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66. (1853) De la rhétorique, ou De la composition oratoire et littéraire (2e éd.) « Chapitre X. du commencement  » pp. 131-145

N’est-ce pas encore pour éveiller l’attention, autant que pour gagner la bienveillance, en prévenant la crainte d’une narration infinie, qu’Horace conseille au poëte de ne point faire remonter la guerre de Troie au double œuf de Léda, ni le retour de Diomède à la mort de Méléagre, mais de se jeter dès l’abord au cœur même de l’action ? […] C’est que, dans le drame, le poëte ne parlant pas en son nom, mais faisant parler des personnages liés à une action, ne peut songer au spectateur, sans blesser toute vraisemblance. […] Les sympathies et l’attention du public sont acquises à qui lui prouve immédiatement que d’un divertissement il ne va pas lui faire une fatigue : Que dès les premiers vers l’action préparée Sans peine du sujet aplanisse l’entrée.. […] Que celui-ci, comme vaincu par la passion commune, se jette alors, du premier bond, au cœur même de l’action, il y entraînera tout l’auditoire. […] Chaque fois que s’épargnant ces préparations, ces confidences sans intérêt, l’on peut tout d’abord entrer dans le vif de l’action, il est bien de le faire, quitte à plaquer çà et là des fragments d’exposition, à l’heure où ils deviendront nécessaires, et dans un moment où le lecteur portera déjà un intérêt assez vif au sujet qui sa déroule pour désirer tous les éclaircissements possibles. » 45.

67. (1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Extraits des classiques français. première partie — Molière, 1622-1673 » pp. 43-55

De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d’actions indignes dont on a peine, aux yeux du monde, d’adoucir le mauvais visage, cette suite continuelle de méchantes affaires qui nous réduisent, à toute heure, à lasser les bontés du souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services et le crédit de mes amis ! […] Aussi nous n’avons part à la gloire de nos ancêtres qu’autant que nous nous efforçons de leur ressembler ; et cet éclat de leurs actions, qu’ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu’ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leur vertu, si nous voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né ; ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu’ils ont fait d’illustre ne vous donne aucun avantage : au contraire, l’éclat n’en rejaillit sur vous qu’à votre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d’un chacun la honte de vos actions. Apprenez enfin qu’un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature ; que la vertu est le premier titre de noblesse ; que je regarde bien moins au nom qu’on signe qu’aux actions qu’on fait ; et que je ferais plus d’état du fils d’un crocheteur qui serait honnête homme, que du fils d’un monarque qui vivrait comme vous1. […] Non, insolent, je ne veux point m’asseoir, ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne font rien sur ton âme ; mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes actions ; que je saurai, plus tôt que tu ne penses, mettre une borne à tes déréglements, prévenir sur toi le courroux du ciel, et laver, par ta punition, la honte de t’avoir fait naître.

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