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62. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Section I. Des Ouvrages en Prose. — Chapitre IV. Des Ouvrages Didactiques. »

Que l’auteur de l’ouvrage sur lequel il va porter son jugement soit son ami ou son ennemi, ce critique se persuade sans peine que, s’il trahit la vérité, s’il écrit une seule ligne contraire à sa façon de penser, il trompera bassement ses lecteurs, et se manquera à lui-même, en se vengeant de son ennemi par un lâche mensonge, ou en usant envers son ami d’une coupable indulgence. […] -C, fut l’ennemi déclaré du mauvais goût, qui, de son temps, commençait à s’introduire dans l’éloquence et dans la poésie.

63. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Principes de rhétorique. — Chapitre VI. De l’élocution et du style. »

si tu prévois qu’indigne de sa race Il doive de David abandonner la trace ; 2° Qu’il soit comme le fruit en naissant arraché, Ou qu’un souffle ennemi dans sa fleur a séché. […] Le pied d’un ennemi foule en paix son cercueil. […] On connait ce vers célèbre de Corneille dans Horace, au moment où le vieil Horace croit que son fils a fui devant l’ennemi : Julie. […] De quel front cet ennemi de Dieu Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu ? […] On admirait aussi à cette époque l’affectation, qui venait du désir de briller et de produire de reflet ; l’enflure ou le style ampoulé, gonflé de mots pompeux et vide de choses, ennemi surtout du naturel ; les pointes, les jeux de mots, badinage proscrit de la littérature sérieuse : Balzac, Voiture, Scarron, étaient applaudis en dépit du bon goût, qui fut relevé par Molière et par Boileau.

64. (1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Section I. Des Ouvrages en Prose. — Chapitre I. Du Discours oratoire. »

Je parle d’une hardiesse sage et réglée ; qui s’anime à la vue des ennemis ; qui dans le péril même pourvoit à tout et prend tous ses avantages, mais qui se mesure avec ses forces ; qui entreprend les choses difficiles, et ne tente pas les impossibles ; qui n’abandonne rien au hasard de ce qui peut être conduit par la vertu ; capable enfin de tout oser, quand le conseil est inutile, et prête à mourir dans la victoire, ou à survivre à son malheur, en accomplissant ses devoirs ». […] Nos troupes semblent rebutées autant par la résistance des ennemis, que par l’effroyable disposition des lieux ; et le Prince se vit quelque temps comme abandonné. […] Quelque avantage que prenne un ennemi habile autant que hardi, et dans quelque affreuse montagne qu’il se retranche de nouveau ; poussé de tous côtés, il faut qu’il laisse en proie, au duc d’Enghien19, non seulement son canon et son bagage, mais encore tous les environs du Rhin20. […] Mais si vous vous réjouissez d’un bien arrivé à votre ennemi, ce sentiment de joie est bon et louable. […] Mais se dompter soi-même, étouffer son ressentiment ; mettre un frein à la victoire ; relever un ennemi abattu, un ennemi considérable par sa naissance, par son esprit, par son courage, et non seulement le relever, mais le faire monter à un plus haut point de fortune qu’il n’était avant sa chute ; en user ainsi, c’est se rendre, je ne dis pas comparable aux plus grands hommes, mais presque semblable aux dieux.

65. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Molière 1622-1672 » pp. 379-400

Bien qu’il s’oublie lui-même pour être tour à tour chacun de ses acteurs, il nous découvre aussi pourtant sous ses œuvres la cordialité d’une âme généreuse, éclairée, tolérante, indulgente, digne de n’avoir jamais eu d’autres ennemis que les envieux et les vicieux. […] Je dois aux yeux d’Alcmène un portrait militaire Du grand combat qui met nos ennemis à bas ; Mais comment diantre le faire, Si je ne m’y trouvai pas1 ? […] — Il dit moins qu’il ne tait, madame, Et fait trembler les ennemis. […] Ici nos gens se campèrent ; Et l’espace que voilà, Nos ennemis l’occupèrent. […] Après avoir aux dieux adressé les prières, Tous les ordres donnés, on donne le signal : Les ennemis, pensant nous tailler des croupières2, Firent trois pelotons de leurs gens à cheval ; Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée, Et vous allez voir comme quoi3.

66. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — J. Racine. (1639-1699.) » pp. 226-241

Sans songer qui le suit, ennemis ou sujets, Il poursuit seulement ses amoureux projets. […] Je voue à votre fils une amitié de père ; J’en atteste les dieux, je le jure à sa mère : Pour tous mes ennemis je déclare les siens, Et je le reconnais pour le roi des Troyens. » A ces mots, qui du peuple attiraient le suffrage, Nos Grecs n’ont répondu que par un cri de rage ; L’infidèle s’est vu partout envelopper, Et je n’ai pu trouver de place pour frapper : Chacun se disputait la gloire de l’abattre. […] Aux ordres d’Andromaque ici tout est soumis ; Ils la traitent en reine, et nous comme ennemis. […] Sorti de l’école de Port-Royal, Racine s’était déjà annoncé comme poëte distingué par ses deux premières pièces, la Thébaïde ou les Frères ennemis, et Alexandre, lorsqu’il fit son véritable avénement dans la tragédie par Andromaque (1667), qui a marqué, après le Cid, la seconde époque de la gloire du théâtre français. — Voltaire n’a pas craint d’appeler admirable cette pièce dont le sujet est tiré du IIIe livre de l’Eneïde de Virgile (v. 301-332), et où l’auteur a imité aussi en quelques passages l’Andromaque d’Euripide.

67. (1863) Principes de rhétorique et de littérature appliqués à l’étude du français

Contre tant d’ennemis que vous reste-t-il ? […] Sans moi, vous passeriez bientôt sous d’autres lois, Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois. […] Dieu sur ses ennemis répandra la terreur. […]  » L’art véritable est l’auxiliaire du naturel, bien loin d’en être l’ennemi ; au contraire, il en règle l’expression. […] Livre en mes faibles mains ses puissants ennemis.

68. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Balzac, 1596-1655 » pp. 2-10

Ce n’est point un cartel d’ennemi à ennemi ; c’est une satire ; c’est un pasquin 1 ; c’est quelque chose de pis : ou plutôt ce sont les premières pièces d’un procès criminel intenté par le genre humain que les vices de Tibère avaient offensé. […] Sans parler de ce qui se doit faire en l’autre monde, Dieu a divers moyens de se venger de ses ennemis en celui-ci ; mais il ne saurait mieux les punir qu’en laissant leur peine à leur discrétion.

69. (1853) Petit traité de rhétorique et de littérature « Chapitre II. Les Oraisons ou discours prononcés. »

Arnobe, par exemple, définit ainsi le chrétien par des négations réitérées : Être chrétien n’est pas seulement ne pas sacrifier aux idoles, c’est ne point sacrifier aux passions, qui sont les faux dieux de notre cœur ; être chrétien n’est pas seulement se détacher des biens de la terre, c’est se dépouiller de ses cupidités ; être chrétien, ce n’est pas avoir un habit pauvre et modeste, c’est être revêtu de Jésus-Christ ; être chrétien, ce n’est pas seulement aimer ses amis, c’est aimer et combler de biens ses plus injustes et ses plus cruels ennemis. […] Ne serait-il pas étrange qu’il fût permis aux ennemis de la vérité d’attirer les hommes dans l’erreur par des discours vifs et pathétiques, et que le même avantage fût interdit à ceux qui la défendent ? […] C’est peu de parler pour un ennemi vaincu en présence du victorieux ; il parle pour un ennemi condamné ; il entreprend de le justifier devant celui qui a prononcé sa condamnation sans l’entendre, et qui, bien loin de lui donner toute l’attention d’un juge, ne l’écoute qu’avec la maligne curiosité d’un auditeur prévenu. […] Sous ces deux rapports, ses ennemis ont voulu la rendre également méprisable et odieuse : méprisable, en nous persuadant qu’elle choque le bon sens ; odieuse, en nous la représentant comme une loi trop dure et sans onction. […] » Je ne puis, messieurs, vous donner d’abord une plus haute idée du triste sujet dont je viens vous entretenir, qu’en recueillant ces termes nobles et expressifs dont l’Écriture sainte se sert pour louer la vie et pour déplorer la mort du sage et vaillant Machabée : cet homme, qui portait la gloire de sa nation jusqu’aux extrémités de la terre ; qui couvrait son camp du bouclier, et forçait celui des ennemis avec l’épée ; qui donnait à des rois ligués contre lui des déplaisirs mortels, et réjouissait Jacob par ses vertus et par ses exploits, dont la mémoire doit être éternelle.

70. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section quatrième. Genre Démonstratif. Les Panéryriques. — Chapitre VII. Éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1744, par Voltaire. »

À ce portrait, les nations étrangères reconnaissent nos officiers ; elles avouent surtout que lorsque le premier feu de leur jeunesse est tempéré par un peu d’expérience, ils se font aimer même de leurs ennemis. […] « Sybarites tranquilles dans le sein de nos cités florissantes, occupés des raffinements de la mollesse, devenus insensibles à tout, et au plaisir même, pour avoir tout épuisé ; fatigués de ces spectacles journaliers, dont le moindre eût été une fête pour nos pères, et de ces repas continuels plus délicats que les festins des rois ; au milieu de tant de voluptés si accumulées et si peu senties, de tant d’arts, de tant de chefs-d’œuvre si perfectionnés et si peu considérés ; enivrés et assoupis dans la sécurité et dans le dédain, nous apprenons la nouvelle d’une bataille : on se réveille de sa douce léthargie, pour demander avec empressement des détails, dont on parle au hasard, pour censurer le général, pour diminuer la perte des ennemis, pour enfler la nôtre.

71. (1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Bossuet. (1627-1704.) » pp. 54-68

A la nuit qu’il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine, le duc d’Enghien3 reposa le dernier, mais jamais il ne reposa plus paisiblement. […] Aussitôt qu’il eut porté de rang en rang l’ardeur dont il était animé, on le vit presque en même temps pousser l’aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier les Français à demi vaincus, mettre en fuite l’Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner1 de ses regards étincelants2 ceux qui échappaient à ses coups. […] Là, on célébra Rocroy délivré1, les menaces d’un redoutable ennemi tournées à sa honte, la régence affermie, la France en repos, et un règne qui devait être si beau, commencé par un si heureux présage. […] N’y a-t-il point d’ennemis à réconcilier, de différends à pacifier, de querelles à finir, où le Sauveur dit : « Vous aurez sauvé votre frère1 ! 

72. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Ponsard 1814-1868 » pp. 583-600

Les uns y virent une revanche du bon sens, et les autres un sage compromis entre les doctrines de deux camps ennemis. […] — Mais Rome a triomphé de tous ses ennemis, Et, ne combattant plus pour sauver ses murailles, N’a plus la même ardeur à gagner des batailles. […] Il parle comme un Caton, en vrai Romain, ennemi du luxe, épris des fortes vertus. […] Vous êtes historien et poëte, quand vous faites parler ces trois hommes, qui, à peine vainqueurs de leurs ennemis communs, se sont insupportables l’un à l’autre, et qui, venus en apparence pour se mettre d’accord, ne font que se mesurer du regard pour la lutte à mort à laquelle ils sont préparés.

73. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — De Maistre 1753-1821 » pp. 210-213

Nul ne posséda plus magistralement le don d’exécrer, de maudire et de mépriser tous ses adversaires comme des ennemis publics. […] Il était pourtant l’ennemi acharné de la Révolution.

74. (1872) Cours élémentaire de rhétorique

Pour quoi tournez-vous contre vous-mêmes ces armes qui pourraient exterminer vos ennemis et venger notre patrie ? […] Mort, ses soldats eussent lavé cette tache dans le sang des ennemis, en tirant vengeance eux-mêmes de leur défaite. […] A Tenedo, c’est du lieu même où sont cachés les ennemis d’Ilium que partent les deux reptiles. […] De quel front cet ennemi de Dieu Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu ? […] Qu’on dise d’un guerrier qu’il s’élançait comme un lion au milieu des ennemis, c’est une comparaison.

75. (1839) Manuel pratique de rhétorique

À la nuit, qu’il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine, il reposa le dernier ; mais jamais il ne reposa plus paisiblement. […] Vos mains, vos yeux, quel ennemi poursuivaient-ils ? […] de quel front cet ennemi de Dieu Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu ? […] Il observe les mouvements des ennemis. […] Déjà, frémissait dans son camp l’ennemi confus et déconcerté.

76. (1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Première partie - Préceptes généraux ou De la composition littéraire. — Chapitre troisième. De l’élocution. »

De quel front cet ennemi de Dieu Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu ? […] ô vieillesse ennemie N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ! […] Annibal, dit Florus, cherchait dans tout l’Univers un ennemi au peuple romain. […] L’énergie de l’expression consiste dans ce mot, un ennemi. Un seul ennemi n’est pas d’une grande importance contre tout un peuple, et cependant on va remuer l’univers pour le trouver.

77. (1873) Principes de rhétorique française

Jaloux même des succès glorieux à l’Etat, la joie publique est souvent pour eux un chagrin secret et domestique ; les victoires remportées par leurs rivaux et sur les ennemis leur sont plus amères qu’à nos ennemis mêmes… Enfin cette injuste passion tourne tout en amertume, et on trouve le secret de n’être jamais heureux, soit par ses propres maux, soit par les biens qui arrivent aux autres. […] Il n’est peut-être pas dans l’histoire d’exemple plus remarquable de la puissance de la parole qui, d’un même coup, relève le courage des honnêtes gens et répand l’épouvante dans le camp des ennemis de l’ordre. […] Quintilien ajoute avec raison : Comme c’est bien là un départ pour un simple voyage de campagne, et que cette conduite ressemble peu à celle d’un homme qui médite le meurtre de son ennemi ! […] A la bataille de Chéronée, ‘il avait enfoncé et mis en fuite l’aile droite de l’armée ennemie. […] Ainsi raisonnait Alceste, quand il étendait à tous les hommes la sotte présomption d’Oronte devenu sou ennemi à propos d’un sonnet : Et les hommes morbleu !

78. (1883) Morceaux choisis des classiques français (prose et vers). Classe de troisième (nouvelle édition) p. 

Comment accoutumer des esprits si corrompus à la régularité de la religion véritable, chaste, sévère, ennemie des sens et uniquement attachée aux biens invisibles ? […] Le comte de Norwich, cavalier jovial, facile, empressé à faire son devoir envers le roi, à servir ses amis et n’inspirant à ses ennemis ni ressentiment ni crainte. […] Le sol était divisé en provinces ennemies, les hommes étaient distribués en classes rivales. […]              Malheureux les ennemis              De ce prince redoutable ! […] Jeune imprudent, arrête : où donc est l’ennemi ?

79. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — La Bruyère, 1646-1696 » pp. 155-177

On l’a regardé comme un homme incapable de céder à l’ennemi, de plier sous le nombre ou sous les obstacles ; comme une âme du premier ordre, pleine de ressources et de lumières5, et qui voyait encore où personne ne voyait plus ; comme celui qui, à la tête des légions, était pour elles un présage de la victoire, et qui valait seul plusieurs légions ; qui était grand dans la prospérité, plus grand quand la fortune lui a été contraire : la levée d’un siège, une retraite, l’ont plus ennobli que ses triomphes ; l’on ne met qu’après les batailles gagnées et les villes prises ; qui était rempli de gloire et de modestie ; on lui a entendu dire : « Je fuyais », avec la même grâce qu’il disait : « Nous les battîmes » ; un homme dévoué à l’État, à sa famille, au chef de sa famille ; sincère pour Dieu et pour les hommes, autant admirateur du mérite que s’il lui eût été moins propre et moins familier : un homme vrai, simple, magnanime, à qui il n’a manqué que les moindres vertus1. […] Une naissance auguste, un air d’empire et d’autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressés de voir le prince6, et qui conserve le respect dans le courtisan ; une parfaite égalité d’humeur ; un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la permettre point1 : ne faire jamais ni menaces ni repròches ; ne point céder à la colère, et être toujours obéi ; l’esprit facile, insinuant ; le cœur ouvert, sincère, et dont on croit voir le fond, et ainsi très-propre à se faire des amis, des créatures et des alliés ; être secret toutefois, profond et impénétrable dans ses motifs et dans ses projets ; du sérieux et de la gravité dans le public ; de la brièveté, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux ambassadeurs des princes, soit dans les conseils ; une manière de faire des grâces2 qui est comme un second bienfait ; le choix des personnes que l’on gratifie ; le discernement des esprits, des talents et des complexions3, pour la distribution des postes et des emplois ; le choix des généraux et des ministres ; un jugement ferme, solide, décisif dans les affaires, qui fait que l’on connaît le meilleur parti et le plus juste ; un esprit de droiture et d’équité qui fait qu’on le suit jusqu’à prononcer quelquefois contre soi-même en faveur du peuple, des alliés, des ennemis ; une mémoire heureuse et très-présente qui rappelle les besoins des sujets, leurs visages, leurs noms, leurs requêtes ; une vaste capacité qui s’étende non-seulement aux affaires de dehors, au commerce, aux maximes d’État, aux vues de la politique, au reculement des frontières par la conquête de nouvelles provinces, et à leur sûreté par un grand nombre de forteresses inaccessibles ; mais qui sache aussi se renfermer au dedans, et comme dans les détails4 de tout un royaume ; qui en bannisse un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté, s’il s’y rencontre ; qui abolisse des usages cruels et impies5, s’ils y règnent ; qui réforme les lois et les coutumes6, si elles étaient remplies d’abus ; qui donne aux villes plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement d’une exacte police, plus d’éclat et plus de majesté par des édifices somptueux ; punir sévèrement les vices scandaleux ; donner, par son autorité et par son exemple, du crédit à la piété et à la vertu ; protéger l’Église, ses ministres, ses droits, ses libertés1 ; ménager ses peuples comme ses enfants2 ; être toujours occupé de la pensée de les soulager, de rendre les subsides légers, et tels qu’ils se lèvent sur les provinces sans les appauvrir ; de grands talents pour la guerre ; être vigilant, appliqué, laborieux ; avoir des armées nombreuses, les commander en personne ; être froid dans le péril3, ne ménager sa vie que pour le bien de son État, aimer le bien de son État et sa gloire plus que sa vie ; une puissance très-absolue, qui ne laisse point d’occasion aux brigues, à l’intrigue et à la cabale ; qui ôte cette distance infinie4 qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui les rapproche, et sous laquelle tous plient également ; une étendue de connaissances qui fait que le prince voit tout par ses yeux, qu’il agit immédiatement par lui-même, que ses généraux ne sont, quoique éloignés de lui, que ses lieutenants, et les ministres que ses ministres ; une profonde sagesse qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincre et user de la victoire, qui sait faire la paix, qui sait la rompre, qui sait quelquefois, et selon les divers intérêts, contraindre les ennemis à la recevoir ; qui donne des règles à une vaste ambition, et sait jusqu’où l’on doit conquérir ; au milieu d’ennemis couverts ou déclarés, se procurer le loisir des jeux, des fêtes, des spectacles ; cultiver les arts et les sciences, former et exécuter des projets d’édifices surprenants ; un génie enfin supérieur et puissant qui se fait aimer et révérer des siens, craindre des étrangers ; qui fait d’une cour, et même de tout un royaume, comme une seule famille unie parfaitement sous un même chef, dont l’union et la bonne intelligence est redoutable au reste du monde.

80. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Montesquieu, 1689-1755 » pp. 235-252

Lorsque quelqu’un a voulu se réconcilier avec moi, j’ai senti ma vanité flattée, et j’ai cessé de regarder comme ennemi un homme qui me rendait le service de me donner bonne opinion de moi. […] J’étais ami de presque tous les esprits, et ennemi de presque tous les cœurs. […] Rome ne put plus savoir si celui qui était à la tête d’une armée dans une province était son général ou son ennemi. […] On peut voir dans Démosthène quelle peine il fallut pour la réveiller : on y craignait Philippe, non pas comme l’ennemi de la liberté, mais des plaisirs.

81. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section deuxième. La Tribune du Barreau. — Chapitre III. Analyse et extraits des Harangues d’Eschine et de Démosthène, pour et contre Ctésiphon. »

Rival d’abord, et bientôt l’irréconciliable ennemi de Démosthène, il épiait depuis longtemps l’occasion, et cherchait lès moyens de perdre son adversaire. […] Voilà sans doute les esprits suffisamment aigris, et disposés avec tout l’art possible à regarder et à traiter comme ennemi déclaré du bien public un infracteur quelconque de la loi. […] Ce fut alors que lui échappa ce mot célèbre, et si louable dans la bouche d’un ennemi et d’un rival : Eh !

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