Le néant des grandeurs Comme les fleuves, quelque inégalité qu’il y ait dans leur course, sont en cela tous égaux, qu’ils viennent d’une source petite, de quelque rocher, ou de quelque motte de terre, et qu’ils perdent tous leurs eaux dans l’Océan ; là on ne distingue plus ni le Rhin, ni le Danube dans les petites rivières et les plus inconnues ; ainsi les hommes commencent de même, et après avoir achevé leur course, après avoir fait, comme des fleuves, un peu plus de bruit les uns que les autres, ils sont tous enfin confondus dans ce gouffre infime de la mort et du néant, où l’on ne trouve plus ni César, ni Alexandre, ni tous ces grands noms qui nous étonnent, mais la corruption et les vers, la cendre et la poussière qui nous égalent1. […] Mais vous irez vous engager dans des détours infinis, dans quelque chemin perdu ; vous vous jetterez dans quelque précipice. […] Étant éloigné de cet animal, vous voyez sa tête, ses pieds et son corps ; quand vous approchez pour le prendre, vous ne trouvez plus qu’une boule ; et celui que vous découvriez de loin tout entier, vous le perdez tout à coup, aussitôt que vous le tenez dans vos mains. […] On se console parce qu’on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu’on voit se faner entre ses mains du matin au soir, et quelques fruits qu’on perd en les goûtant : Enchantement ! […] Ravis1 d’une certaine douceur de leurs prétentions infinies, ils s’imagineraient perdre infiniment s’ils se départaient de leurs grands desseins ; surtout les personnes de condition, qui, étant élevées dans un certain esprit de grandeur, et bâtissant toujours sur les honneurs de leur maison et de leurs ancêtres2, se persuadent facilement qu’il n’y a rien à quoi elles ne puissent prétendre3.
Tel qu’un beau lis au milieu des champs, coupé dans sa racine par le tranchant de la charrue, il languit et ne se soutient plus ; il n’a point encore perdu cette vive blancheur et cet éclat qui charme les yeux, mais la terre ne le nourrit plus, et sa vie est éteinte : ainsi le fils d’Idoménée, comme une jeune et tendre fleur, est cruellement moissonné dès son premier âge. […] Lorsque David, un si grand guerrier, déplora la mort de deux fameux capitaines qu’on venait de perdre, il leur donna cet éloge : « Plus vites que les aigles, plus courageux que les lions. » C’est l’image du prince que nous regrettons ; il paraît en un moment comme un éclair dans les pays les plus éloignés ; on le voit en même temps à toutes les attaques, à tous les quartiers. […] La Perte d’un Ami Sa mort eût été utile à son pays et funeste aux ennemis, je l’aurais moins regretté ; mais le perdre au milieu des délices d’un quartier d’hiver ! […] Il sent, il reconnaît le fil qu’il a perdu ; Et de joie et d’espoir il tressaille éperdu. […] Un Dieu cruel a perdu ta famille ; Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.