Mais en accordant que Rousseau eût des motifs légitimes pour placer l’ambassadeur en Suisse au rang des dominateurs ou des bienfaiteurs de l’humanité, son ode n’eût rien perdu, ce me semble, de son éblouissante et harmonieuse poésie, et eût gagné comme logique, si son plan eût été à peu près celui-ci : Il est des génies privilégiés qui, une fois dominés par l’enthousiasme poétique, font des miracles, Orphée en est un exemple. […] Aussi les enfants des hommes illustres sont d’ordinaire les successeurs du rang et des honneurs de leurs pères, et ne le sont pas de leur gloire et de leurs vertus.
Et pouvez-vous, seigneur, souhaiter qu’une fille Qui vit presque en naissant éteindre sa famille, Qui, dans l’obscurité nourrissant sa douleur, S’est fait une vertu conforme à son malheur, Passe subitement de cette nuit profonde Dans un rang qui l’expose aux yeux de tout le monde, Dont je n’ai pu de loin soutenir la clarté, Et dont une autre enfin remplit la majesté6 ? […] Je ne me flatte point d’une gloire insensée : Je sais de vos présents mesurer la grandeur ; Mais plus ce rang sur moi répandrait de splendeur, Plus il me ferait honte et mettrait en lumière1 Le crime d’en avoir dépouillé l’héritière.