Rien de plus ordinaire aux jeunes gens, et à ceux en général qui se hâtent trop de produire, que de travailler au hasard sans avoir rien de préparé, rien de mûri par la réflexion. […] L’esprit humain ne peut rien créer ; il ne produira qu’après avoir été fécondé par l’expérience et la méditation ; ses connaissances sont les germes de ses productions.
Si on lui suggère ses raisonnements, ses définitions, ses preuves, ses figures et ses mouvements oratoires, il répétera en balbutiant ce qu’il en aura retenu : et si on le livre à lui-même, il flottera au gré d’une imagination sans idées, ne produira que des fantômes, ou ne dira que des inepties. […] En cet état on ne peut rien dire avec force, on n’est sûr de rien ; tout a un air d’emprunt et de pièces Apportées ; rien ne coule de source ; on se fait grand tort à soi-même, d’avoir tant d’impatience de se produire. […] Platon, qui avait examiné tout cela beaucoup mieux que la plupart des orateurs, assure qu’en écrivant on doit toujours se cacher, se faire oublier, et ne produire que les choses et les personnes qu’on veut mettre devant les yeux du lecteur. […] Pour cela, il faut connaître la liaison que les passions ont entre elles, celles qu’on peut exciter d’abord plus facilement, et qui peuvent servir à émouvoir les autres ; celles enfin qui peuvent produire les plus grands effets, et par lesquelles il faut terminer le discours. […] C’est la fantaisie, plutôt que le goût, qui produit tant de modes nouvelles.