En un mot, comme la première source de leur autorité vient de nous, les rois n’en doivent faire usage que pour nous… Ce n’est donc pas le souverain, c’est la loi, Sire, qui doit régner sur les peuples : vous n’en êtes que le ministre et le premier dépositaire ; c’est elle qui doit régler l’usage de l’autorité, et c’est par elle que l’autorité n’est plus un joug pour les sujets, mais une règle qui les conduit, un secours qui les protége, une vigilance paternelle qui ne s’assure leur soumission que parce qu’elle s’assure leur tendresse. […] Elle seule est la lumière de notre esprit, la règle de notre cœur, la source des vrais plaisirs, le fondement de nos espérances, la consolation de nos craintes, l’adoucissement de nos maux, le remède de toutes nos peines ; elle seule est la source de la bonne conscience, la terreur de la mauvaise, la peine secrète du vice, la récompense intérieure de la vertu ; elle seule immortalise ceux qui l’ont aimée, illustre les chaînes de ceux qui souffrent pour elle, attire des honneurs publics aux cendres de ses martyrs et de ses défenseurs, et rend respectables l’abjection ou la pauvreté de ceux qui ont tout quitté pour la suivre ; enfin, elle seule inspire des pensées magnanimes, forme des âmes héroïques, des âmes dont le monde n’est pas digne, des sages seuls dignes de ce nom.
Rousseau, quelques traces de ces opinions erronées auxquelles M. de La Harpe ne devait plus tenir, même en les modifiant, dans un ouvrage destiné à faire époque, et où l’on veut trouver des règles générales, et non pas des manières de voir particulières. Mais où le professeur du lycée est vraiment un homme supérieur, c’est dans l’analyse et l’application des règles du goût et d’une critique toujours juste, toujours capable de diriger utilement le jugement des autres, quand il explique et commente les anciens, et quand il parle de ceux des modernes sur lesquels son opinion n’a jamais varié. […] Craignons donc de laisser ou de voir s’établir une école nouvelle, qui, en confondant tous les genres et tous les styles, prêterait indiscrètement à la théologie le langage de la poésie, et à la poésie le style et les formes théologiques : craignons d’adopter une poétique qui constituerait les fautes en principes, et qui poserait pour règle première la violation de la plus essentielle des règles, l’accord indispensable des choses et du style ; et cette précieuse unité, sans laquelle le vrai et le beau n’existent plus dans les ouvrages de l’imagination.