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58. (1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Première partie — Chapitre III. — Ornements du Style, qui consistent dans les Mots ou Figures »

. — Ornements du Style, qui consistent dans les Mots ou Figures Les figures sont des expressions, des tours, des mouvements de style, qui, par la manière dont ils rendent la pensée, y ajoutent de la force, de la singularité, de la grâce et de l’élégance. […] Un poids invincible, une force irrésistible nous entraîne : il faut sans cesse avancer vers le précipice. […] Répétition La Répétition consiste à reproduire plusieurs fois les mêmes expressions avec force, avec noblesse, avec grâce. […] Il t’aborde, et sans différer marchant aux rebelles, il essuie leur feu, les charge, les met en fuite, et les force enfin dans les villes et les bourgs qui leur servaient de retraite. […] La Prétérition consiste à feindre de passer sous silence ou de ne toucher que légèrement des choses sur lesquelles cependant on insiste même avec force.

59. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section cinquième. La Tribune académique. — Chapitre III. Discours académiques de Racine, de Voltaire et de Buffon. »

À dire le vrai, où trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d’excellentes parties, l’art, la force, le jugement, l’esprit ? […] Parmi tout cela, une magnificence d’expressions proportionnée aux maîtres du monde, qu’il fait souvent parler ; capable néanmoins de s’abaisser quand il veut, et de descendre jusqu’aux simples naïvetés du comique où il est encore inimitable ; enfin, ce qui lui est surtout particulier, une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu’à ses défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns, plus estimables que les vertus des autres. […] C’est Térence qui, chez les Romains, parla le premier avec une pureté toujours élégante : c’est Pétrarque qui, après le Dante, donna à la langue italienne cette aménité et cette grâce qu’elle a toujours conservées : c’est à Lopez de Vega que l’espagnol doit sa noblesse et sa pompe : c’est Shakespeare qui, tout barbare qu’il était, mit dans l’anglais cette force et cette énergie qu’on n’a jamais pu augmenter depuis sans l’outrer, et par conséquent sans l’affaiblir. […] Ce ne sont point ici de ces leçons rebattues, prises partout et répétées jusqu’à satiété, depuis que l’on parle goût et littérature : ce sont des traits hardis détachés du grand tableau de la nature, et présentés dans toute leur force primitive, par l’homme qui a le mieux lu dans ce grand livre, et qui en a traduit avec tant de succès les pages les plus intéressantes pour nous.

60. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section première. La Tribune politique. — Chapitre premier. »

Mais c’est à celui qu’un grand peuple charge de ses intérêts, à bien consulter son âme et ses forces, à se demander s’il saura s’élever au-dessus des petites passions, fronder l’opinion commune quand elle ne sera pas d’accord avec le bien général ; braver les clameurs de ce même peuple, qu’il faut quelquefois servir malgré lui, et sacrifier jusqu’à sa vie s’il le faut, plutôt que de trahir la vérité et la confiance de ses concitoyens. […] Elle ne peut avoir que deux objets : ou il s’agit de conduire les hommes par le devoir, et c’est alors dans les principes du juste et de l’injuste qu’elle puise ses forces et ses moyens : ou il s’agit de les déterminer par leur intérêt, et c’est leur passion qu’il faut émouvoir. […] Mais ce qu’il perd quelquefois en élégance et en correction, il le regagne abondamment par la force et la véhémence, qui le caractérisent essentiellement.

61. (1813) Principes généraux des belles-lettres. Tome III (3e éd.) « Principes généraux des belles-lettres. » pp. 1-374

La force est pour la brute, et la loi pour les hommes. […] Le poëte les a choisis à cette fin, et leur en a opposé d’autres d’une force à-peu-près égale. […] Mais César ne trouvoit pas dans ce poëte si agréable assez de force comique. […] Quant au style, ses comédies en prose sont écrites avec netteté, avec force, avec concision. […] Un moment d’espérance a soulevé l’âme, mais pour la faire retomber avec plus de force.

62. (1882) Morceaux choisis de prosateurs et de poètes des xviii e et xix e siècles à l’usage de la classe de rhétorique

Étrange violence, étrange misère, étrange aveu arraché par la force du sentiment et de la douleur ! […] La force des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre, règlent ou contiennent tout. […] Il était toujours aussi aisé de triompher des forces d’Athènes qu’il était difficile de triompher de sa vertu. […] Je vous souhaite un sort qui ne vous force jamais à vous en souvenir. […] Non seulement son histoire générale, mais celle de la plus petite plante, est bien au-dessus de mes forces.

63. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section quatrième. Genre Démonstratif. Les Panéryriques. — Chapitre III. Éloges de Pompée et de César, par Cicéron. »

Peut-être n’a-t-on pas fait assez d’attention à la conduite de Cicéron dans cette circonstance : avec un peu de réflexion, on aurait vu que louer la clémence de César à l’égard de Marcellus, c’était lui faire, pour ainsi dire, une loi de ne plus se démentir de ses principes ; que mettre cette même clémence au-dessus de tous les exploits du vainqueur du monde, c’était lui dire bien formellement, que s’il avait conquis Rome par la force des armes, il ne régnerait sur les Romains que par la douceur et la bienveillance. […] Quant à la sagesse de ses conseils, à la force et à la fécondité de son éloquence, qualités qui relèvent si avantageusement le mérite d’un général, vous les connaissez, Romains, vous qui l’avez si souvent admiré à cette tribune, etc. » 94. […] Car il n’est point de puissance et de force, que la force et le fer ne viennent à bout de briser et de détruire. […] Au milieu des horreurs de la guerre, dans la fermentation des esprits, dans le tumulte des armes, on devait s’attendre que la république, agitée par de violentes secousses, quel que fût l’événement, perdrait beaucoup de sa splendeur, de sa stabilité et de sa force : on devait s’attendre que les deux chefs, les armes à la main, se permettraient bien des excès qu’ils auraient condamnés au sein de la paix.

64. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — De Maistre, 1753-1821 » pp. 377-387

Une force, à la fois cachée et palpable, se montre continuellement occupée à mettre à découvert le principe de la vie par des moyens violents. […] Rien ne résiste, rien ne peut résister à la force qui traîne l’homme au combat ; innocent meurtrier, instrument passif d’une main redoutable, « il se plonge tête baissée dans l’abîme qu’il a creusé lui-même ; il donne, il reçoit la mort sans se douter que c’est lui qui a fait la mort2 ». […] Puisse cette force mystérieuse, mal expliquée jusqu’ici, et non moins puissante pour le bien que pour le mal, devenir bientôt l’organe d’un prosélytisme salutaire, capable de consoler l’humanité de tous les maux que vous lui avez faits2 ! […] Qu’est-ce donc que cet être inexplicable qui a préféré à tous les métiers agréables, lucratifs, honnêtes et même honorables qui se présentent en foule à la force ou à la dextérité humaine, celui de tourmenter et de mettre à mort ses semblables ? […] Et pour le dire en un mot, il ne se trouve buste, tant soit-elle armée de forces de corps ou pourveuë de sens, que l’homme ne vienne au-dessus. » 1.

65. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Silvestre de Sacy. Né en 1801. » pp. 522-533

Le succès d’une pièce nouvelle a promptement besoin d’être rajeuni par un succès nouveau, la multitude a soif d’émotions et cherche avidement dans tout ce qui est neuf une sensation qu’elle n’ait pas encore éprouvée ; par la force même des choses, l’art s’est transformé en une industrie, la première et la plus noble de toutes par son objet1. […] À quelle source puiserai-je la force de sacrifier ma fortune et ma vie à mon honneur, quand vous m’aurez appris que ce besoin même de l’honneur n’est qu’une faiblesse de la vanité, qu’une recherche de l’amour-propre ? […] Rendez-moi le soleil de la Grèce, les jeux, les combats des héros, ces temples où l’homme vouait un culte à son image divinisée par le ciseau d’un Phidias ; rendez-moi les sages se complaisant dans leur sagesse, et s’étudiant à se mettre par la force de leur âme au-dessus des accidents de la fortune et de la colère du ciel ; un Platon pénétrant jusque dans le sanctuaire des idées éternelles ; un Aristote embrassant dans sa vaste science la morale, la politique, tous les secrets de l’art et de la nature ; un Caton disposant de sa vie pour échapper à l’oppression ; un Socrate buvant la ciguë d’une âme calme et sereine, bien sûr que s’il y a des dieux, ce sont des dieux bons ; rendez-moi toutes les illusions, toutes les chimères du monde antique, si vous n’avez rien à mettre à la place qu’une sèche et désespérante anatomie des petitesses du cœur ! […] Cicéron n’a pas sauvé, il est vrai, les vieilles institutions, et je crois bien qu’aucune force humaine ne les aurait sauvées. […] Dans toute la force du terme, ce sont d’honnêtes gens.

66. (1866) Morceaux choisis des classiques français, à l’usage des classes supérieures : chefs d’œuvre des prosateurs et des poètes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouvelle édition). Classe de seconde

est-ce inutilement que j’ai consommé toute ma force ? […] Elle se trouve des forces que les siècles précédents ne savaient pas. […] Le grand point, dans la poésie, est que l’élégance ne fasse jamais tort à la force. […] Que m’importe si l’enfant est étouffé à force de caresses ou à force d’être battu ? […] On sait la mort héroïque qui l’enleva en 1650 dans toute la force de l’âge et du talent.

67. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre premier. Éléments généraux du Goût et du Style. — Chapitre IX. De quelques autres figures qui appartiennent plus particulièrement à l’éloquence oratoire. »

1º La prolepse 51 que les rhéteurs nomment aussi antéoccupation, se fait, pour les réfuter, les objections dont l’orateur ne se dissimule ni la force ni la vraisemblance. […] La prétermission feint de passer sous silence ce que l’orateur dit néanmoins très clairement, ou de ne faire qu’effleurer les choses qu’il se propose d’inculquer avec le plus de force. […] Elle se présente, d’ailleurs, si naturellement à l’imagination du poète et de l’orateur ; elle prête au langage de la passion tant de force et d’énergie, qu’il n’est pas surprenant que les exemples en soient aussi multipliés. […] Mais l’effet de cette belle figure est peut-être plus sûr et plus frappant encore, quand l’orateur, se chargeant lui-même de la réponse, met en fait ce qu’il n’avait posé d’abord qu’en question, et porte ainsi la conviction dans les esprits altérés par la force victorieuse d’une logique qui ne laisse pas même le temps de la réflexion.

68. (1870) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices par Gustave Merlet,... à l'usage de tous les établissements d'instruction. Cours moyens, grammaire et enseignement spécial. Première partie : prose

La force des tyrans s’est rendue au courage des condamnés. […] Ils n’ont pas l’habit seulement, ils ont la force. […] C’est sans doute les grands hommes qui font la force d’un empire. […] C’est un effet de son ardeur, et son ardeur vient de sa force, mais d’une force mal réglée. […] Son ardeur s’est changée en force, ou plutôt, puisque cette force était en quelque façon dans cette ardeur, elle s’est réglée.

69. (1867) Morceaux choisis des classiques français, à l’usage des classes supérieures : chefs d’œuvre des prosateurs et des poètes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouvelle édition). Classe de rhétorique

Nous n’avons pas assez de force pour suivre toute notre raison. […] Pellisson s’élève avec force et éloquence contre une pareille distinction, dont le secret motif ne lui échappe pas. […] Quatre Vertus soutenaient la première représentation : la Force, la Justice, la Tempérance et la Religion. […] Tout fut uni par la force de son génie. […] On voit dans les lois de ce prince un esprit de prévoyance qui comprend tout et une certaine force qui entraîne tout.

70. (1865) Cours élémentaire de littérature : style et poétique, à l’usage des élèves de seconde (4e éd.)

C’est l’arrangement des parties, dit Le Batteux, qui fait la beauté d’un tableau, la solidité d’un édifice, la force d’une armée rangée en bataille ; c’est aussi de l’arrangement des mots que dépendent toute la grâce et la force du discours. […] On s’en sert pour donner au récit plus de rapidité, aux grands sentiments plus de force. […] On emploie les ellipses ou suppressions de mots pour donner à l’expression plus de force et de rapidité. […] La gravité des obstacles vaincus démontre la force du héros, leur nombre met sa constance à l’épreuve. […] Quelle force de génie, quelle réunion de facultés solides et brillantes ne faut-il pas pour y réussir !

71. (1876) Traité de versification latine, à l'usage des classes supérieures (3e éd.) « PREMIÈRE PARTIE. DE L'ÉLÉGANCE LATINE. — CHAPITRE III. De la disposition des mots qui composent le discours. » pp. 78-143

Namque, qui ajoute plus de force à l’affirmation, se met bien devant les voyelles. […] Les compléments accessoires sont rangés au milieu, où ils frappent suffisamment l’attention, et où ils produisent le plus d’effet, comme force secondaire unie de la manière la plus intime à la force principale, et agissant de concert avec elle sur l’esprit et les oreilles de l’auditeur. […] C'est le moyen le plus facile de se familiariser avec le génie de cette langue, et de donner au style la force, la grâce, la noblesse qui lui conviennent. […] Il faut remarquer la force du verbe horresco. […] Il faut remarquer d’abord la force du mot corripiunt.

72. (1853) Petit traité de rhétorique et de littérature « Chapitre X. Petits poèmes. »

Il se déchaîne avec force contre les vices, ou se borne à une simple raillerie. […] Il a de la gaîté, de la force et souvent de la grâce. […] On peut dire qu’il réunit la finesse et la légèreté d’Horace, la sagesse et la raison de Perse, la force et la vivacité de Juvénal, sans en avoir la fougue et les excès. […] Rousseau, qui, par la force de ses vers, la beauté de ses rimes, la vigueur de ses pensées, a mérité d’une manière exclusive le titre de Lyrique français. […] Il pousse sa verve avec la même force depuis le début jusqu’à la fin ; mais il n’a peut-être pas assez de ce pliant, de cette souplesse qui donne la grâce ; sa force dégénère quelquefois en dureté119.

73. (1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Première partie — Chapitre V. — Qualités particulières du Style »

La crainte arrête ses pas incertains ; ses forces l’abandonnent ; il tombe au pied d’un monceau de neige mouvante ; il sent toute l’amertume de la mort, et son agonie est mêlée des angoisses cruelles dont la nature perce le cœur du malheureux expirant sans secours, loin de sa femme, de ses enfants, de ses amis. […] Il est sobre de figures et de mouvements, et ne se distingue presque du style simple que par un caractère plus soutenu de force et de noblesse. […] C’est une œuvre dans laquelle l’auteur ne peut enlever les suffrages qu’à force d’élégance et de beauté. […] Il creuse du pied la terre : il est plein de confiance en sa force : il va au-devant des hommes armés et se rit de la peur, il en est incapable, et la vue de l’épée ne le fait pas reculer. […] Lorsqu’il est nécessaire de défendre « l’humble qu’on outrage » le style biblique dépose sa simplicité pour revêtir un air de hardiesse et de force.

74. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Cousin 1792-1867 » pp. 257-260

La matière est mue et pénétrée par des forces qui ne sont pas matérielles, et elle suit des lois qui attestent une intelligence partout présente. L’analyse chimique la plus subtile ne parvient point à une nature morte et inerte, mais à une nature organisée à sa manière, et qui n’est dépourvue ni de forces ni de lois. […] Mais je n’ai plus la force de faire passer dans mes paroles l’énergie de mes sentiments.

75. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — Chapitre » pp. 169-193

ma force usée en ce besoin me laisse ! […] J’attaque en téméraire un bras toujours vainqueur ; Mais j’aurai trop de force, ayant assez de cœur. […] J’ai couru sur le lieu, sans force et sans couleur ; Je l’ai trouvé sans vie ? […] Qu’on est digne d’envie, Lorsqu’en perdant la force on perd aussi la vie2 ! […] La force de ce mot s’est singulièrement affaiblie de nos jours.

76. (1881) Morceaux choisis des classiques français des xvie , xviie , xviiie et xixe siècles, à l’usage des classes de troisième, seconde et rhétorique. Prosateurs

C’est force et violence, que cruelles sentences sont prononcees à rencontre d’icelle devant qu’elle ait esté defendue. […] Il a été affermi dans son pouvoir par une force étrangère et qui n’étoit pas de lui, par une force qui appuie la faiblesse, qui anime la lâcheté, qui arrête les chutes de ceux qui se précipitent, qui n’a que faire des bonnes maximes pour produire les bons succès. […] Que si vous voulez demeurer dans votre opinion, je n’entreprends pas de vous l’arracher par force. […] Mais, lui dit le malade, ai-je toute la force nécessaire pour m’en servir ? […] dit le malade, je n’ai donc pas en moi les forces suffisantes et auxquelles il ne manque rien pour marcher effectivement.

77. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Nisard Né en 1806 » pp. 296-300

Aussi est-il un maître dans toute la force du mot : par l’accent et l’autorité de ses doctrines, nul n’est plus propre à diriger, à féconder sûrement les esprits ; nul ne forme plus sûrement le goût par la ferveur de ses convictions persuasives. […] Les fables ne sont pas le livre des jeunes gens ; ils préfèrent les illustres séducteurs, qui les trompent sur eux-mêmes et leur persuadent qu’ils peuvent tout ce qu’ils veulent, que leur force est sans bornes et leur vie inépuisable. […] Ce temps d’ivresse passé1, quand chacun a trouvé enfin la mesure de sa taille en s’approchant d’un plus grand ; de ses forces, en luttant avec un plus fort ; de son intelligence, en voyant le prix remporté par un plus habile ; quand la maladie et la fatigue lui ont appris qu’il n’y a qu’une mesure de vie ; quand il en est arrivé à se défier même de ses espérances, alors revient le fabuliste qui savait tout cela, qui le lui dit et qui le console, non par d’autres illusions, mais en lui montrant son mal au vrai, et tout ce qu’on en peut ôter de pointes par la comparaison avec le mal d’autrui.

78. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Racine, 1639-1699 » pp. 150-154

Sa langue est souple, élégante, unie, riche de demi-teintes ; elle allie la force à la grâce, mais ses hardiesses n’effrayent point le goût. […] À dire le vrai, où trouvera-t-on un poëte qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d’excellentes parties : l’art, la force, le jugement, l’esprit ? […] Parmi tout cela, une magnificence d’expression proportionnée aux maîtres du monde qu’il fait souvent parler ; capable néanmoins de s’abaisser quand il veut, et de descendre jusqu’aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable ; enfin, ce qui lui est surtout particulier, une certaine force, une certaine élévation, qui surprend, enlève, et qui rend jusqu’à ses défauts, si on lui en peut trouver quelques-uns, beaucoup plus estimables que les vertus des autres : personnage véritablement né pour la gloire de son pays ; comparable, je ne dis pas à tout ce que l’ancienne Rome a eu d’excellents tragiques, puisqu’elle confesse elle-même qu’en ce genre elle n’a pas été fort heureuse, mais aux Eschyle, aux Sophocle, aux Euripide, dont la fameuse Athènes ne s’honore pas moins que des Thémistocle, des Périclès, des Alcibiade, qui vivaient en même temps qu’eux.

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