Il reste le milieu à prendre : c’est que le personnage ne soit ni trop vertueux ni trop juste, et qu’il tombe dans le malheur non par un crime atroce ou une méchanceté noire, mais par quelque faute ou erreur humaine, qui le précipite du faîte des grandeurs et de la prospérité, comme Œdipe, Thyeste, et les autres personnages célèbres de familles semblables. Une fable bien composée sera donc simple plutôt que double, quoi qu’en disent quelques-uns : la catastrophe y sera du bonheur au malheur, et non du malheur au bonheur : ce ne sera point par un crime, mais par quelque grande faute ou faiblesse d’un personnage tel que nous avons dit, ou même bon encore plus que mauvais. […] Qu’un poète sache ou ignore cette partie, on ne peut pas lui en faire un crime. […] On a donc tort de faire aux poètes un crime de ces licences, et de les tourner en ridicule sur cet objet.
Vous avez découvert toutes ses menées et démêlé toute son intrigue ; enfin vous avez reconnu tout l’ordre du crime ; vous voyez ses pieds, son corps et sa tête ; aussitôt que vous pensez le convaincre en lui racontant ce détail, par mille adresses il vous retire ses pieds : il couvre soigneusement tous les vestiges de son crime ; il vous cache sa tête : il recèle profondément ses desseins ; il enveloppe son corps, c’est-à-dire toute la suite de son intrigue, dans un tissu artificieux d’une histoire embarrassée et faite à plaisir. […] — Mais je regarde ma postérité et mon nom. — Mais peut-être que ta postérité n’en jouira pas. — Mais peut-être aussi qu’elle en jouira. — Et tant de sueurs, et tant de travaux, et tant de crimes, et tant d’injustices, sans pouvoir jamais arracher de la fortune, à laquelle tu te dévoues, qu’un misérable peut-être ! […] cette visite n’est pas sans cause : c’est l’ouvrier même qui vient en personne pour reconnaître ce qui manque à son édifice ; c’est qu’il a dessein de le reformer suivant son premier modèle1 O âme remplie de crimes, tu crains avec raison l’immortalité qui rendrait ta mort éternelle !