de la fin En lisant certains prosateurs et surtout certains poëtes contemporains, on remarque quelques pièces terminées brusquement, sans que le sujet soit achevé, ni l’idée principale complétement développée, sans qu’on puisse imaginer même quel motif les détermine à s’arrêter. […] Virgile, avec le tact parfait qui le caractérise, l’a fort bien compris, et l’idée d’un treizième livre est une bouffonnerie digne du chanoine Mafeo Vegio ou du maître d’hôtel Villanova qui l’ont réalisée. […] C’est ainsi, si cette règle était indispensable et universelle, que nous pourrions conclure le présent chapitre, le dernier de ceux qui traitent de la disposition, par le résumé suivant : La disposition consiste à coordonner et à lier entre elles les idées que l’invention a fournies. […] De l’ordre naissent la lumière et la chaleur ; la lumière, par l’unité du dessein, qui, bien comprise, répand sur toutes les idées le même jour avec des teintes variées, et donne à chacune sa valeur ; la chaleur, par l’étroit enchaînement de toutes les idées, qui, en les rapprochant, les fortifie et les échauffe l’une par l’autre. […] Le développement de ces préceptes démontre que la disposition ou l’art d’ordonner les idées n’est pas moins essentielle à l’écrivain que l’invention et l’élocution, qui l’aident l’une à les découvrir, l’autre à les formuler.
Nous avons tous les facultés nécessaires pour avoir l’idée et le sentiment du beau ; mais, pour le sentir et pour l’exprimer de manière à le rendre intéressant pour les autres, il faut posséder, à un degré supérieur, les principales facultés ou puissances de l’âme. […] Pour ce qui regarde les belles-lettres, le talent consiste à donner un forme agréable et une disposition heureuse aux idées que l’on exprime et aux sujets que l’on traite. […] Cette faculté merveilleuse de conserver et de réveiller les sensations et les idées, est le trésor de toutes les connaissances, puisque sans elle il serait impossible d’avoir aucune science ni aucun art. […] Mais ordinairement on entend par jugement l’opération de cette faculté, ou l’acte par lequel l’intelligence décide qu’il y a ou qu’il n’y a pas de convenance entre deux idées et distingue la vérité de l’erreur. […] Ce qui sert surtout au jugement et à la pénétration, c’est l’étendue de l’esprit qui permet d’embrasser beaucoup d’idées à la fois sans les confondre.