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56. (1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Chateaubriand 1768-1848 » pp. 222-233

Les cygnes Ce n’est pas toujours en troupes que ces oiseaux visitent nos demeures ; quelquefois deux beaux étrangers, aussi blancs que la neige, arrivent avec les frimas : ils descendent, au milieu des bruyères, dans un lieu découvert, et dont on ne peut approcher sans être aperçu ; après quel ques heures de repos, ils remontent sur les nuages. […] Vous apercevez cà et là quelques bouts de voies romaines, dans des lieux où il ne passe plus personne ; quelques traces desséchées des torrents de l’hiver : ces traces, vues de loin, ont elles-mêmes l’air de grands chemins battus et fréquentés, et elles ne sont que le lit désert d’une onde orageuse qui s’est écoulée comme le peuple romain. […] Cette page fut écrite à l’époque où une crise morale le ramena à la foi ; il disait ailleurs : « Ma mère, après avoir été jetée, à soixante-douze ans, dans des cachots, où elle vit périr une partie de ses enfants, expira dans un lieu obscur, sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. […] Cette vie, que nous ne possédons jamais que par diverses parcelles qui nous échappent sans cesse, se nourrit et s’entretient d’espérance ; l’avenir, nous ne le tenons que par espérance, et jusques au dernier soupir, c’est l’espérance qui nous fait vivre : et puisque nous espérons toujours, c’est un signe très-manifeste que nous ne sommes pas dans le lieu où nous puissions posséder les choses que nous souhaitons.

57. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Pascal, 1623-1662 » pp. 56-71

Cependant le malheur du siècle est tel, qu’on voit beaucoup d’opinions nouvelles en théologie, inconnues à toute l’antiquité, soutenues avec obstination et reçues avec applaudissement ; au lieu que celles qu’on produit dans la physique, quoique en petit nombre, semblent devoir être convaincues de fausseté dès qu’elles choquent tant soit peu les opinions reçues : comme si le respect qu’on a pour les anciens philosophes était de devoir, et que celui que l’on porte aux plus anciens des Pères était seulement de bienséance ! […] N’est-ce pas là traiter indignement la raison de l’homme, et la mettre en parallèle avec l’instinct des animaux, puisqu’on en ôte la principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l’instinct demeure toujours dans un état égal ? […] Au lieu qu’il ne devoit lui être offert que par la considération de son excellence, on jugera qu’il est excellent par cette seule raison qu’il lui est offert. […] Ce second empire me paroît même d’un ordre d’autant plus élevé que les esprits sont d’un ordre plus élevé que les corps ; et d’autant plus équitable qu’il ne peut être départi et conservé que par le mérite, au lieu que l’autre peut l’être par la naissance ou par la fortune. […] Il est véritablement égaré et tombé de son vrai lieu, sans pouvoir le retrouver.

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