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49. (1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Principes de rhétorique. — Chapitre VII. Des différents exercices de composition. »

Un bâtiment non achevé, dont le toit n’est pas encore couvert, semblait agité par le vent ; la charpente remuait, craquait. […] Les roulements des chars, les coursiers qui hennissent, Les ordres répétés qui dans l’air retentissent, Ou le bruit des drapeaux soulevés par les vents, Qui, dans les camps rivaux flottant à plis mouvants, Tantôt, semblent enflés d’un souffle de victoire, Vouloir voler d’eux-mêmes au-devant de la gloire, Et tantôt, retombant le long des pavillons, De leurs funèbres plis couvrir leurs bataillons. […] Mais au sort des humains la nature insensible Sur leurs débris épars suivra son cours paisible : Demain la douce aurore, en se levant sur eux, Dans leur acier sanglant réfléchira ses feux ; Le fleuve lavera sa rive ensanglantée ; Les vents balayeront leur poussière infectée, Et le sol, engraissé de leurs restes fumants, Cachera sous des fleurs leurs pâles ossements. […] Une grosse houle venait du couchant, bien que le vent soufflât de l’est ; d’énormes ondulations s’étendaient du nord au midi, et ouvraient dans leurs vallées de longues échappés de vue sur le désert de l’Océan. […] Auprès, tout aurait été silence et repos, sans la chute de quelques feuilles, le passage d’un vent subit, le gémissement de la hulotte ; au loin, par intervalles, on entendait les sourds mugissements de la cataracte de Niagara qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de déserts en déserts, et expiraient à travers les forêts solitaires.

50. (1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Première partie — Chapitre III. — Ornements du Style, qui consistent dans les Mots ou Figures »

Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l’image ; Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents : Au pied de l’échafaud, sans changer de visage,           Elle s’avançait à pas lents. […] Nous employons cette figure, lorsque nous disons : ce cheval court plus vite que le vent ; il marche plus lentement qu’une tortue ; des ruisseaux de vin, de lait et de miel, etc. […] Aimé Martin s’exprime ainsi : Du haut de ses coteaux chargés de vignes, des fleuves de vin coulent éternellement dans la coupe de tous les peuples, tandis que ses larges plaines, les moissons ondoient, comme les flots de la mer sous le vent qui les courbe, sous le soleil qui les mûrit. […] Les Déserts de l’Arabie Pétrée Qu’on se figure un pays sans verdure et sans eau, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquelles l’œil s’étend et le regard se perd, sans pouvoir s’arrêter sur aucun objet vivant ; une terre morte, et pour ainsi dire, écorchée par les vents, laquelle ne présente que îles ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés ; un désert entièrement découvert où le voyageur n’a jamais respiré sous l’ombrage, où rien ne l’accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante : solitude absolue, mille fois plus affreuse que relie des forêts ; car les arbres sont encore des êtres pour l’homme qui se voit seul plus isolé, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vides et sans bornes : il voit partout l’espace comme son tombeau ; la lumière du jour, plus triste que l’ombre de la nuit, ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l’horreur de la situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autours de lui rabane de l’immensité qui le sépare de la terre habitée ; immensité qu’il tenterait en vain de parcourir : car la faim, la soif et la chaleur brûlante pressent tous les instants qui lui restent entre le désespoir et la mort. […] Il va du blanc au noir : Il condamne au matin ses sentiments du soir Importun à tout autre, à soi-même incommode, Il change à tout moment d’esprit comme de mode : Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre choc, Aujourd’hui dans un casque et demain dans un froc.

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