait toutes les opinions de La Motte. Malheureusement, la pente est glissante des opinions à la personne, et madame Dacier tomba bientôt dans cette faute de s’emporter contre son adversaire jusqu’à la grossièreté la plus outrageante.
Voilà cependant ce dont il faut que l’on convienne, à moins que l’on n’ait pris le parti bien formel de ne rien voir que son opinion, ou celle plutôt d’après laquelle on s’en est fait une. Car, il est bon de le faire remarquer ici aux jeunes gens ; la presque totalité de ces gens qui parlent et prononcent avec un ton si décisif, qu’il ne permet pas même une modeste objection, ne prononcent et ne parlent jamais que d’après un thème fait d’avance, ou d’après un auteur adoptif qui règle leurs opinions comme il dirige leurs sentiments, et le tout aux dépens de la raison (dans leur sens) ; donc ils ne peuvent avoir tort : la conséquence est juste, et il n’y a rien à répondre à cela, parce qu’il n’y a rien à gagner sur de tels esprits.
Mais combien l’influence de notre opinion doit-elle être plus puissante lorsque l’orateur est sous nos yeux, et qu’il s’adresse personnellement à nous sur quelque sujet d’une haute importance ! […] C’est une obligation que nous a imposée la nature ; et il faut avoir une bien haute opinion de son mérite pour se flatter de pouvoir s’y soustraire. […] Je dirai librement quelle est ma manière de voir sur chaque sujet, n’ayant d’égard aux opinions généralement reçues qu’autant qu’elles me paraissent fondées sur le bon sens et la raison. […] Aujourd’hui encore, les hommes de lettres et les gens de goût sont, à cet égard, très partagés d’opinion. […] L’on a répété souvent, et c’était une opinion généralement reçue chez les anciens, que la poésie avait existé avant la prose.
Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusque dans les derniers recoins de la logique. Mais, sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle, touchant la circulation du sang2, et autres opinions de même farine.
Joubert disait : « Il faut toujours avoir dans la tête un coin ouvert et libre, pour y donner une place aux opinions de ses amis, et les y loger en passant. […] Sainte-Beuve : « Je le comparerais volontiers à ces arbres dont il faut choisir les fruits ; mais craignez de vous asseoir sous leur ombre. » D’Argenson disait en parlant de Voltaire, âgé de quarante ans (1734) : « Plaise au ciel que la magie de son style n’accrédite pas de fausses opinions et des idées dangereuses ; qu’il ne déshonore pas ce style charmant en prose et en vers, en le faisant servir à des ouvrages dont les sujets soient indignes et du peintre et du coloris ; que ce grand écrivain ne produise pas une foule de mauvais copistes, et qu’il ne devienne pas le chef d’une secte à qui il arrivera, comme à bien d’autres, que les sectateurs se tromperont sur les intentions de leur patriarche ! […] Joubert disait : « Il faut toujours avoir dans la tête un coin ouvert et libre, pour y donner une place aux opinions de ses amis, et les y loger en passant.
L’écrivain, à propos d’une idée, en réveille tout à coup une autre dans l’esprit du lecteur, et cet autre est un fait historique, une fiction mythologique, une opinion en vogue, un passage connu de quelque écrivain, c’est ce qu’on appelle l’allusion réelle ; ou bien, il emploie à dessein un mot susceptible d’un sens différent de celui qu’il lui donne, c’est l’allusion verbale ; et dans tous les cas ce rapprochement inattendu ajoute de l’énergie, du piquant, de la nouveauté à sa pensée ou à son expression. […] Remarquez que l’allusion réelle doit rappeler des faits, des idées, des opinions, des mots généralement connus, et appartenant en quelque sorte au domaine public. […] « En revanche, vous rapprocherez élégamment d’arabesques gothiques ouvrées à jour les plus merveilleuses guipures, les dentelles les plus délicates : les arts peuvent être comparés entre eux, et c’est donner une haute opinion de la finesse d’un travail en pierre, que d’éveiller à ce propos l’idée d’un tissu de tulle, ou d’un dessin piqué à l’aiguille. » 102.
Cependant le malheur du siècle est tel, qu’on voit beaucoup d’opinions nouvelles en théologie, inconnues à toute l’antiquité, soutenues avec obstination et reçues avec applaudissement ; au lieu que celles qu’on produit dans la physique, quoique en petit nombre, semblent devoir être convaincues de fausseté dès qu’elles choquent tant soit peu les opinions reçues : comme si le respect qu’on a pour les anciens philosophes était de devoir, et que celui que l’on porte aux plus anciens des Pères était seulement de bienséance ! […] C’est de cette façon que l’on peut aujourd’hui prendre d’autres sentiments et de nouvelles opinions sans mépriser les anciens et 3 sans ingratitude, puisque les premières connaissances qu’ils nous ont données ont servi de degrés aux nôtres, et que dans ces avantages nous leur sommes redevables de l’ascendant que nous avons sur eux ; parce que s’étant élevés jusqu’à un certain degré où ils nous ont portés, le moindre effort nous fait monter plus haut, et avec moins de peine et moins de gloire nous nous trouvons au-dessus d’eux.
Elle renferme ordinairement un axiome de morale, de droit, de politique, ou une opinion qu’on établit comme règle. […] Il tâchera de connaître leur opinion particulière, leurs préventions. […] On a du penchant à croire ce qu’on a du plaisir à entendre ; comme on a mauvaise opinion de ce qui se présente mal. […] S’il lui arrive d’avoir à combattre leurs opinions, il doit le faire avec beaucoup de ménagement et de modestie. […] Il exerce sa puissance partout où il s’agit de l’opinion : il peut trouver place en toute espèce de cause.
• Opinion de Fénelon sur l’éloquence. (5 novembre 1881). • Des opinions de Fénelon sur l’éloquence. (9 août 1883). […] Corneille, pour qui je m’avoue un peu mieux disposé, et à vous, Monsieur, que je serais heureux de faire revenir d’une opinion au moins rigoureuse. […] Cette opinion part d’un excellent goût. […] Mais il se ferait un vrai scrupule de ne pas faire part à son souverain de son opinion touchant un acte qui intéresse au plus haut point la gloire de Louis XIV.
Lorsque tous les orateurs avaient parlé, le peuple donnait son suffrage en étendant les mains vers celui dont l’opinion le flattait davantage. […] Exorde. « Si le sujet qui nous rassemble avait pour objet quelque nouveau débat, j’attendrais, Athéniens, que vos orateurs ordinaires eussent manifesté leur opinion ; et si leurs propositions m’avaient paru sages, j’aurais continué de garder le silence : dans le cas contraire, j’aurais exposé mon sentiment : mais puisqu’il s’agit de choses sur lesquelles ils ont plus d’une fois déjà donné leur avis, vous me pardonnerez sans doute d’avoir pris le premier la parole ; car s’ils avaient dans le temps indiqué les mesures convenables, vous n’auriez point à délibérer aujourd’hui ». […] Quand le tour de César fut arrivé, il donna et motiva son opinion en ces mots : 65« Omnis homines, patres conscripti, qui de rebus dubiis consultant, ab odio, amicitiâ, irâ, atque misericordiâ, vacuos esse decet : haud facilè animus verum providet, ubi illa officiunt. […] Cicéron lui demande son opinion : on va l’entendre.
Ces différences me font croire que l’abus seul de la vie nous la rend à charge ; et j’ai bien moins bonne opinion de ceux qui sont fâchés d’avoir vécu, que de celui qui peut dire avec Caton : « Je ne me repens point d’avoir vécu, car j’ai vécu de façon à pouvoir me rendre ce témoignage, que je ne suis pas né en vain. » Selon le cours ordinaire des choses, de quelques maux que soit semée la vie humaine, elle n’est pas, à tout prendre, un mauvais présent ; et si ce n’est pas toujours un mal de mourir, c’en est fort rarement un de vivre. […] Vainqueur de tant d’opinions trompeuses, vous le serez encore de celle qui donne un si grand à la vie. […] Je la peuplais bientôt d’êtres selon mon cœur, et chassant bien loin l’opinion, les préjugés, toutes les passions factices, je transportais dans les asiles de la nature des hommes dignes de les habiter6. […] Madame de Beaumont, qui connut Rousseau, le caractérisait ainsi : « Il s’est élevé un homme plein du langage de la philosophie, sans être véritablement philosophe : esprit doué d’une multitude de connaissances qui ne l’ont pas éclairé ; caractère livré aux paradoxes d’opinions et de conduite, alliant la simplicité des mœurs avec le faste des pensées, le zèle des maximes antiques avec la fureur d’établir des nouveautés, l’obscurité de la retraite avec le désir d’être connu de tout le monde.
Quelle est aujourd’hui l’opinion la plus suivie ? […] L’opinion les trouve surannées et la royauté elle-même semble douter de leur efficacité. […] L’opinion de ses contemporains est-elle encore la nôtre ? […] C’est l’opinion courante aujourd’hui, mais il a fallu du temps pour l’établir. […] Opinion de Boileau sur la fable.
Ce qui fait la différence des siècles entre eux, ce n’est pas la nature, toujours prodigue des mêmes dons, mais l’opinion dominante à l’époque où l’on vit. Si la tendance de cette opinion est vers l’enthousiasme, il s’élève de toutes parts des grands hommes ; si l’on proclame le découragement, il ne reste plus rien en littérature que des juges du temps passé. » « L’on voit des jeunes gens, ambitieux de paraître détrompés de tout enthousiasme, affecter un mépris réfléchi pour les sentiments exaltés.
Toujours prête à céder aux opinions qu’on lui dicte, toujours prête à souscrire aux vices qu’elle n’ose combattre, elle n’est qu’une source d’égarements, elle n’est point une vertu. […] L’opinion générale doit nous guider dans ce qui concerne les ouvrages du génie. […] Cependant je ne donne pas cette opinion comme une théorie générale ; il me suffit d’avoir fait connaître en quoi consiste le sublime et dans quels objets on peut le rencontrer. […] Cette dernière opinion avait pris faveur dans l’école de Platon18. […] Suivant la grammaire, c’est à l’affaire ; suivant l’auteur, c’est sans doute à l’opinion.
Toutefois, et sur une doctrine capitale de l’auteur, la purgation des passions par le drame, nous avons voulu apporter, à l’appui de l’opinion exposée dans notre Essai sur l’histoire de la critique, un argument considérable, le texte de Proclus, signalé pour la première fois par M.